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Volonté d'être ou souci de paraître ? (1re partie)
Publié dans El Watan le 02 - 10 - 2004

En fait, bien avant, la philosophia parennis avait proclamé la légitimité de l'aspiration de l'être vers l'universel, ce que la sagesse des nations avait reçu comme la légitimité de toute ambition personnelle. A cet égard, les carrières médicales restent particulièrement prisées et attirent toujours autant de monde, du fait du prestige qui leur est attaché et en dépit de l'indigence du standing social qu'elles assurent dans le secteur public et de contraintes de toutes sortes. Quoi qu'il en soit, les exigences rigoureuses de la progression universitaire et les dures lois de la compétition et de la sélection, en limitant l'accès au plus haut rang, peuvent laisser rancœur et ressentiment chez les prétendants qui ne peuvent postuler, par manque de qualification universitaires et de références scientifiques. Au-delà, cette situation peut être vécue comme une atteinte narcissique, d'autant plus intolérable qu'elle peut paraître injuste. Car, comme l'affirme si bien la psychologie populaire, il y a une promptitude particulière chez tout un chacun à se considérer comme supérieur à son prochain, de la même façon qu'il y a chez lui une disposition particulière à être très exigeant envers les autres et très indulgent envers lui-même. Cette attitude, surinvestie jusqu'à l'absurde dans la métaphysique du solipsisme, a été illustrée jusqu'à la caricature par Koestler dans son roman, Le Zéro et l'infini. Cela étant, la tentation pour ces prétendants malheureux qui n'ont pu se résoudre à réviser leurs ambitions, de trouver des voies de substitution ou de dérivation, peut être grande, à la mesure de la frustration. Cependant, le prix de la consolation peut-il passer par le mensonge à soi-même et la duperie d'autrui et la fin justifie-t-elle tous les moyens ? En d'autres termes, quand on se réclame de l'excellence et qu'on revendique la supériorité intellectuelle, peut-on s'accommoder du simulacre et du compromis fourré ? La réponse à une telle question, pour si évidente qu'elle puisse paraître de prime abord, mériterait d'être confortée par la prise en considération de ses tenants et aboutissants.
I- Fondements historiques : du sacerdoce au magistère
I.1 – De la tradition médicale: une gestation distillée au ferment de l'histoire
I.1.1. – La médecine archaïque : du mythe au logos :
Elle se rapporte à une longue période qui s'étend, grosso modo, de l'an 3000 à l'an 600 av. J.-C. et se réfère essentiellement à l'Egypte ancienne, la Mésopotamie et la Grèce originelle. En ces temps reculés, la magie, la religion et la médecine évoluaient dans l'indifférenciation. Le prêtre-guérisseur ou le médecin-magicien dispensait des soins, en même temps qu'il célébrait le culte et invoquait les dieux et les puissances occultes. Le recours à ce dernier se produisait chaque fois que le patient était en quête de réconfort et d'une explication compréhensible de son malaise ou de sa souffrance, alors que l'entourage y relevait toujours un signe qui attestait son origine surnaturelle. La parole du médecin-prêtre-magicien, se prévalant de l'autorité de la tradition et de la puissance de l'ésotérisme, avait un effet des plus apaisants, puisqu'elle permettait de réconcilier le sujet avec une continuité existentielle remise en question par la maladie, grâce à une interprétation censée et rassurante d'un vécu désagréable ou pénible. La maladie était perçue comme résultant de l'intrusion dans l'intimité du corps ou de l'esprit du sujet, d'un principe étranger et hostile, de nature maléfique, qu'il fallait extirper. Les procédés auxquels on avait recours consistaient soit en séances d'incubation (rêves divinatoires), de désenvoûtement, de transes ritualisées, d'incantations et de prières, soit en l'administration de philtres ou potions magiques, lascèse et la purification, selon que l'accent était mis sur l'esprit ou sur le corps. Du reste, cette confusion et cette indifférenciation des rôles persistent à ce jour, dans les pratiques de certaines sociétés traditionnelles. Pourtant, en dépit de tout ce syncrétisme mythico-magique, cette période nous a légué nombre de documents, notamment de célèbres papyrus égyptiens, qui attestent de progrès remarquables comme le recours, inédit jusqu'alors, à l'observation minutieuse et au raisonnement pertinent dans l'art de guérir. Outre l'identification clairement établie d'une fonction médicale, la promulgation des premières mesures d'hygiène publique, on assistait également à la mise au point des premiers traitements médicaux et chirurgicaux. Par ailleurs, certains papyrus rapportent des observations cliniques surprenantes de rigueur et de finesse, alors que d'autres ébauchaient une classification systématisée des maladies ou faisaient appel à la spéculation rationnelle pour établir d'éventuelles relations de causalité.
