Un ami rencontré a tenu à me faire lire l'information suivante sur une machine qui en est déjà à sa deuxième version et qui, à terme, devrait remplacer tous les livres. En fait, il s'agit d'un lecteur de livres électroniques dont le nom mérite son poids de marketing : le Kindle 2. Traduction très libre : l'Allumant 2. On peut penser avec noirceur que cet engin entraînera un autodafé gigantesque de tous les livres en papier de la planète. On peut aussi voir les choses sous un angle serein et se dire que ce nom rappelle les livres de chevet et la petite lumière portée sur nos lectures nocturnes. On peut aussi être enthousiaste et se dire : qu'importe le support, le livre est d'abord écriture et, avec ou sans papier, il « allume » le savoir, l'imagination, la découverte. La chose a de sérieux arguments : un format de livre moyen sous forme d'écran six pouces ; une épaisseur pas plus grande qu'un crayon de cahier (c'est précisé) ; une autonomie supérieure de 25 % au modèle précédent. Ajoutons une vitesse améliorée pour « tourner les pages » d'une simple pression du pouce. Mais surtout, une capacité de deux gigabits soit plus de 1500 livres ! Chacun pourra se trimballer avec une véritable bibliothèque ambulante, portable et disponible H 24 ! C'est pas beau la technique ? Coup de grâce du fabricant aux sceptiques : 230 000 livres sont déjà téléchargeables dont 103 des 110 best-sellers de la fameuse liste du New York Times pour la somme de 9,99 $ (prix psychologique) par livre. Disponible la semaine prochaine dans les magasins du monde avancé, ce livre électronique universel coûtera 359 $. L'ami dont je vous parle était horrifié. Comment abandonner ce toucher si particulier d'un livre, son odeur qui avec le temps se bonifie tel un parfum ancien, ce contact charnel avec les pages, ce compagnonnage qui se noue avec un ouvrage ? On fermerait toutes les bibliothèques (précisons qu'il a connu son épouse à l'ancienne B.N. d'Alger), les librairies, les imprimeries… ! On irait dans la même échoppe charger vulgairement sa puce de mobile et télécharger un livre ! Il y voyait la fin radicale de toute civilisation. J'ai eu beau faire valoir l'intérêt écologique… Il a éclaté d'indignation : « Les arbres ? Mais le papier vient des pays développés qui prennent soin de régénérer leurs forêts, tandis que les savanes d'Afrique et les jungles d'Asie partent en fumée et que l'Amazonie devient une peau de chagrin ! » J'ai même tenté l'hypothèse d'un piratage, sans doute honni, mais qui mettrait peut-être à la portée des démunis tous les trésors livresques du monde. Tenté aussi la perspective d'une baisse des prix quand le produit sera plus diffusé, façon micro-ordinateurs. Ce fut pire. « Non pas toi ! Qui écrit une chronique culturelle ! Tu sais bien que le livre est un tout, forme et contenu. Cette machine mettra fin au livre dans un monde sans culture et sans âme. » Puis, pour me convaincre davantage, il reprit son BlackBerry flambant neuf pour me lire la suite de l'information sur Internet.