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L'exécutif provisoire, entre le marteau et l'enclume
Publié dans El Watan le 01 - 11 - 2004

Cet organisme, qui me paraissait être d'une importance capitale parce qu'il conditionnait le bon déroulement de l'autodétermination, laquelle était la clé qui ouvrait toute grande la porte de l'indépendance nationale et la fin d'un long martyre du peuple algérien, méritait la présence de grosses pointures, jugées dignes d'être dans l'organisme suprême de la révolution, le CNRA.
Il est vrai que les noms donnés par Boussouf de ceux qui devaient assumer la responsabilité de représenter le FLN dans l'organisme paritaire qu'était l'Exécutif étaient des militants de première qualité, Belaïd Abdesselam, Abderrezak Chentouf, Mohamed Benteftifa, Boumedine Hamidou.La réponse de Boussouf fut : «Ce n'est pas l'appartenance au CNRA qui est forcément gage de compétence pour l'opération délicate à laquelle vous êtes conviés.»
Je promis de lui donner réponse après réflexion. Le lendemain, je lui exprimai mon accord sur la mission et la composition de l'équipe, à une condition toutefois. Connaissant, malheureusement, les déficiences sérieuses des méthodes de travail de nos organisations à l'extérieur et subodorant l'absence d'unité et de coordination des organisations militaires ou civiles à l'intérieur du pays, je ne concevais pas que nous puissions mener la barque jusqu'au référendum, avec la guerre que menait l'OAS contre son gouvernement et le général de Gaulle, ainsi que contre la population algérienne en vue de susciter des réactions violentes qui entraîneraient l'intervention de l'armée française pouvant aller jusqu'à la remise en cause des Accords d'Evian, et ce, avec la complicité avouée ou non d'unités de l'armée française, si, en même temps, n'étaient pas assurées une bonne coopération et une coordination suffisante des différentes composantes locales de notre révolution avec l'Exécutif provisoire, notamment l'engagement des différents courants qui traversaient les organismes dirigeants, GPRA et CNRA, de s'abstenir d'actionner dans le désordre leurs projections sur le terrain national. C'est pourquoi j'avais demandé que les ministres du GPRA promettent formellement de n'entreprendre aucune action, sans en informer préalablement le groupe FLN de l'Exécutif en vue de juger de l'innocuité de ces décisions sur la bonne marche de la préparation du référendum d'autodétermination. Cette exigence, répondant au souci de ne laisser aucune chance aux fausses manœuvres de notre part, a été acceptée par tous les ministres et traduite en engagements individuels.
première partie
A- Pourquoi un Exécutif provisoire ?
L'idée d'une organisation particulière de la période qui devait s'écouler du cessez-le-feu au référendum a été avancée par la délégation algérienne, sous forme d'une déclaration écrite et lue par Krim Belkacem à l'ouverture des conversations de Lugrin, en Suisse, le 20 juillet 1961, ainsi libellée : «La période transitoire qui s'écoulerait du cessez-le-feu au jour de l'autodétermination doit servir à soustraire le peuple algérien à l'influence et à la pression de l'appareil administratif colonial et à mettre en place une administration qui offrira au peuple toutes garanties pour s'autodéterminer librement.» (Rédha Malek : L'Algérie à Evian. p. 159-160). A travers la déclaration générale des Accords d'Evian, traitant de l'organisation des pouvoirs publics pendant la période transitoire et des garanties de l'autodétermination, il est essentiellement question de l'objet de l'effet de la consultation : intégration ou indépendance, et dans ce dernier cas, avec ou sans coopération avec la France. Double question ramenée par l'Exécutif, malgré la résistance de Bernard Tricot, à une question unique : «Voulez-vous que l'Algérie devienne un Etat indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les Accords d'Evian», proposition acceptée par le général de Gaulle, en même temps que la décision de fixer au 1er juillet la date du référendum d'autodétermination au cours de la réunion du 12 mai 1962.
B- Tâches et rôle de l'Exécutif provisoire
Par ailleurs, les tâches dévolues à l'Exécutif provisoire par les Accords sont essentiellement de deux ordres. D'une part, la mise en place de tous les moyens et conditions d'un vote libre et sincère, et, d'autre part, la participation au maintien de l'ordre par la création d'une force locale de quelque 50 000 hommes.
