L'Algérie a traversé une crise aiguë en matière de ressources en eau, est-ce qu'on peut dire qu'actuellement elle est sortie définitivement de cette conjoncture difficile ? Les années 2003 et 2004 ont été exceptionnelles puisque la pluviométrie s'est relativement améliorée, surtout à l'Est et au Centre. Aujourd'hui, je peux vous dire qu'au niveau de ces deux régions, la situation s'est stabilisée. Reste la région Ouest où le taux de remplissage des barrages est faible et les réserves ne sont que de 6 mois si nous maintenons le rythme de distribution actuelle. C'est pour vous dire que désormais nous savons ce qu'il y a lieu de faire pour nous prémunir pour les 25 années à venir. Désormais, l'option recours aux eaux non conventionnelles est incontournable. Si, auparavant, l'option dessalement n'était pas envisagée, aujourd'hui cette attitude n'a plus lieu d'être. Il va de soi que les ressources conventionnelles renouvelables sont les premières à être sollicitées, mais le recours aux ressources non conventionnelles est nécessaire, soit pour équilibrer la balance besoins et ressources, soit pour assurer une certaine sécurité dans l'approvisionnement en eau. De nouvelles lois seront promulguées pour régir le secteur. Qu'est-ce qui va changer ? L'eau ne sera plus un produit abstrait et qui n'a pas de valeur. Avec le code des eaux, elle aura une valeur sociale et marchande. Le nouveau code des eaux qui doit passer par l'Assemblée populaire nationale prévoit d'interdire définitivement de prélever le sable des oueds, pour préserver les nappes, ce qui n'existait pas auparavant. Personne n'a le droit de faire un forage ou un puits sans payer une redevance. L'eau, c'est le bien de la collectivité. Nous allons renforcer la police des eaux, lui donner beaucoup plus de pouvoirs qu'avant. Nous avons prévu une gestion souple avec la concession, la gestion déléguée, et cela c'est nouveau. Nous avons fait entrer dans le code des eaux, les eaux non conventionnelles : le dessalement et les eaux usées. Avant, les eaux usées, on ne pouvait pas les traiter et les recycler pour les utiliser dans l'agriculture, alors que c'est prévu dans le nouveau code. C'est une manière d'économiser l'eau et de l'utiliser d'une manière plus saine, au lieu de la laisser partir dans les oueds ou dans la mer. C'est une loi qui va légiférer pour les 25 ans à venir. La gestion de l'alimentation en eau potable de la capitale va être confiée à l'entreprise française Suez. N'est-ce pas là le prélude d'une privatisation ? Qu'est-ce que cela va impliquer pour les consommateurs ? Généralement, la gestion des réseaux d'alimentation en eau potable se fait par des entreprises qui détiennent une technologie. L' Algérienne des eaux (ADE) et l'Office national de l'assainissement (ONA), quel que soit leur niveau d'évolution, trouveront des difficultés à garantir de l'eau H24. Qu'on le veuille ou non, nous avons besoin d'un partenaire étranger dans ce domaine. On ne peut pas y échapper. A Alger, il n'y a que la partie Est qui reçoit l'eau H24 ; les parties Centre et Ouest ne sont pas alimentées régulièrement. Actuellement, elles ont de l'eau tous les jours, mais la plage horaire est très réduite. Il faut se poser des questions. On a déjà engagé des travaux de rénovation du réseau d'Alger. Le gros est terminé, mais la situation ne s'améliore pas. Il y a encore des pertes, des répercussions et un système de gestion qui n'est pas encore cohérent. Je crois qu'il est fondamental de faire appel à une entreprise étrangère. Il y a un diagnostic qui a été fait par Ondeo, filiale de Suez, qui est actuellement en négociation depuis trois ou quatre mois avec l'ADE et l'ONA. On devra aboutir à un contrat de gestion déléguée sur un certain nombre d'années avec un cahier des charges dans lequel on exigera qu'on remette à niveau l'ensemble du système de gestion du réseau de distribution de l'eau et de l'assainissement d'Alger, d'une part, et de garantir à partir d'une ressource qui existe une alimentation saine et H24 aux habitants de la capitale, d'autre part. Parce qu'on ne peut pas revoir la tarification si la qualité des services reste la même. Les négociations sont en bonne voie pour aboutir. Au bout d'un certain nombre d'années, cela peut