L'influence s'effectue en un rythme inverse. Autant l'impact occidental s'élargit, autant les valeurs traditionnelles régressent et reculent pour se confiner dans des domaines étroits tant en pratique qu'en croyance. L'Orient devint alors une image déformée et contrefaite de l'Occident, une image non conforme non plus à son original. Cette image repose sur le copiage aveugle et la dépendance complète pour les uns, l'imitation prudente pour les autres, la recherche tant que possible de combinaisons et de compromis qui sont loin d'être des solutions à la problématique, bien qu'ils atténuent ses pressions pour d'autres, et reposant enfin pour le reste sur le refus pur et simple du modèle occidental. La raison de tout cela et le résultat en même temps en est que tout ce que l'on pense, l'on fabrique ou l'on invente en Occident provoque aussitôt un écho retentissant en Orient, d'où la multiplication des groupes, des courants, des doctrines et d'idéologies, de Jakarta à lest à Tanger à l'ouest (selon Malek Bennabi), chacun s'est fait un avis et une position envers l'Occident et sa civilisation. Dès lors, se sont multiplié les dénominations, les qualificatifs et les catégorisations de ces groupes, et paraissent pour cet effet les termes de progrès, de sous-développement, de conservatisme, de modernité, d'originalité, de contemporanéité, de passéisme, de progressisme, de réactionnaire, d'aliénation, d'imitation, de dépouillement de personnalité et autres termes utilisés par ceux-là même, pour se définir eux-mêmes ou taxer les rivaux, ce qui s'est répercuté sur leurs relations (croisement, complémentarité, opposition, contradiction, etc.) et taxé les espaces culturels arabes au niveau des élites de ce que l'on voit de controverse de fond, de désaccord et de convulsions, d'où le dégagement des deux camp opposés : le camps des partisans de l'Occident, les pro-occidentaux, et le camp des opposants de l'Occident, ceux qui en sont hostiles, qui le rejettent, sans distinction de degré des uns et des autres. Entre les deux, un camp s'affaire à les concilier en essayant de prendre le mieux de l'Occident tout en essayant de rester attaché à l'essentiel, au fondamental de l'entité orientale, arabomusulmane en l'occurrence. Il va sans dire que ce différend, voire ce désaccord, est le premier responsable de beaucoup de batailles allusives et de prétendues ou illusoires causes et de faux problèmes. Il va sans dire que l'Occident a offert implicitement ou explicitement un soutien sans faille à ses partisans et élites proches de ses thèses. Ce soutien a permis à beaucoup d'entre eux d'occuper des positions importantes et d'être influents en politique, en administration, en information, en économie et en éducation. Il a aussi régi et orienté leur conflit avec leurs opposants, le conflit, qui, au départ, était un conflit occidento-oriental, devient par la suite un conflit interoriental, un conflit par intérim et délégation, au profit de l'Occident et pour son intérêt. 2.2. Le conflit entre les élites orientales à la lumière de leurs positions de l'Occident était donc l'un des facteurs responsables de la situation d'impasse que connaît le monde arabe. Il a sa part de responsabilité dans l'échec des programmes et projets et plans de développement çà et là, vu l'impuissance des Etats nationaux de faire face aux différentes pressions et relever les défits extérieurs ou intérieurs, dont le conflit arabo-israélien et ses effets sur tous les niveaux. Car la contradiction entre les détenteurs des deux positions vis-à-vis de l'Occident ont mené directement au déséquilibre de l'équation espace-temps en Orient, notamment dans le monde arabe. Or, tandis que les conservateurs et ultraconservateurs rejettent l'Occident, méconnaissent l'élément temporel et l'ignorent en refusant de reconnaître que ce qui était valable pour les premiers siècles de l'hégire ne l'est pas forcément pour le XVe (en cours) dans tous les domaines, les pro-occidentaux et les ultra (modernistes ?) méconnaissent eux l'élément spatial et l'ignorent en refusant de reconnaître que ce qui est valable en Occident ne l'est pas forcément et dans tous les domaines en Orient, vu que le milieu n'est pas le même et que les peuples et les nations de l'Orient ont une civilisation différente sur plusieurs niveaux de celle des peuples de l'Occident. Une civilisation qui ne date pas d'hier et que l'Islam a peaufinée et façonnée à travers les siècles. Il est à noter que des plus paradoxaux des phénomènes de la vie arabe moderne est le fait que les Arabes n'ont pas réussi dans leur parcours d'imitation de l'Occident à copier et à apprendre l'une des plus belles manières et vertus de la civilisation occidentale, à savoir la démocratie et le respect ou l'acceptation de l'avis et l'opinion d'autrui. La mentalité orientale (arabe surtout) dans ce domaine est demeurée telle qu'elle était depuis toujours. Cela va pour tout le monde. Aussi bien pour les élites que pour les masses, pour les gouvernants que pour les gouvernés, pour les conservateurs que pour les pro-occidentaux qui se voient eux seuls détenteurs de démocratie mais en nient aux autres droit et vertus, en refusant de se plier à l'avis de la majorité. Cela repose sur la présomption et la confiance en soi qui ne laissent aucune marge de recul avec ce qui s'ensuit d'obstination et de despotisme et d'abus en essayant de l'imposer aux autres, par l'exclusion et le discrédit de leurs opinions. Cela a mené dans plusieurs cas à la congestion qui a engendré l'extrémisme et ses conséquences tragiques. 