Autant la préparation de l'autodétermination a pu être menée rondement grâce aux structures administratives mises en place par l'Exécutif et la coopération de l'armée française, autant le maintien de l'ordre par la force locale a été insuffisant pour satisfaire aux tâches qui lui étaient assignées et qui dépassaient notoirement les moyens mis à sa disposition, la qualité de son recrutement et son financement, tant il est vrai que l'action de l'OAS relevait plus d'une guerre dévastatrice que de troubles l'ordre public.
C- L'Exécutif provisoire, banc d'essai de la gouvernance de l'Algérie indépendante
Mais il est un autre aspect du rôle qu'a pu jouer l'Exécutif provisoire et auquel on n'a guère accordé d'importance. Dans l'esprit du partenaire français aux négociations sur l'autodétermination, il n'était pas douteux que le résultat du vote du peuple algérien serait pour le «oui» massif à l'indépendance. Alors, autant faire de l'Exécutif provisoire le banc d'essai où des cadres algériens vont s'initier aux problèmes de la gestion interne de leur pays, dans les différents domaines, tels que l'Administration en général, affaires économiques, pétrole, industrie, agriculture, commerce, affaires sociales et techniques, communications, transports, etc.
Bien au-delà de ce rôle de formateur de cadres de gestion du futur Etat algérien indépendant, l'Exécutif, grâce à la qualité de ses membres qui l'ont constitué, choisis par le FLN, ont jeté les bases de l'Etat algérien. Lorsque l'Assemblée nationale constituante a donné naissance au premier gouvernement de la République, celui-ci a trouvé une structure étatique parfaitement apte à faire face aux échéances les plus proches et d'intérêt vital : la rentrée scolaire, l'emblavement des terres, la préparation du budget, l'institut d'émission, etc.
L'algérianisation accélérée sous la direction de Chentouf Abderrezak, délégué aux affaires administratives, du corps préfectoral, des sous-préfectures et des communes à l'échelle du territoire national, en s'appuyant sur l'organisation FLN en Algérie et en France, a permis, entre autres, l'organisation parfaite des élections à l'Assemblée nationale constituante et le bon fonctionnement de toutes les institutions. L'ordonnance 62-1 du 6 juillet 1962 rétablit les fonctionnaires et agents civils et militaires qui ont subi un préjudice de carrière pour faits de patriotisme et de participation à l'effort de guerre, dans leurs droits à réintégration et réparation du préjudice subi.
Le Dr Boumedine Hamidou s'est attelé à organiser l'accueil des réfugiés à partir des frontières de Tunisie et du Maroc, leur acheminement sur leurs lieux d'origine ou leur installation pour ceux dont les logements et souvent le village d'origine ont été détruits.
Belaïd Abdesselam, délégué aux affaires économiques, avait pour charge la sécurité des installations stratégiques : centrales électriques, barrage hydroélectriques, réseau de distribution électrique, puits de pétrole du Sahara ; la continuité de l'exploitation pétrolière, la promotion du secteur industriel, tel la Camel, première usine de liquéfaction de gaz naturel, faisant de l'Algérie le premier pays au monde dans cette discipline.
Le département des affaires générales que je dirigeais avait pour tâche opérationnelle la réalisation du référendum d'autodétermination qui s'est déroulé le 1er juillet conformément à la décision de l'Exécutif du 10 mai 1962 jusque dans les douars les plus reculés, grâce à l'organisation administrative mise en place par l'Exécutif avec la contribution efficace de l'organisation du FLN et également l'aide de l'armée française pour le transport aérien des urnes et bulletins de vote, échappant ainsi à toute tentative de sabotage de ce référendum.
D- La proclamation de l'indépendance nationale
La commission centrale de contrôle du référendum de l'autodétermination institué dans le cadre des affaires générales, réunie le 3 juillet 1962 à 10 h 15, proclamant les résultats, constate qu'à la question «Voulez-vous que l'Algérie devienne un Etat indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars 1952», les électeurs ont répondu affirmativement dans une proportion de 99,2 % des suffrages exprimés. Ce même 3 juillet, le président de la République française, le général Charles de Gaulle, prenant acte de ces suffrages, adresse au président de l'Exécutif provisoire de l'Etat algérien la reconnaissance de l'indépendance de l'Algérie et déclare transférer, conformément au chapitre 5 des Accords d'Evian, les compétences afférentes à la souveraineté sur le territoire des anciens départements français d'Algérie.
