Il y a maintenant quatre ans, presque jour pour jour, soit le 24 février 2005, la galerie Arts en Liberté de Kouba exposait un certain « collectif de Maghnia ». Comme à son habitude, l'animatrice de la galerie, Ouahiba Adjali avait surpris son monde et le microcosme artistique algérois découvrait des peintres aux expressions modernes, parfois étonnantes, en tout cas emplies de fraîcheur et d'originalité. Une surprise pour beaucoup qui découvraient ces artistes venue des confins de l'ouest, dans cette ville frontalière de Maghnia que des préjugés réduisent encore à la contrebande, sans doute bien active, mais qui, par les frasques de son trafic, camoufle toute la vie d'une agglomération ainsi que son histoire culturelle. Derrière les faits divers du trabendo se cachent l'antique cité romaine de Numerus Syrorum ainsi que la légende de Lalla Maghnia, femme exceptionnelle dont les habitants encore la mémoire. Se cache aussi un enfant de la ville qui est un des plus grands artistes de l'Algérie, Mahdjoub Ben Bella. Celui-ci est hélas plus connu dans le monde que dans son pays. . Il est considéré aujourd'hui comme un maître de l'abstraction en France où il vit, mais aussi dans de nombreux pays où il a exposé ou réalisé des œuvres monumentales comme à l'aéroport de Ryadh en Arabie Saoudite ou au stade de Sao Paulo au Brésil où une de ses créations a été projetée sur 4000 m2. C'est dire que les peintres de Maghnia ont de qui tenir, bien qu'ils regrettent de ne pouvoir entretenir avec leur aîné des relations qui leur permettraient de bénéficier de son expérience et de son soutien. Un tel parrainage n'aurait pas été inutile pour enclencher leur dynamique qui a dû traverser des moments difficiles, des périodes de doute et d'abattement. Mais, ils ont su cependant venir à bout de l'adversité et franchir une étape décisive. On retrouve trace de leur longue émergence dans les années 80 déjà quand était apparu le groupe dit Les quatre de Maghnia et où figuraient Arzazi, Hamidi, Mahboub et Souadji, tous s'inscrivant dans une démarche contemporaine. Ce noyau de pionniers avait participé à plusieurs expositions collectives en Algérie, à partir de leur première apparition en 1982 à la bibliothèque municipale de Maghnia jusqu'au début des années 90. Ils avaient aussi réussi quelques incursions dans les galeries étrangères à Alicante en 1986 ainsi qu'à Oujda, ville la plus voisine du Maroc, durant trois printemps successifs (90, 91 et 92). C'est sans doute à partir de cette expérience initiale que s'est développé le collectif des peintres qui s'est étendu à d'autres artistes locaux et prit progressivement de l'importance. Les peintres d'Alger et des autres grandes villes du pays, qui connaissent des difficultés réelles, devraient cependant trouver des ressources de courage, sinon un exemple, dans l'admirable volonté de ces artistes, vivants dans un certain isolement culturel, de plus dans une ville qui, par la force des choses (fermeture des frontières algéro-marocaines), est devenue une sorte d'impasse. En 2005, presque au moment où Alger découvrait trois de ces peintres à la galerie Arts en Liberté, le collectif franchissait une étape décisive avec l'acquisition et la création d'un espace. C'était la naissance de Riwaq el Fen dans une ancienne église construite en 1877 et tombée complètement en ruines : toiture effondrée, portes et fenêtres défoncées, parois fissurées… Devenue un repoussoir où s'accumulaient toutes sortes de gravats et déchets, elle apparaissait comme une verrue en plein centre de Maghnia, sur le boulevard du 1er Novembre. Ce repoussoir était pourtant l'objet de bien des convoitises, son emplacement en faisant un lieu idéal pour construire ou établir un commerce ou tout autre projet. Depuis près de 25 ans, les artistes de Maghnia revendiquaient un espace d'exposition et de rencontre. En 2005, l'APC opta pour la solution culturelle, débloqua un budget spécial et entama les travaux de réfection de la bâtisse. A l'issue du chantier, elle affecta le lieu aux artistes en leur octroyant une aide pour un premier aménagement intérieur. Ainsi Maghnia se vit dotée d'une galerie d'art quand de grandes villes en demeurent dépourvues. On peut citer ici la capitale régionale de l'ouest, Oran, qui est la deuxième ville du pays et qui ne comprend aucune galerie aujourd'hui ! L'APC de Maghnia peut être félicitée et même distinguée. En effet, la plupart des communes se désintéressent complètement de la vie culturelle, quand elles ne considèrent pas les artistes qui les habitent comme des extra-terrestres ou des dérangés mentaux ou se contentent parfois de les convoquer pour produire des œuvres de commande liées à telle ou telle célébration. La plupart des présidents d'APC interrogés sur leurs contributions culturelles invoquent le manque de moyens, l'absence de budgets ou, bien sûr, les priorités sociales ou autres... Maghnia, qui est loin d'être une des agglomérations les plus riches d'Algérie, donne là une leçon à ses pairs. Il existe partout des lieux désaffectés qui peuvent être récupérés, restaurés et voués à des activités