2.3. Le dépassement par les effets négatifs de la réalité orientale des frontières orientales à d'autres horizons (11sep. par exemple) est ce qui a poussé l'Occident représenté par la plus forte de ses composantes de nos jours – les USA – à penser à une intervention directe, utilisant la pression, l'obligation et la force si nécessaire, pour changer le reste des systèmes de valeurs et principes qui régissent la vie orientale – arabe surtout – tout en protégeant leurs intérêts, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. En proposant -, plutôt imposant, dans le cadre du projet «Grand Moyen-Orient» – des réformes et des solutions radicales à ce que l'Occident considère comme contradictions et défauts responsables de la conjoncture défectueuse. G.W. Bush, l'actuel président des USA, a affirmé cette volonté dans son discours du 20 janvier 2004 sur l'état de l'Union. «Tant que le Proche-Orient restera en proie à la tyrannie, au désespoir, à la colère, il continuera à produire des hommes et des mouvements qui menacent la sécurité de l'Amérique et de nos amis. L'Amérique poursuit donc une stratégie de liberté au Proche-Orient. Nous allons défier les ennemis de la réforme.» Il est évident qu'un tel projet n'est que raccourcissement des phases de la mondialisation et accélération de son rythme. Car l'unification des économies et la facilité des échanges commerciaux entraînent nécessairement le changement des mentalités et la modification des visions et idées pour les préparer à admettre et accepter le produit d'autrui et sa marchandise matérielle, intellectuelle et morale. Il est évident qu'une telle occasion sera saisie pour poser directement des questions et des thèmes que l'Occident n'osait faire jadis qu'indirectement et à travers les élites pro-occidentales sympathisant et alliées de ses thèses, entre autres la femme et la condition féminine en Orient et ce qui s'ensuivit, tel le code d'état civil et de la famille. Ces conditions et codes seront remodelés d'une manière laïque et reposeront sur les lois occidentales pour la plupart, et n'auront aucun lien avec la charia ou la jurisprudence musulmane ou ce qui reste de ce domaine. Cela va aussi pour les contenus des programmes scolaires, soit pour ce qui est de la langue d'enseignement, soit pour ce qui est du contenu de quelques disciplines : l'histoire, l'éducation religieuse, nationale et civique. Sans oublier la plus importante de ces réformes : imposer la démocratie en Orient en élargissant le cercle de consultation et de la participation à la prise de décision, et en «encourageant l'ouverture économique et le libre-échange». En s'appuyant sur les déclarations des chefs et hommes politiques occidentaux, ses intellectuels et ses économistes, il s'avère que ce projet «le Grand Moyen-Orient» n'est pas effet du 11 septembre, mais il lui est antérieur, les attaques auraient seulement accéléré son rythme. David Rothkopf, professeur des relations internationales à l'université de Columbia et haut fonctionnaire du département d'Etat au Commerce durant le 1er mandat Clinton, disait dans un article intitulé «De l'éloge de l'impérialisme culturel» : «Quant à la langue, les croyances, les systèmes politiques et juridiques et les traditions sociales, ils sont l'héritage des vainqueurs et enfants du marché» et après avoir clarifié que le but est que «les communautés séparées deviennent plus harmonieuses, alliées et fusionnées pour devenir à la fin plus semblables et uniformes», il dit que l'Amérique est la plus qualifiée pour conduire cette transformation parce qu'elle est «la nation essentielle dans la direction des affaires universelles et le producteur principal des produits et services informatiques durant les premières années de l'ère de l'informatique». Par conséquent, il est «dans l'intérêt de l'Amérique d'encourager le développement d'un monde où l'on dépassera les fissures culturelles qui séparent les nations, à travers les intérêts communs. Il est de l'intérêt de l'Amérique, si le monde se dirige vers une langue commune, que cette langue soit l'anglais.» Même chose pour ce qui est des télécommunications et des programmes de télévision. Le résultat de tout cela en est : «S'il se passe un développement de valeurs communes, elles seront forcément des valeurs qui feront le plaisir des Américains.» Les valeurs que les Américains apprécient et qui feront leur plaisir sont certainement les valeurs d'origine et de provenance occidentale sans doute. 