aller de 3 à 7 ans, si cela se justifie et si le partenaire souhaite prendre en concession le réseau, nous ne sommes pas contre. Ce ne sera pas une privatisation. On ne privatisera pas ce service public. Quel sera donc le rôle de l'ADE et celui de l'ONA ? L'ONA et l'ADE vont créer une société par actions (SPA). C'est donc une société à gestion souple. Cette SPA va signer un contrat avec Suez pour gérer l'AEP (alimentation en eau potable, ndlr) de la ville d'Alger. L'ADE et l'ONA seront propriétaires. Ils contrôleront l'exécution du cahier des charges et leurs personnels seront à la disposition de Suez. Le conseil d'administration sera présidé par la SPA. La facturation sera également gérée par la SPA. En fin de parcours, il ne devra y avoir qu'une bonne gestion. C'est juste une coopération technique. Quand est-ce que Suez commencera à gérer l'AEP d'Alger ? Ils sont en cours de finalisation du contrat. Ils discutent les aspects performance et les aspects financiers. Reste les derniers détails. Cela doit intervenir au cours du premier trimestre 2005. Nous nous sommes donné comme objectif de tout finaliser avant la fin de l'année pour que le travail commence début 2005. Une fois cette expérience réussie, on l'élargira à Oran, à Constantine et à Annaba. Un nouveau système de tarification est en préparation. Quand interviendra le réajustement des prix de l'eau et de quelle manière ? La nouvelle tarification de l'ADE continuera à sauvegarder les citoyens de la couche dite sociale. En fait, le projet prévoit d'aller progressivement vers des tarifs d'équilibre liés au coût de l'exploitation, dans un premier temps, car les tarifs de l'électricité augmentent. Il faut au moins aligner les prix avec les augmentations qui ont eu lieu pour permettre à l'ADE de garantir le service public. Et dans un second temps, vers des tarifs liés à la taille de l'investissement. Les petits ménages qui consomment 40 à 45 m3 ne ressentiront pas le réajustement de la tarification. Seuls les gros consommateurs payeront le juste prix. Bien sûr, l'Etat va payer la différence pour les petits consommateurs dans un cadre budgétaire transparent. Logiquement, ça sera appliqué au cours de l'exercice 2005. On n'a pas encore finalisé tout le texte. Il faut asseoir la base juridique, il faut faire tous ces réglages. Une commission a été mise en place pour assainir l'industrie des eaux minérales. Qu'en est-il au juste ? L'objectif est de mettre un peu d'ordre dans ce secteur et non de bloquer ceux qui sont en train de produire. La question ne se pose pas en ces termes. Mais il faut mettre de l'ordre au niveau de la qualité et de l'étiquetage de la bouteille. Pour faire la part des choses entre une eau minérale et une eau de table. Pour remettre à niveau tout le monde durant les six premiers mois de l'année 2005, tous les dossiers doivent être étudiés pour classer les eaux minérales et les eaux de table et pour obliger les producteurs à le préciser sur leurs affiches pour faire la différence en termes de prix et de qualité. Il n'y a pas beaucoup d'eaux minérales sur le marché, effectivement. Mais notre objectif n'est pas d'arriver à l'arrêt ou à la fermeture d'une unité de production quelconque ou de décourager les producteurs à l'avenir. Loin s'en faut. L'essentiel est d'arriver à ce qu'il y ait de la transparence et de la traçabilité au niveau du produit. Nous voulons au contraire encourager la production pour faire baisser les prix. Pour que le citoyen l'achète moins cher. Nous savons à peu près quelles sont les eaux minérales qui sont de qualité et celles qui ne le sont pas. Notre objectif est de préserver le citoyen. La commission a six mois pour étudier tous les dossiers et assainir le secteur. Certaines entreprises nationales s'estiment lésées dans l'attribution des marchés dans le secteur de l'eau, alors que les entreprises étrangères sous-traitent avec elles dans 100% des projets… C'est totalement faux. Tous les appels d'offres sont ouverts et sont nationaux et internationaux, que ce soit pour les grands, les moyens ou les petits projets. Le principe cardinal, c'est l'appel à la concurrence. C'est pour avoir l'entreprise qui demande le moins, qui réalise avec les meilleurs coûts et dans les meilleurs délais. C'est