I.1.2. La médecine classique grecque et hellénique : les pères fondateurs
La période classique proprement dite début après celle des pré-socratiques (milesiens, pythagoricien, eleat et atomistes) et s'étend à peu près de 480 à 320 av. J.-C. Véritable âge d'or de la Grèce antique, la culture y était à son apogée et la philosophie, dominée par le triptyque Socrate-Platon-Aristote, rayonnait à Athènes. Quant à l'hellénisme (323-146 av. J.-C.), constitué de l'apport culturel oriental (Moyen-Orient et nord de l'Inde) à la civilisation grecque, il avait pour principaux foyers, Alexandrie et Pergame. La philosophie y était dominée par deux nouvelles écoles, celles des stoïciens et des épicuriens. Ainsi, après avoir été longtemps un art sacré, apanage des sorciers et des prêtres, la médecine proprement dite est née au Ve siècle av. J.-C., avec le corpus hippocraticum de l'école de Cos. Il convient néanmoins de rendre justice à deux géniaux précurseurs ayant fait œuvre novatrice, Alcmeon de Crotone et Diogène d'Apollonie. Cette naissance n'a été possible que grâce au développement préalable de la philosophie qui avait renoncé à l'interprétation mythologique du monde, pour privilégier la rationalité et l'explication naturelle des faits, à l'exemple des premiers physiciens d'Ionie et, dans une moindre mesure, de l'école pythagoricienne de Crotone. Depuis, si les deux plus grands noms qui dominèrent la médecine alexandrine de la période hellénique furent Herophile et Erasistrate, c'est à Galien, bien plus tard (IIe siècle ap. J.-C.), que revient le mérite d'avoir ressuscité l'hippocratisme et d'avoir introduit la dissection dans l'étude de l'anatomie. Ce pergameen de culture grecque, contemporain de Marc-Aurèle, ayant étudié à Alexandrie et exercé à Rome, a eu une influence considérable sur la postérité médicale. Son corpus galenicum fera autorité en médecine jusqu'au XVIIIe siècle. Il reste, avec et après Hippocrate, l'un des pères fondateurs de la médecine.