L'Exécutif provisoire reçoit, en outre, la reconnaissance de notre indépendance par tous les pays dont l'URSS, les Etats-Unis, le Canada, la Belgique, la Grande-Bretagne, l'Allemagne de l'Ouest, l'Italie, la Hollande, la Suède, le Danemark, l'Espagne, etc.
L'Exécutif provisoire, détenteur des attributs de la souveraineté nationale, fit face à ses obligations tant internes qu'externes. Il prépara le lit dans lequel devra s'écouler sans encombres ni retard la conduite des affaires de l'Etat par le pouvoir issu de l'Assemblée constituante.
Le premier Journal officiel de l'Algérie indépendante, datant du 6 juillet 1962, relate, jusqu'au n° 20 du 25 septembre, la densité de l'activité et des décisions de ce gouvernement aux prérogatives à la fois législatives, exécutives et judiciaires.
Par-delà la gestion des affaires courantes, l'Exécutif prépare, en connexion avec les services français, dans un échange permanent de visites entre Alger et Paris, les protocoles d'accords entre l'Algérie et la France pour toutes
les questions de coopération prévues aux accords d'Evian et relatives, notamment, à la situation des agents français en service en Algérie ainsi que des enseignants, aux modalités d'exécution des opérations financières entre l'Algérie et la France, au contrôle financier, au protocole judiciaire, au privilège d'émission de la Banque d'Algérie, aux engagements pris par l'OCRS, à l'organisation technique de mise en valeur du sous-sol saharien, au code pétrolier et au transfert de compétences aux autorités visées par ce code.
Le dernier acte de l'Exécutif provisoire qui, dans sa phase algérienne, de pleine souveraineté, du 3 juillet du 25 septembre 1962, a exercé le pouvoir législatif, judiciaire et exécutif de l'Etat algérien, comme premier gouvernement légal d'une Algérie indépendante, fut le transfert à l'Assemblée nationale constituante, au cours de sa première réunion le 27 septembre 1962, des attributs et compétences afférentes à la souveraineté nationale.
Deuxième partie
Dans ce qui précède, a été tracée à grands coups de traits et en diagonale (d'où certaines omissions dont les intéressés voudront bien m'excuser) une esquisse d'un bilan de l'activité et du rôle joué par l'Exécutif provisoire. Il est, à mon avis, d'une importance capitale dans l'histoire de notre mouvement de libération nationale.
Et pourtant, l'Exécutif provisoire a été surtout vu par ceux qui ont rapporté son histoire, pour ne citer que trois auteurs, Azzedine, Harbi et Meynier, consultés rapidement, comme un organisme qui a permis aux sanguinaires de l'OAS de sauver la face alors qu'elle était terrassée par les coups de boutoir que lui avait assénée la Zone autonome d'Alger (ZAA) avec, à sa tête, le commandant Azzedine qui, dans son livre On nous appelait fellagas (page 455), déclara, très pertinemment qu' «en toute logique révolutionnaire il ne pouvait pas cautionner un accord qui effacerait des crimes contre l'humanité et s'abstient, magnanime, de porter un quelconque jugement de valeur sur la position de Farès et Mostefaï.»
E- L'OAS mine les égouts de La Casbah et de Belcourt
Je ne sais pourquoi il a décidé d'oublier que c'est lui qui, en toute bonne foi, sans doute, a allumé la mèche, lorsqu'il nous a rapporté, au cours d'une de ses visites à Rocher Noir, que le colonel Debrosse, responsable de la gendarmerie française à Alger, l'informait, en tant que responsable de l'Organisation FLN d'Alger, que les égouts de La Casbah et de Belcourt étaient minés par l'OAS, et que, si par malheur, le projet de déflagration était mis en œuvre, il faudrait s'attendre à des dizaines de milliers de morts.
Une nouvelle qui modifia radicalement les données du problème.
En effet, depuis quelques jours, plutôt plusieurs semaines, des bruits persistants dans les milieux de la presse faisaient état de conversation entre le FLN et l'OAS.
