La presse nationale de ces dernières semaines s'est fait l'écho d'une campagne impulsée par la mouvance démocratique, tendant à l'abolition de la peine de mort en Algérie. Exploitant à dessein la célébration du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, des personnalités politiques et des représentants du monde associatif au parcours honorable ont joint leurs voix pour stigmatiser le maintien, dans notre système juridique, d'une sanction pénale -la peine capitale- qu'ils opposent au « principe du droit à la vie », consacré par la résolution onusienne du 10 décembre 1948. Justifiant leur quête d'abolition de la peine de mort en affirmant que celle-ci est souvent requise à l'encontre des « opposants politiques », mais surtout en invoquant le fait qu'elle est totalement dénuée du caractère « dissuasif », les pourfendeurs de la peine capitale assimilent son abolition à « un indice de développement du pays » qui la prononce (1). A l'évidence, de telles prises de position soutenues par des personnalités éminemment respectables peuvent dissuader de tenter d'apporter la contradiction sur un sujet aussi sensible, mais justement parce que la discussion sur la peine de mort est un débat de société qui transcende le cadre parlementaire et celui restreint des juristes et praticiens du droit, elle ne saurait échapper à une réflexion citoyenne. De ce fait, si les initiateurs de ce débat ont eu raison de souligner que la justice ne doit être ni « expéditive » ni soumise aux « contingences politiques », il conviendrait dès lors de s'interroger sur l'opportunité même d'un tel débat. - 1- La prégnance manifeste de l'idéologie des droits de l'homme sur le débat axé sur la peine de mort L 'histoire enseigne que les sociétés ne se préoccupent que des questions qu'elles sont censées résoudre, et il est à se demander si l'Algérie d'aujourd'hui doit se préoccuper d'une question aussi marginale qu'est l'abolition ou non de la peine de mort. En quoi, en effet, une telle question représente-t-elle une préoccupation fondamentale pour les Algériens ? Le recours à la peine capitale est-il d'un usage si répandu et si massif dans nos institutions judiciaires, qu'il nécessite un examen de fond au point de revendiquer son abandon ? Si dans les sociétés occidentales on a pu observer un intérêt certain pour l'adaptation des législations dans le pur respect de leurs traditions libérales, force est de constater en revanche que le débat axé sur la peine de mort revêt, en Algérie, toutes les apparences d'une tempête dans un verre d'eau, car ni les caractéristiques culturelles de notre peuple ni même le contexte choisi pour soulever la question de l'abolition de la peine de mort ne peuvent justifier l'alignement de notre législation sur celle des pays européens. A bien des égards, une telle velléité semble dériver d'un mimétisme doctrinal regrettable, davantage qu'elle ne s'inscrit dans une logique d'évolution de notre système juridique, en conformité avec les aspirations authentiques de notre société. - 2-Un débat foncièrement biaisé Aussi condamnables et révoltantes que puissent être les sentences de peine de mort que peuvent prononcer des régimes aux abois à l'encontre des opposants politiques, il demeure qu'en Algérie, un tel cas de figure ne fait pas recette et le commun des Algériens sait que la liquidation physique des opposants politiques emprunte souvent la voie redoutable des exécutions extra-judiciaires. De plus, en quoi l'abolition de la peine de mort peut-elle constituer un véritable rempart contre les dérives totalitaires ? Sauf à vouloir que l'arbre cache la forêt, il est grand temps pour la mouvance démocratique de réorienter le débat sur d'authentiques questions de fond et non pas de se contenter d'agiter l'épouvantail de la peine de mort, dont on sait qu'il ne saurait effrayer, dans notre pays, que les sauvages tueurs d'enfants, les décapiteurs sans vergogne de femmes victimes de viol et les autres criminels crapuleux. - 3-Un débat étrangement tronqué En tant qu'être humain, il n'est pas douteux que tout acte visant à transgresser le principe sacré du « droit à la vie » ne peut que susciter la réprobation, mais doit-on pour autant répudier sans discernement la peine de mort, lorsque celle-ci s'applique à des individus dont les pulsions criminelles les font davantage rapprocher du règne animal et les éloignent d'autant du genre humain ? Dans l'article où il déclare que « la peine de mort est irréparable », un ancien magistrat (2) fait étalage des états d'âme que lui inspire l'exécution du condamné à mort, mais pourquoi s'abstient-il d'évoquer la souffrance de l'enfant ravi à l'affection des siens, qui subit les pires atrocités avant d'être étranglé, découpé en morceaux et jeté dans un puits ? Comment invoquer le « droit à la vie » du condamné à mort lorsque celui-ci dénie le même droit à sa victi-me ? Non, la peine de mort n'est jamais prononcée avec désinvolture. Les magistrats sont des êtres humains, responsables et souvent aussi pères de famille. Ils ont tous un cœur mais aussi une raison. La peine de mort est un acte de justice et si elle n'a aucun caractère dissuasif, il en va de même pour toutes les autres sanctions. Dès lors, s'il faudrait l'abolir pour cette raison, il faudrait bien en élargir la mesure à toutes les autres peines. Notes de renvoi : 1) El Watan du 16 décembre 2008, p.2 . 2) Le Quotidien d'Oran du 08 janvier 2009. L'auteur est professeur de sciences politiques