I.1.3. La médecine arabe : le relais flamboyant
L'époque médiévale sera dominée par la médecine arabe. En effet, de toute la longue période byzantine (330 à 1453 ap. J.-C.), nous ne retiendrons que le nom d'Oribase et son manuel de médecine, Collecta Medicinalia, vaste œuvre de compilation, notamment des travaux de Galien, mort deux siècles plus tôt. Par contre, la civilisation arabo-musulmane n'ayant commencé qu'au début du VIIe siècle, elle ne parviendra à son zénith qu'au IXe siècle, pour s'achever au milieu du XIIIe siècle. D'une durée moindre de moitié que la précédente, elle n'en exercera pas moins une hégémonie sur le monde d'alors. En cette période faste, toute la médecine hippocratique et galénique est traduite en arabe. Un siècle plus tard, la langue scientifique universelle sera l'arabe et le monde retiendra les nons des trois médecins d'origine persane : Razi (mort en 925), auteur du Continens (le contenant), Ali Ibn Al Abbas (mort en 994), auteur du livre royal et Ibn Sina ou Avicenne (mort en 1037) dont le célèbre Canon, ouvrage de référence de la médecine arabe, sera réédité en latin quelque 13 fois, dont la dernière en 1608. Un autre grand médecin appartenant à l'école de Baghdad n'est autre que Thabit Ibn Qourra (836 – 901), ce savant universel également mathématicien et astronome, fondateur de la trigonométrie sphérique et de la théorie des nombres. On retiendra également le nom d'Ibn Rochd ou Averroès, né en 1126 dans la califat de Cordoue, plus connu en Occident pour sa glosse d'Aristote, qui a élaboré un manuel de médecine, Le Colliget, ou le livre de tous qui a profondément influencé la médecine scolastique ainsi que celui de son maître Ibn Tufayl (mort en 1185), ce médecin, astronome et philosophe, dénommé Abubacer par le moyen-âge chrétien. On ne manquera pas d'évoquer de la même façon un autre Andalou, Abou El Kacem, le plus grand chirurgien de son temps, auteur d'un manuel de chirurgie très célèbre, ainsi que les deux grands anatomo-physiologistes damascènes ayant exercé au Caire au XIIe siècle, Abd El Latif et Ibn An Nafis. On n'oubliera pas enfin de rendre hommage à tous ces médecins arabes, ayant sombré dans l'anonymat depuis, qui ont prodigieusement enrichi la pharmacopée universelle. Dieu sait pourtant s'ils furent nombreux ! Par ailleurs, dès le XIIe siècle, les connaissances de l'antiquité seront non seulement transmises à l'Europe médiévale, mais aussi considérablement développées et améliorées par les savants de l'Espagne musulmane. Ce sera par les canaux des écoles d'Espagne (Tolède, Cordoue, Barcelone), puis d'Italie (Palerme, Messine, mais surtout Salerne) et de France (Montpellier, Narbonne, Chartres et Reims) que la médecine arabe (orientale, nord-africaine et andalouse) s'introduira en Europe, et y aura une influence décisive sur l'évolution de la médecine universelle. C'est également grâce à l'influence arabe et à l'exemple des réalisations de l'Espagne musulmane que les premiers hôpitaux verront le jour en Europe, l'établissement fondé en Cappadoce, l'ancienne capitale de l'empire Hittite (en Turquie actuelle), vers 370 par l'évêque Basile, n'étant qu'un hospice pour nécessiteux de toutes sortes. Car jusqu'alors, la médecine médiévale, «ars medica et ars caritativa», était exercée par des moines-médecins dans les infirmeries aménagées dans des couvents, avant d'être remplacées par des hôpitaux, toujours sous le contrôle d'ordres monastiques qui seront progressivement supplantés par des princes, de riches bourgeois ou des ordres de chevalerie, d'obédience laïque.
I.1.4. La médecine moderne : la galerie des maîtres prestigieux
La transition entre le moyen-âge et les temps modernes est représentée par la renaissance, l'époque baroque et l'époque des lumières. Le terme de renaissance a été employé pour la première fois par Machiavel au XVIe siècle et repris plus tard par l'historien J. Michelet. La renaissance, sous-entendue de l'antiquité, visait le rétablissement des critères, idéaux et valeurs de l'antiquité dans l'art, à la culture et la connaissance. La philosophie se détachait de la religion et de la foi pour se consacrer à l'homme, à la nature et à l'histoire. L'humanisme, initié quelque temps plus tôt par Petrarque, le poète Toscan du XIVe siècle, en sera le courant dominant. En médecine, c'est l'avènement