3. Alors peut-on parler de possibilité de résistance à la mondialisation ? Et en supposant qu'elle soit possible, est-elle un choix ? La réponse est qu'elle ne l'est pas. Car l'on ne peut parler de choix que lorsqu'on est en face de plusieurs alternatives, ce qui n'est pas le cas pour les peuples de l'Orient en général, les Arabes en particulier, vu l'impuissance arabe générale et la non-disposition des outils de refus et de faire face dans ce domaine. Cela s'ajoute à l'actuelle division et divergences entre les élites dans l'ensemble des pays arabes d'un côté et dans chaque pays de l'autre. Ajoutons à cela aussi, la différence et la diversité de nos positions envers l'Occident en gros et en détail aussi, notre désaccord sur un minimum de ce que nous voulons de lui, car nous ne savons pas ce que nous voulons de lui exactement ! Voire l'on n'en sait même pas assez, bien que l'on croie le contraire. A ne pas oublier dans ce domaine aussi la force de l'attirance et de la séduction matérielle du bien-être occidental et le confort qu'il procure. Bien-être et confort auxquels beaucoup de gens ne peuvent résister, et qui mènent au moins à un dédoublement qui est l'un des aspects de la contradiction orientale dans ce qui est de la position envers l'Occident. – Alors la résistance à la mondialisation est-elle une nécessité ? Oui. La résistance à la mondialisation ou plutôt à ses effets intellectuels et culturels est une nécessité imposée par la réalité et la force des choses, l'histoire et tout ce qui nous sépare de l'Occident et nous en distingue. Notons au passage que l'Orient n'est pas le seul souffrant des effets négatifs de la mondialisation, parallèlement à l'organisation des forces de celle-ci, les forces de la résistance s'organisent elles aussi çà et là, surtout en Occident. Elles apparaissent à travers les grandes manifestations fréquentes, soit à l'occasion des différents sommets occidentaux, soit à l'occasions des congrès ou conférences économiques, sans oublier celles qui ont précédé l'invasion de l'Irak et son occupation. Bien que ces manifestations relèvent des disputes culturelles collatérales dans la concurrence interoccidentale dont on avait évoqué plus haut, elle offre une marge de manœuvre à ne pas gâcher comme d'habitude. 3.2. Résister à la mondialisation est donc une obligation et un devoir qui commence par la réforme. Et même si les réformes sont une exigence américaine, elles sont à vrai dire une exigence et une revendication essentielle, l'un des devoirs les plus persistants et les plus nécessaires dans le parcours de la résistance à la mondialisation. Des réformes qui doivent discuter et remettre en cause toutes les problématiques arabes chroniques telles que – Le problème de la démocratie et l'élargissement du cercle de participation au redressement de la situation et la proposition des solutions, et ce qui s'ensuit de ce que quelques-uns considèrent comme une crise de confiance entre les gouverneurs et les gouvernés çà et là. – Mettre en discussion avec courage la question des minorités et les problèmes qui y sont liés, problèmes de droits et des libertés essentiels, que ces minorités soient d'ordre ethnique, religieux, communautaire, confessionnel, politique ou linguistique et même tribal ou régional. – Questions de dialogue entre les différentes composantes de l'Orient sur tous les niveaux et bords, gouverneurs/ gouvernés, élites/ masses, ce qui mène à la reconnaissance de tout le monde par tout le monde. Ou du moins comprendre qu'il n'y a pas une partie qui détient la vérité à elle seule ou peut surmonter seule les situations difficiles. Car les pays sont pour tous, contiennent tout le monde et doivent être construits par tous. De cette manière cessera l'exclusion. Si le dialogue qui est le premier pas des réformes touche à ces questions fondamentales, le reste sera une évidence. L'équation temps-espace dans le monde arabe trouvera solution d'elle-même. Tout le monde saura où il faut s'arrêter dans le domaine de refus de l'Occident ou de le prendre comme modèle, et paraîtront par la suite les lignes à ne pas dépasser par ceux-ci ou ceux-là dans ce domaine, ce qui barrera la route aux Occidentaux et ne leur fournira pas de prétextes pour s'ingérer dans nos affaires et nous imposer ce qui ne nous convient pas. Résister à la mondialisation est un devoir et une nécessité que nous ne devons pas y passer outre, par le fait des conditions qui ne sont pas en notre faveur depuis des siècles. Nous ne devons pas non plus nous en distraire par les calmants occidentaux même s'il s'agit du dialogue des civilisations ou des religions ou des cultures, car nous ne détenons pas les outils et les conditions de ce dialogue. Les temps changent, les conditions aussi. Les civilisations sont des cycles, ce qui est sûr c'est que l'actuel cycle en Occident n'en est pas le dernier malgré tout ce qui a été dit de la fin de l'histoire. Rappelons pour conclure ce que nous avons déjà dit, que la mondialisation en tant que dernier terme en date dénominateur de la domination occidentale n'est enfin de compte, qu'on le veuille ou pas, que l'un des épisodes du conflit entre Orient et Occident en leurs sens civilisationnels. L'Occident avec sa civilisation d'origine judéochrétienne et son système de principes et valeurs, l'Orient avec sa civilisation arabomusulmane et son système de principes et valeurs. Ces deux systèmes ont représenté à travers les siècles par leurs variations (latines, germanique, anglo-saxonne, slave et autres pour l'Occident ; arabe, persane, turque et autres pour l'Orient) leurs déontologies, le fond intellectuel et civilisationnel du conflit qui a éclaté depuis 14 siècles entre deux modes de vie, chacun d'entre eux essayant de dominer l'autre. De là nous ne pouvons comprendre la sensibilité (négative ou positive) orientale, arabe surtout, envers la mondialisation, qu'en essayant de comprendre le parcours de la relation Occident-Orient à travers les siècles.