cela notre objectif. Il y a tout un système de contrôle qui inclut le ministère, les directions de l'hydraulique, l'Agence nationale des barrages et l'Algérienne des eaux. Un deuxième contrôle se fait au niveau de la commission des marchés pour les marchés d'un certain montant. Le problème est ailleurs. Les entreprises nationales qui ont des capacités de réaliser de grands projets ont toutes un plan de charge énorme, des fois plus que ne leur permettent leurs capacités. Il y a beaucoup de retard dans la réalisation de projets. Il y a des entreprises qui ont mis plus de dix ans pour réaliser un barrage. Qu'on le veuille ou non, au niveau des grands projets, il faut un savoir-faire pour dominer les technologies. Ce qui doit être encouragé, ce sont les groupements d'entreprises algériennes et étrangères. C'est ce qui se fait de plus en plus. Par exemple, le barrage de Taksebt a été confié à un groupement canadien qui avait fait une offre moins chère et qui s'est associé avec trois entreprises algériennes. Quels sont les projets qui seront réalisés dans le cadre du programme de consolidation de la croissance économique ? Le ministère des Ressources en eau, entre autres institutions, est très fortement impliqué dans le processus. Du fait même de la nature essentielle de la ressource que nous gérons, nous nous trouvons au cœur de ces efforts de développement et de maintien de la croissance. Il n'y a pour cela qu'à citer les nombreux projets réalisés et en cours de réalisation pour se rendre compte des retombées économiques incalculables autant pour le pays dans son ensemble qu'au niveau des collectivités locales. C'est-à-dire l'importance vitale de ce secteur qui a déjà mobilisé près de 30 milliards de dollars depuis l'indépendance à ce jour. A ce titre, le programme que nous évoquerons a été doté d'une enveloppe de plus de 500 millions de dinars pour améliorer la couverture des besoins en AEP et pour prévenir des aléas climatiques. En chiffres et dans le détail, notre stratégie intègre les projets suivants : la réalisation à l'horizon 2013 de 14 grands barrages, d'autres sont en chantier et devraient être réceptionnés dans les années à venir. 4 barrages ont été réceptionnés ce dernier trimestre, il s'agit de Skika à Tlemcen, Kramis à Mostaganem, Koudiar Rosfa à Tissemsilt et Tiledir dans la wilaya de Bouira. Ces barrages sont d'une grande importance pour l'agriculture et l'AEP des villes situées à proximité de ces ouvrages. L'autre priorité est donnée à l'achèvement de l'important programme de réalisation de transfert des eaux du barrage de Beni Haroun vers 6 wilayas de l'Est (Jijel, Mila, Constantine, Oum El Bouaghi, Khenchela et Batna) destinées à l'AEP et à l'irrigation de 30 000 ha de terres agricoles. Autre axe pour augmenter les ressources, le programme de forages pour mobiliser l'équivalent de 80 millions de mètres cubes par an. Pour les besoins de l'irrigation, il y a la réhabilitation de plus de 200 retenues collinaires en exploitation et la réalisation de près de 300 autres. La gestion de ces ouvrages sera décentralisée et passera sous l'autorité exécutive locale avec le comité d'irrigants pour garantir une gestion rationnelle. Une multitude d'actions sont menées par le gouvernement avec un important budget pour qu'à l'horizon 2009 le problème de l'eau soit mieux maîtrisé en amont et en aval, la question de la ressource étant de mieux en mieux appréhendée. Où en est le Plan national de l'eau ? Dès 1990, le besoin de disposer d'un système de planification des ressources en eau s'est fait sentir. D'où l'initiation en 1992 d'un plan national de l'eau qui a été achevé et validé pour les régions hydrographiques chott Chergui (Oranie) et Cheliff Zahrez (Cheliff). Du fait de la jeunesse du projet, les deux autres régions hydrographiques Algérois-Hodna-Soummam et Constantinois-Seybouse-Melegue n'ont pas encore vu achever leur Plan national de l'eau qui arrivera à terme en février 2005. Le Plan national de l'eau connaîtra une extension dans les années à venir à la cinquième région hydrographique du Sahara. Il devrait être enrichi et consolidé par l'étude générale sur le dessalement de l'eau de mer et par d'autres études de plus grande envergure en cours de finalisation.