du néogalenisme et le déclin de la médecine arabe. Ainsi en 1567, Jean Fernel, doyen de la faculté de médecine de Paris, publie son Universa Medicina qui va éclipser peu à peu le Canon d'Avicenne et constituer la référence médicale jusqu'au XVIIIe siècle. Les plus illustres représentants de cette période des XVIe et XVIIe siècles qui a vu naître la médecine moderne sont le Flamand Vesale (1514-1564), fondateur de l'anatomie, l'Anglais Harvey (1578-1657), fondateur de la physiologie, le Français Paré (1509-1590), le père de la chirurgie moderne et, dans une moindre mesure, l'Italien Fracastoro pour la pathologie et l'Allemand Wepfer pour la toxicopharmacologie. Ils seront suivis, le siècle d'après, de Sydenham, «l'Hyppocrate anglais» (1624-1689), de l'anatomiste italien Malpighi (1628-1694) qui introduit le microscope dans l'étude des tissus humains, de l'anatomo-pathologiste italien Morgagni (1682-1771), de l'anatomo-physiologiste français Bichat (1771-1802) qui développa l'histologie et du médecin- aliéniste français Pinel (1745-1826), le fondateur de la psychiatrie moderne. En fait, l'événement le plus extraordinaire sera la révolution expérimentale en médecine au XIXe siècle, œuvre du physiologiste français François Magendie (1783-1855) et de son élève Claude Bernard (1813-1878), qui marquera la fin de la tradition hippocratino-galénique. On assistera alors à l'introduction progressive du laboratoire dans la pratique hospitalière et l'imposition du label de scientificité à la médecine. A partir de 1840, c'est grâce à Johannes Müller, Johan Lucas Schoenlein, Carl Ludwig et leurs élèves que la médecine allemande commencera à affirmer sa suprématie avec l'intégration des données du laboratoire (recherches physiologiques, chimiques et microscopiques) comme complément indispensable à l'examen physique et à l'anamnèse. Parallèlement, la maîtrise de l'anesthésie et de l'hémostase, jointe à la mise au point de l'antisepsie et de l'asepsie, feront faire des progrès considérables à la chirurgie. Pour autant, ce sera toujours la médecine hospitalière, fondée sur la méthode anatomo-clinique, qui dominera pendant tout le XIXe siècle. Initiée par l'anatomiste de Padoue, G.B. Morgagni, elle sera poursuivie et développée à Paris par Corvisart, Bayle et surtout Laënnec, puis à Vienne par Carl von Rokitansky, Joseph Skoda et Hebra, et enfin par L. Traube à Berlin. Après la Première Guerre mondiale, cette médecine anatomoclinique périclitera et sera remplacée progressivement par la médecine expérimentale. Depuis lors, les conquêtes de la médecine ne cessent de s'accumuler, constituant ce faisant ses hauts faits de gloire. Ainsi, de 1910 à 1915, aux Etats-Unis, T. H. Morgan démontre que les chromosomes représentent les supports matériels des gènes, alors qu'un peu plus tard, en 1923, A. Calmette et C. Guérin mettent au point le vaccin antituberculeux (BCG) en France. Quelque temps après, en 1928 en Grande-Bretagne, A. Flemming en étudiant un champignon, le penicillium notatum, découvre le premier antibiotique qui sera isolé en 1939 par E. B. Chain et préparé industriellement dès 1941 par H. Florey aux USA. Quelques années plus tard, en 1944, toujours aux USA, O.T., Avery, C. Mac-Leod et M. Mac-Carty découvrent l'acide desoxyribonucleïque (ADN), le support chimique du patrimoine génétique, dont la structure en double hélice sera établie ultérieurement (en 1953) par l'Américain J. Watson et le Britannique F. Crick. La même année en France, J. Dely et P. Deniker établissent l'effet neuroleptique d'une substance, pressenti par H. Laborit, inaugurant ainsi l'ère des psychotrophes, alors que, l'année suivante, G. Pincus met au point la pilule anticonceptionnelle, le premier contraceptif oral, aux Etats-Unis (1954). En 1967, en Afrique du Sud, C. Barnard, brûlant la politesse aux tenors de la mayo-clinic dans le Minesotta, réussit la première transplantation cardiaque chez l'homme et enfin, en 1973, en combinant l'emploi des rayons X et de l'ordinateur, G. N. Hounsfield invente le scanner en Angleterre et cinq ans plus tard, ses compatriotes R. G. Edwards et P. C. Steptoe mettent au monde le premier bébé-éprouvette, en conjuguant fécondation in vitro et transplantation embryonnaire sur une femme stérile.
(A suivre)


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