De la beauté du geste naissent des formes abstraites qui témoignent d'une véritable évolution de l'artiste... «Il y a une sorte de maturité qui se dégage des lignes qui émergent de ses sculptures pour raconter des fables sur la société dans laquelle il vit, à travers des pierres», explique Ouahiba Aboun Adjali, responsable de la galerie Arts en liberté, sise au Panorama, Kouba. Younès Boutrif qui y abrite aujourd'hui sa première exposition rétrospective, est né le 1er septembre 1956 à Alger. L'ironie du sort a voulu qu'il vive aujourd'hui à Hadjrat Ennous, à mi-chemin entre Ténès et 20 km après Cherchell. C'est là où il a décidé de s'exiler et de mettre sur pied son atelier, un vrai monde fantasmagorique. Wahiba Adjali ne tarit par d'éloges: «Younès est un artiste entier, c'est l'essence même de l'artiste. C'est quelqu'un qui n'a aucun a priori, aucun calcul dans son art. Il est totalement dans l'extrême sensibilité dans laquelle il vit. Il a grandi avec cette passion incroyable pour les pierres». En effet, très tôt, cet étrange personnage est attiré par les pierres. Dès l'âge de onze ans, il commence à les chercher et à les collectionner comme d'autres collectionnent des timbres. Mais lui, il persiste. C'est en 1977 qu'il commence à faire de la sculpture, son activité principale en exerçant parallèlement le métier de marbrier. Dans la galerie d'art où sont disposées çà et là, 127 de ses sculptures, Younès Boutrif fait corps avec cette matière qu'il taille à l'aide d'un burin et d'un marteau pour faire immerger de la finesse, des idées qu'il laisse deviner sur les problèmes de la ville, les maux de la société qui nous entourent. Ses pierres parlent à nos yeux, expriment des émotions que la beauté du geste qui s'en est occupé a extirpées. L'exposition qu'on découvre aujourd'hui avec grand étonnement regroupe différentes matières ; roches et couleurs.«Il y a un grand mélange dans mes sculptures», témoigne Younès Boutrif. Cet être sauvage, profondément révolté qui va jusqu'à briser parfois ses oeuvres lorsqu'il rencontre l'incompréhension, car, dit-il, «mes sculptures ne s'achètent pas qu'avec de l'argent». Dans ses oeuvres, on retrouve diverses formes, un peu enchevêtrées l'une dans l'autre, notamment animales ou humaines. De la réflexion brute qui met en exergue des idées, du génie et du symbole. A l'image de cette sculpture intitulé Vénus Dz, Mon Algérie handicapée, confie Younès Boutrif, représentée par cette femme mutilée et au cerveau apparent. Têtu, l'artiste part parfois des jours, voire des semaines en montagne, à la recherche de pierres qui lui parlent. Ce sont de véritables joyaux qu'il a découverts aujourd'hui. Du marbre au calcite, le granit à la serpentine ou le cristal de roche, tout se transforme en oeuvre d'art quand se posent sur elles les doigts de fée de Younès Boutrif. «C'est tout cela Younès Boutrif : un artiste dont l'extrême sensibilité est recouverte par cette couche et cette protection un peu rude qui lui permet de survivre. C'est ainsi qu'il sculpte parfois simplement pour la beauté du geste, telle cette étonnante et émouvante création réalisée dans la mer et qu'il a patiemment taillée durant des mois, chaque fois que l'eau acceptait de reculer quelques heures pour le laisser travailler», souligne la galeriste. Pétri d'amour et de tolérance aussi, Younès Boutrif a eu déjà le privilège de rencontrer le pape Jean-Paul II et lui a offert L'Etoile de la paix des trois religions monothéistes. Aussi, indique Madame Ouahiba Adjali, «on commence à voir émerger de son travail des formes un peu plus pures, plus abstraites qui préfigurent d'une évolution certaine de cet artiste». Ouverte jusqu'au 7 octobre, l'exposition mérite le détour.