F- Le Monde : 10 mai 1962
Interrogé par des journalistes dont Alain Jacob du Monde, je déclarais entre autres (Le Monde 30 mai 1962, page 4, 4e colonne) : «La situation de l'OAS est telle que ses dirigeants ont été amenés à prendre conscience de l'impasse dans laquelle se trouve cette organisation, on peut imaginer… soit que ses dirigeants voudraient justifier la cessation de leurs actions criminelles par des contacts entre l'OAS et le FLN, soit en vue de ressouder autour de l'OAS l'adhésion de l'opinion européenne et justifier, au contraire, la poursuite de son action, en soulignant le refus que lui oppose tout le monde de discuter avec elle.» Puis, plus loin : «Ce que nous pensons personnellement d'éventuels contacts entre le FLN et l'OAS c'est qu'ils sont parfaitement inutiles.» «Il ne fait aucun doute que l'indépendance sera proclamée le 2 juillet ainsi que la souveraineté de l'Algérie ; et s'il persiste des situations troubles, on pourrait les appeler, tout au plus, les péripéties de l'accession à l'indépendance.»
Sur ces entrefaites succédant ou précédant (?) l'information transmise par le colonel Debrosse via Azzedine, Belaïd Abdesselam, de retour de Tunis le 2 juin, après prise de contact avec le GPRA, me transmet le message de Benyoucef Benkhedda d'avoir à interdire, par tous les moyens, à Farès, de poursuivre ses contacts avec l'OAS. Réaction produite par la lecture d'un rapport confidentiel que Farès avait justement confié à Abdesselam à l'intention de Benkhedda.
Une explication s'impose pour la compréhension de cet épisode.
G- Double casquette du groupe FLN de l'Exécutif
Par réminiscence, probablement, de l'ambivalence du montage PPA-MTLD (1946), Benyoucef Benkhedda à l'occasion de sa présence à Rabat, quelques jours après le 19 mars motivée par l'arrivée des prisonniers d'Anlhoy, les 5 ministres du GPRA victimes de l'acte de piraterie aérienne de 1956, réunit les membres FLN présents à Rabat, prêts à rejoindre Rocher Noir où les attendaient les 6 membres désignés par le gouvernement français pour former l'Exécutif provisoire.
A cette séance, Benkhedda a exposé, explicitement, le double rôle de l'équipe qui représentait le FLN face à l'équipe désignée par le partenaire français représentant la population européenne et qui pouvait être considérée comme une troisième force, soit 3 Européens, Roger Roth, Jean Manoui, Charles König et 3 musulmans, cheikh Bayoudh, El Hassan et cheikh M'hamed.
Benkhedda a attribué à l'équipe FLN deux fonctions distinctes : l'une de gestion, telle que définie par les deux partenaires aux Accords d'Evian, relevant de la présidence de l'Exécutif, donc de Farès ; l'autre politique, de vigilance et d'orientation de l'activité du groupe FLN sous la direction de Chawki Mostefaï.
L'Exécutif était donc vu par le FLN comme un organisme à double fonctions, l'une officine mettant en œuvre la présidence de l'Exécutif ; l'autre occulte d'orientation, et de coordination interne du groupe FLN. Donc un système particulier où, en matière de gestion, Farès était mon supérieur hiérarchique, mais au plan politique et organique j'étais le suspérieur hiérarchique de Farès.
H- Contacts avec l'OAS
Lorsque l'OAS a éprouvé le besoin d'établir le contact avec le FLN, elle fait appel au maire de Blida, ami personnel de Farès, pour organiser une rencontre de J.-Jacques Susini avec Farès, pensant qu'il se branchait ainsi sur le FLN.
A la rencontre Farès-Susini du 18 mai 1962, dans une ferme, au pont de l'Alma (voir Carreras, l'Accord FLN-OAS, page 53), à laquelle je n'ai pas du tout assisté (ne le sachant même pas) comme l'a écrit par erreur le commandant Azzedine, Farès jouant le jeu du représentant, écouté, du FLN, a fait des promesses qu'il ne pouvait pas tenir.