culturelles. Aujourd'hui, l'ancienne église, incluse dans le patrimoine communal de Maghnia, est placée, depuis son affectation en tant que lieu culturel, sous l'égide du Conseil culturel communal (CCC), une structure qui est prévue par la Loi et qui, encore une fois, est inexistante ou formelle dans la majorité des communes algériennes. Un des membres du collectif des peintres de Maghnia, Mahboub, siège au conseil communal où il est chargé des arts plastiques et de l'animation de la salle. Ainsi, par cette application intelligente des dispositions légales, le collectif dispose d'une assise institutionnelle. Un lieu vivant Lors de l'ouverture, Ahmed Hamidi, professeur d'art plastique et membre du collectif, avait déclaré au correspondant régional d'El Watan : « Les peintres de notre ville ressentent un certain bonheur avec l'ouverture de cette galerie, un souhait émis depuis plusieurs années et qui vient d'être exaucé. C'est une acquisition qui est l'aboutissement de plus d'un quart de siècle d'efforts. Le mérite revient à plusieurs parties dans cette grande ville qui, quoi qu'on en dise, est une ville de culture. Nous espérons seulement que cette infrastructure sera le point de départ d'une activité intense et florissante. (…) Je vous informe que depuis son inauguration, beaucoup d'artistes émettent le vœu de venir exposer chez nous. » Aujourd'hui, la galerie se présente sous un aspect agréable qui laisse deviner sa première affectation et permet de témoigner ainsi de l'histoire de la ville. Elle comprend une salle principale et deux petites ailes s'étalant sur 240 m2 de surface au sol avec un espace vert qui a retrouvé ses couleurs florales. Les habitants de Maghnia ont déjà accueilli avec plaisir cette transformation du repoussoir en un lieu qui embellit le centre de la ville. Et, beaucoup, même s'ils ne s'intéressent pas à l'art, en ressentent un motif de fierté, d'autant qu'ils souffrent de l'image négative collée à leur ville. La salle d'exposition a été équipée de manière sommaire en panneaux de bois fixes et mobiles ainsi qu'en socles pour l'exposition d'œuvres en volume. On est loin encore des standards d'une galerie professionnelle. Mais quand on mesure le chemin parcouru, il s'agit là d'une acquisition extraordinaire dans le contexte local, sinon national par son originalité. C'est devenu un lieu vivant où les artistes peuvent se rencontrer, échanger, exposer leurs œuvres, monter des projets communs. C'est aussi un lieu pour les citoyens et particulièrement les jeunes qui viennent découvrir l'art, discuter, s'exprimer. Tout cela est d'un impact énorme à l'échelle de Maghnia et même de la région puisque désormais des artistes de l'Oranie mais aussi de l'ensemble du pays demandent à être exposés. Depuis l'ouverture de Riwaq El Fen, l'art a retrouvé sa place à Maghnia, avec une programmation encourageante qu'envieraient de nombreuses autres villes. Ce sont huit expositions personnelles qui se sont tenues ici ainsi qu'une dizaine d'expositions collectives. Le groupe s'est aussi attelé à semer des graines autour de lui et ainsi, en collaboration avec les écoles, deux expositions de dessins d'enfants ont été organisées avec un impact considérable. A cela, s'ajoutent une exposition de calligraphie arabe, trois expositions de photos dont une consacrée à la ville de Maghnia, qui a drainé un public passionné, et diverses manifestations occasionnelles. Soit en moyenne près de huit manifestations par an ! Dernièrement, Riwaq el Fen a participé à l'exposition en réseau montée en solidarité avec Ghaza. Le collectif a repris en outre une ancienne tradition, la semaine d'information sur les arts plastiques, visant à promouvoir le goût et la connaissance du beau dans le grand public. Les trois premières avaient eu lieu dans les années 80, la quatrième en 2006 et actuellement la cinquième se prépare activement. Ce travail de diffusion sociale de l'art, auquel tiennent particulièrement les artistes de Maghnia, s'est enrichi cette année d'un pôle permanent avec le lancement en janvier de l'atelier dessin pour les jeunes talents. L'étape prochaine consistera à lancer un atelier de céramique d'art. L'énergie et l'enthousiasme ne manquent pas. Les autorités locales et l'APC apportent toute l'aide possible. Mais celle-ci est insuffisante et le ministère de la Culture qui a remarqué la qualité de cette initiative devrait lui apporter prochainement une aide plus significative. Le collectif attend aussi des contributions de mécènes publics ou privés pour assurer le développement de son programme. L'aide attendue porte sur un système d'accrochage et d'éclairage, l'acquisition d'un four à céramique, la dotation de chevalets et de matériel de peinture et dessin pour l'atelier enfants et jeunes. Autre rêve de ces passionnés : l'ouverture d'une bibliothèque artistique où les artistes confirmés mais surtout les jeunes pousses pourraient consulter des ouvrages d'art, de patrimoine, des essais sur la culture et l'art et si possible, des rangements. Avec Maghnia, l'art a gagné une place forte qui mérite tous les soutiens et contributions.