Pouvez-vous nous décrire Alger au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et les raisons qui ont incité la population à se soulever ? Il faut dire qu'avant d'évoquer cette date il est bon de rappeler le débarquement des Alliés à Alger en 1942 et le formidable engouement qu'il avait suscité. Le PPA avait créé et organisé les Amis du manifeste et de la liberté. On avait donc un mouvement pour encadrer la population et servir d'interlocuteur. On voulait démontrer aux Américains, qu'à l'instar des peuples du monde, les Algériens aussi aspiraient à la liberté et à l'indépendance. La date du 1er Mai 1945 était la plus indiquée pour marquer notre refus du joug colonial. La manifestation a été décidée par le PPA. C'est le regretté Mohamed Belouizdad, responsable du parti à Belcourt, qui nous avait réunis le 30 avril 1945, à la rue de La Fontaine, chez Ahmed Ouroua. Il y avait Yousfi M'hamed, Mahsas Ahmed, Benslimane Mohamed, Larabe Mohamed, Tazir-Bacha Belhaffaf… Quels étaient les mots d'ordre ? La première consigne consistait à ne pas avoir d'armes blanches, car l'objet de la manifestation était purement pacifique même si la revendication de liberté était sur toutes les lèvres. Notre comité avait fait courir la rumeur que la manifestation allait se dérouler aux Champs de manœuvre pour tromper les autorités. D'un autre côté, on ne devait pas défiler avec la CGT et le PCA qui avaient pris des positions contraires à celles du PPA. On avait beaucoup d'espoir, car pendant la Seconde Guerre mondiale, on nous avait tranquillisés quant à une issue positive de la décolonisation. Que s'est-il passé exactement pendant la manifestation ? A l'heure du rassemblement, on a marché vers la rue Dumont Durville (Ali Boumendjel). Arrivés à l'entrée de la rue d'Isly, nous devions attendre les manifestants venus des quartiers de La Casbah, d'El Biar, de Chéraga, etc. Au niveau du Casino, une cinquantaine de policiers en uniforme nous ont demandé de nous disperser. Belhaffaf, qui était l'avant-garde, lança «»Ila amam» (en avant). Ils ont alors commencé à tirer. C'était la première fois que j'entendis les sifflements des balles. s'en suivit une grande débandade. Belhaffaf est tombé. Boualem Allah Ahmed est tombé, Ziar est tombé, sans compter les dizaines de blessés. Parmi ces derniers, Kadi Abdelkader devait décéder quelques jours plus tard. La répression était devenue de plus en plus féroce. A partir de cette date, le parti avait décidé de se réorganiser et de revoir sa stratégie. Les militants avaient opté pour la clandestinité. Profitant de la victoire des Alliés, le parti avait décidé de remettre ça le 8 mai 1945 en excluant les grandes villes. Peut-on dire que les manifestations d'Alger ont été un prélude ? Absolument, car le 1er Mai a préparé le 8 Mai 1945. C'était un enchaînement logique. Mais le 8 Mai a été un grand massacre, suivi d'une répression sans pareille. Près de 300 militants avaient été arrêtés rien qu'à Belcourt. Seul un groupe, j'en faisais partie, avait échappé au coup de filet. Que s'est-il passé par la suite ? Je suis devenu agent de liaison de Belouizdad, parti à Constantine, puis j'étais arrêté avec Moundji et Faïd après dénonciation. A la faveur de l'amnistie générale, on a été libérés. Je suis devenu permanent du parti chargé de l'imprimerie clandestine. On imprimait des tracts à El Achour, dans une ferme. J'ai fait par la suite plusieurs déplacements dans le Constantinois et l'Oranais. En 1950, le parti avait décidé de m'envoyer en France pour m'occuper du sud de la France, dans le cadre de la Fédération de France, sous l'autorité de Boumaza Bachir et M'hamed Yazid. Jusqu'en 1953, année au cours de laquelle j'ai démissionné. La crise couvait et j'en ai ressenti les prémices au cours de mes rencontres avec Messali à qui je rendais visite dans sa résidence surveillée à Niort. Benkhedda, venu en France, m'a fait appeler et m'a demandé des explications sur mon retrait. Je lui en ai donné les raisons, mais il a voulu m'en dissuader. C'est ainsi que j'ai travaillé, avant la création du CRUA, avec Boudiaf et Didouche venus en France pour organiser la Fédération. Je me rappelle que le 14 Juillet 1954, à Paris, au cours d'une réunion qui a regroupé Didouche, Moundji et moi-même, nous étions arrivés à la conclusion que le salut ne pouvait venir ni des messalistes ni des centralistes, mais de l'action armée, même si cette option ne réunissait pas tous les suffrages. Didouche avait dit qu'on allait commencer avec une minorité et terminer de même, allusion à la fameuse phrase disant que la Révolution ne fait pas de quartier et qu'elle dévore ses enfants… 60 ans plus tard, que vous inspire cette période tourmentée ? La France a commis beaucoup d'exactions en Algérie. Le massacre du 8 Mai 1945, qui a fait plus de 45 000 morts, est une tache noire dans l'histoire de l'occupant qui a redoublé de férocité en tentant d'annihiler toute velléité d'indépendance. Les Français doivent reconnaître leurs crimes comme ils l'ont fait avec les Allemands à propos de l'Holocauste. Car les Français étaient complices des nazis. La reconnaissance des crimes commis ne ferait que rehausser le prestige de la France. Il faut qu'il y ait repentance et que la France officielle reconnaisse ses torts pendant cette période tumultueuse où, à défaut de libération, les populations algériennes ont été soumises à la pire oppression. Beaucoup a été écrit sur l'emblème national, mais sa confection a donné lieu à de nombreuses versions. Qu'en est-il au juste ? A ma connaissance, l'emblème dessiné par Mme Messali tout en vert avec au milieu un croissant et une étoile rouges a été brandi le 14 juillet 1939, au Foyer civique, alors en construction, par Amar Chebil, dit Amar Marsillia. L'actuel drapeau a été conçu sous la direction de Mostefaï Chawki, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec l'apport d'un ingénieur tunisien. Je crois que Mostefaï en a longuement parlé dans l'un de ses écrits.