Le 1er mai au Bordj de Jacques Chevallier, en compagnie de Jean-Marie Tiné, industriel à Alger, tous deux, en tant que Français libéraux, avaient accepté d'aider à la réconciliation des deux communautés, il s'est tenu une réunion à laquelle, en plus de Farès, assistaient du côté OAS, J.-J. Susini, le colonel Gardes, Raoul Bastianeto, Murat. Cette réunion a été consacrée à la discussion du contre-projet que Farès a proposé de substituer au projet délirant de l'OAS du 18 mai qui exigeait la double nationalité, le droit de veto, le double drapeau et autres incongruités de ce genre. C'est ce contre-projet que Farès a envoyé à Benkhedda par Abdesselam et qui lui a valu son interdiction de contact avec l'OAS.
L'engagement que Farès a pris le 1er mai d'obtenir l'aval du GPRA s'est soldé donc par un échec brutal, le 2 juin. La non-observation de la règle du jeu établie à Rabat, à savoir soumettre la proposition de Baujard au groupe FLN, comme l'exigeait l'élémentaire règle de discipline et de déontologie. Farès, homme politique entreprenant, a cru bon de s'approprier le monopole d'une opération tendant à la réconciliation des deux communautés dont il se voyait tirer un bénéfice politique certain. En s'appropriant également l'initiative du contact avec l'OAS (discussion avec Baujard, page 118, 1er paragraphe de Cruelle vérité de Farès), il s'est donné le droit d'une prise directe avec le GPRA en court-circuitant le groupe FLN et Mostefaï en particulier. La réalité est racontée par Fernand Carréras, directeur du Journal d'Alger de Jacques Chevallier, dans sa publication Accord FLN-OAS page 62, écrit grâce aux minutes de J. Chevallier, d'où sa fiabilité.
J- L'appel du pied du général de Gaulle
Après la réunion du 1er juin au Bordj de J. Chevallier, suivie de l'ordre brutal d'arrêter tout contact avec l'OAS, cette dernière attendit en vain la réalisation de la promesse faite par Farès d'intéresser le GPRA. Au bout de quelques jours, l'OAS, convaincue que Farès s'est joué d'elle, encore une fois, donna un coup d'accélérateur à ses exactions envers la population.
Le haut commissaire Christian Fouchet, mis au courant par Farès de l'interdiction à laquelle il ne pouvait se soustraire, se rend à Paris pour
20 heures en consultation. A son retour le lendemain, me demandant d'aller le voir, il me fit part de ses craintes d'une aggravation de la situation et de sa conversation avec le général de Gaulle qui, informé de la coupure des pourparlers Farès-Susini, exprima, à Fouchet, son sentiment qu'il ne voyait aucun inconvénient à ce que des pourparlers au plus haut niveau aient lieu entre l'OAS et le FLN, si cela devait ramener la paix, cela dans le respect des accords d'Evian.
Bien entendu, si le haut commissaire m'a fait part des états d'âme du président de la République, ce n'était pas pour satisfaire ma curiosité. J'en rapportai l'information au groupe réuni sur-le-champ. La conclusion immédiate était qu'il s'agissait d'un message discret exprimant le vœu du général de Gaulle et que le destinataire ne pouvait être que le GPRA, car cela dépassait nos prérogatives.
Cela, joint à la nouvelle du désastre humain qui risquait de se produire à La Casbah et à Belcourt, nous décidâmes d'en saisir le GPRA. Farès, Benteftifa et moi fûmes désignés pour porter le message et l'information.
K-Tripoli-Tunis – 7-8 juin
Le lendemain, le haut commissaire mit à notre disposition un avion. Après quelques péripéties d'ordre mécanique, puis frontalier, faute de visa libyen, nous arrivâmes la nuit tombée à l'hôtel Mehari, où résidaient les membres du GPRA. Nous trouvâmes Ben Bella et Mohammedi Saïd qui nous mirent au courant de la fracture du GPRA survenue le matin même et où le clan majoritaire avait suivi le président Benkhedda à Tunis.
Nos interlocuteurs sont mis au courant du motif de notre visite. D'une part, le danger imminent qui guettait la population algéroise, en cas de dynamitage des égouts de La Casbah et Belcourt, aggravé par une dernière menace émanant du colonel Godard qui avait préparé, disait-il à J. M. Tine, 40 camions équipés de mortiers pour détruire la «ville arabe», et, d'autre part, l'appel du pied du général de Gaulle, en faveur d'une négociation exigée par l'OAS, laquelle se disait prête, au nom de la communauté européenne, à reconnaître l'indépendance de l'Algérie et à cesser toute violence sous réserve d'une amnistie générale et de participation aux forces de l'ordre. Le lendemain,
je retrouve Ben Bella et le presse de me donner sa réponse sur la conduite à tenir. Voici en substance et fidèlement exprimée notre conversation ce matin-là :
«H'mimed, dis-je, j'aurais besoin, vu la crise du CNRA coupé en deux et la nécessité de mener la barque de l'exécutif et des contacts éventuels avec l'OAS, sans créer les conditions favorables à l'aggravation d'une crise ouverte et publique entre vous, préjudiciable à l'honorabilité de notre cause, et ce, à quelques semaines du référendum d'autodétermination prévu pour le 1er juillet, j'aurais besoin de connaître exactement vos sentiments quant à l'opportunité de pourparlers officiels avec l'OAS.»
La réponse de Ben Bella fut la suivante : «Cette décision est d'ordre gouvernemental. Nous sommes en état de scission. Notre groupe étant minoritaire, la fraction majoritaires qui est à Tunis est parfaitement habilitée à engager la Révolution.» «D'accord, dis-je, mais si la légitimité de la décision du GPRA ne peut pas être mise en cause, il n'en demeure pas moins qu'une attitude discordante en la matière, entre les dirigeants, risque d'annihiler les effets bénéfiques qu'on est en droit d'attendre des pourparlers envisagés, à savoir l'arrêt des massacres d'innocents et des plasticages des égouts et autres destructions.» «Ecoute, répond Ben Bella, dans notre gouvernement, la décision de la majorité s'impose à la minorité en vertu de la solidarité gouvernementale.» «D'accord, mais vous êtes déjà en conflit ouvert, comment la solidarité peut-elle jouer ?»
«Oui, la solidarité jouera, je te le garantis, c'est une parole d'homme, nous ne sommes pas des enfants.»
Ben Bella était-il sincère, à ce moment-là, et il aurait changé d'avis dans le cadre de son groupe ; ou bien était-ce déjà le piège ?
Le même scénario s'est passé à Tunis, le lendemain en fin de journée. Les présents, Benkhedda, Ben Tobbal, Aït Ahmed et Yazid, ont eu droit aux raisons qui ont motivé notre déplacement : l'OAS prête à reconnaître l'indépendance de l'Algérie, sous bénéfice de l'amnistie et d'une participation à l'ordre public. Les explications ont été largement développées par Farès qui avait négocié plusieurs fois et longuement avec Susini.
La contrepartie était essentiellement le sauvetage de quelques dizaines de milliers de vies à Alger, entre La Casbah et Belcourt. Aït Ahmed, informé de l'essentiel, n'a pas assisté à la suite de la discussion, donc à la réponse du GPRA, car il s'est excusé d'être sollicité par ailleurs.
En 1998 (le 29 juin), Benkhedda me fit tenir une note qu'il se préparait à publier comme mise au point de l'«affaire de l'accord FLN-OAS» et me priant de lui donner mon avis ; ce que je fis dans ma réponse du 29 juin 1999. Je disais ceci : «Motifs réels du déplacement de la délégation.»
«Dans la lettre de démission des membres FLN de l'exécutif provisoire, nous écrivions qu'à la suite d'une initiative de Farès qui avait pris des contacts avec l'OAS et de propositions paraissant positives, faites par Chevalier et Farès, trois membres FLN, Farès, Benteftifa et Mostefaï se rendaient à Tripoli puis à Tunis pour en informer le gouvernement (GPRA).»
Cela était exact, mais incomplet !
Puis : «En effet, les contacts de Farès débutant le 18 mai… se sont arrêtés le 2 juin sur ton injonction. Ce qui a entraîné l'intervention du haut commissaire Fouchet et l'appel du pied du général de Gaulle.» Il était clair que le groupe FLN n'était pas habilité à juger de l'opportunité de la démarche informelle du gouvernement français et qu'elle regardait les relations de gouvernement à gouvernement.
«Nous avions donc décidé de porter le message au GPRA pour en recevoir les instructions éventuelles.»
«Et si dans notre lettre, nous avons occulté la démarche informelle du général de Gaulle, c'était par souci de sauvegarder la liberté pour le GPRA de rendre publique ou non la démarche du gouvernement français.»
«C'est donc, écrivions-nous, en vertu d'une décision du GPRA, et non d'une initiative ou d'une proposition du groupe FLN de l'exécutif, que le contact avec l'OAS a eu lieu.»
L- Contact FLN-OAS
Le principe d'un contact étant retenu, J. Chevallier et J.-M. Tiné organisèrent la réunion du 15 juin 1962 dans une villa appartenant à J.- M. Tiné en contrebas de l'ex-hôtel St Georges. Etaient, outre les deux médiateurs, Suzini et Carnana pour l'OAS, Farès et moi pour le FLN. Cette réunion eut pour résultat un accord de procédure sur une déclaration du représentant FLN, réitérant et précisant les engagements de ses dirigeants en faveur de la population européenne, et une déclaration de l'OAS décrétant l'arrêt des hostilités et l'acceptation de l'indépendance de l'Algérie dans la coopération avec la France.
M- Discussion
Les projets de déclaration du FLN et de l'OAS devant être soumis à une lecture réciproque, deux clauses de notre déclaration, exigées par l'OAS, ont été montées en épingle, critiquées et même fait l'objet d'accusation de trahison : l'amnistie et le recrutement de 225 OAS dans la force locale.
Examinons le problème de l'amnistie.
1- Est-il possible d'imaginer que deux belligérants, en l'occurrence le FLN et l'OAS, après négociations, tombent d'accord pour cesser toute hostilité et tout acte criminel, sans qu'on passe l'éponge sur les exactions, crimes et violences commises, et que la paix revenue, des poursuites sont exercées sur le partenaire à l'accord, et ses actes jugés et condamnés a posteriori ?
2- Si les crimes de l'OAS sont tels qu'ils ne peuvent bénéficier d'aucune amnistie, pourquoi entamer les négociations avec cette OAS ou n'avoir pas rejeté explicitement toute possibilité de négociation. C'était très simple, à Tripoli comme à Tunis de dire non à toute négociation !
3- Y avait-il dans les deux clans, minoritaire et majoritaire, du GPRA, quelqu'un qui espérait, naïvement, que l'OAS abandonnerait son projet criminel de dynamitage des égouts d'Alger et le bombardement au mortier de La Casbah et Belcourt, sans être assuré d'une amnistie dans l'Algérie indépendante ?
4- Il est vrai que le fait d'interdire toute négociation avec l'OAS signifiait que l'auteur de pareille interdiction acceptait de sacrifier quelques dizaines de milliers de victimes innocentes. Personne n'a eu cette idée. Heureusement.
5- Si le CNRA, qui a rejeté toute idée, à Tripoli, de conversation avec l'OAS en vue de fournir des garanties supplémentaires aux Européens (Carreras, Accord FLN-OAS page 228) était placé devant la menace de déflagration de l'OAS, qu'aurait-il décidé : toujours niet ?
Car, en fait, l'hypothèse d'un bluff monumental n'est pas absurde.
Mais alors, montrez-moi celui qui peut jouer à «pile ou face» le sort de toute une population. Je constate que personne n'a osé le faire. El Hamdou lillah !
A part Belaïd Abdesselam qui était en mission à Tindouf pour prêter main-forte au wali Abdelmadjid Meziane, les militants de l'Exécutif, Krim Belkacem et le colonel Mohand Oul Hadj qui ont décidé de donner suite à l'accord du GPRA majoritaire et au non-désaccord du GPRA minoritaire, de pourparlers avec l'OAS, ont bien mesuré le caractère de l'obligation morale de respecter les engagements pris sous l'emprise de la menace ou du chantage. Les aveux consentis sous la torture policière ne sont pas probants aux yeux du juge. L'ouverture de votre coffre-fort devant un pistolet, même postiche, braqué sur vous, n'est pas une lâcheté, et si vous pouvez assommer et ligoter le bandit qui se baisse pour ramasser votre argent, on vous félicitera. On ne vous accusera pas de trahison.
N- Voyons le problème du recrutement
des 225 OAS dans la force locale
Je n'ai pas souvenance d'un quelconque recrutement malgré les pressions de l'OAS.
Farès, dans sa Cruelle vérité (page 130, 2e paragraphe) affirme : «L'Exécutif provisoire n'a procédé à aucune libération d'internés administratifs parce que ce n'était pas dans ses attributions, ni recruté 225 ATO, dont l'encadrement était déjà en majorité européen.»
Dans ma déclaration, concernant l'ordre public, je disais : «D'ailleurs, les forces algériennes du maintien de l'ordre, qui prendront la relève des gendarmes et des gardes républicains, doivent être les forces de l'Algérie tout entière. Tous doivent pouvoir en faire partie. Les mesures nécessaires seront prises en vue de l'exercice des droits civiques algériens afin que vous, Algériens d'origine européenne, participiez également à la sécurité en Algérie.»
Qu'est-ce à dire ?
Que par application de la Déclaration générale des accords du 19 mars 1962, en son chapitre II, 2, traitant des droits et libertés des personnes et de leurs garanties, «les citoyens français de statut civil de droit commun, remplissant certaines conditions de naissance et de résidence en Algérie, bénéficient de plein droit, durant 3 années, à dater de l'autodétemination, des droits civiques algériens» et «auront une juste et authentique participation aux affaires publiques», la sécurité en l'occurrence.
Ce qui est présenté, par certains historiens peu scrupuleux, comme une concession majeure de l'Exécutif aux assassins de l'OAS, n'est rien d'autre que la lecture d'une clause des Accords d'Evian.
A bon entendeur…
Conclusion
Que faut-il retenir de ce retour sur l'épisode de l'Exécutif provisoire ?
Pour certains, dont nous sommes, il a été l'articulation vitale entre le stade colonial et le stade de souveraineté nationale ; pour d'autres un organisme d'essence française préparant savamment le passage de l'Etat colonial à l'Etat néocolonial. La charnière du 3 juillet 1962 qui a mis fin à la légalité française et engendré la légalité algérienne ne semble pas avoir donné lieu à une prise de conscience du changement de nature de l'action et du statut des acteurs. Mais l'histoire est là avec ses vérités et ses impératifs.
La course au pouvoir de 1962 a perturbé l'échelle des valeurs dans les rapports entre les individus : on passe allègrement de l'amitié à la haine, du respect à la calomnie. Les membres du FLN qui ont adressé au GPRA leur démission, le 27 juin, entendaient protester contre l'injustice manifestée à leur égard, mais ont continué à soutenir, à bout de bras, l'outil vital qui était l'Exécutif.
Qui a compris leur geste ?
J'ai dû personnellement mettre à exécution ma démission après avoir assuré, en tant que responsable des affaires générales, donc de l'élection de l'Assemblée nationale constituante, l'approvisionnement à partir de Hollande.
Puis, n'acceptant pas l'injustice des dénonciations de notre action de pourparlers avec l'OAS, exécutées sur ordre, un impératif élémentaire de sauvegarde de ma dignité personnelle m'interdisait de continuer à coopérer avec mes détracteurs ; de plus, pour l'opinion de l'étranger, qui venait d'apprendre l'accession de l'Algérie à l'indépendance, un cadre désavoué se doit de relever le défi. C'est un problème d'honorabilité.
Enfin, mon rôle de coordinateur du groupe FLN est devenu caduc et faisant double emploi avec celui de Ben Bella chargé par le bureau politique d'assurer la tutelle de l'Exécutif provisoire. Je termine en citant deux passages de la correspondance qui a eu lieu entre Benkhedda et moi.
Lui, en conclusion de sa lettre du 29 juin 1998, écrivait :
«En fin de compte, je me dois, malgré tout, de rendre hommage aux frères du groupe FLN de l'Exécutif provisoire pour avoir conclu l'accord avec l'OAS. L'histoire leur a donné raison. Ils ont sauvé la population d'Alger d'un bain de sang et évité à la capitale algérienne des destructions massives et ruineuses. La nation leur en saura gré.»
Et moi, dans ma réponse du 17 juin 1999 : «Permets-moi, cher collègue militant de longue date et ami, de te renvoyer la balle. C'est à toi, en premier lieu, que la nation devrait être reconnaissante, puisque, sans ton accord, l'opération n'aurait jamais eu lieu. Il est vrai qu'il eut mieux valu que l'hommage rendu aux frères du groupe FLN de l'Exécutif provisoire fût écrit et communiqué, non pas en l'an de grâce 1998, comme c'est le cas, mais au mois de juin, 3e décade de l'an 1962. Ce n'est qu'une question de date, mais c'eut été si différent.»
Chawki Mostefaï


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