Il faut croire qu'à l'entame de son premier mandat, l'écrasante majorité des citoyens avait souscrit à ses constats et visions prometteuses d'une gouvernance de bonne facture. Hélas, la vitesse de croisière n'avait pu dépasser celle de ses prédécesseurs. C'est pourquoi j'ai eu à prendre position en ciblant certaines imperfections stupides qui minent les efforts du président pour se débarrasser des scories et autres pesanteurs, ajoutées à l'indolence de ceux en charge de hautes responsabilités et lesquels se doivent de prendre courageusement les décisions idoines. Au lieu de cela, nous les voyons reproduire les mêmes discours lignifiants et creux. Pour ces raisons et d'autres, M. Bouteflika, outré se refusait à être un «trois quarts de président». En outre, faut-il croire qu'il n'avait pas pris conscience des anachronismes et de l'atrophie que véhicule son entourage officiel ? En cela que Dieu le protège de ses amis ; quant à ses ennemis, il est à même de les terrasser. Le peuple n'est pas dupe et sa réélection n'est pas le fait du hasard. Certains intellectuels et autres journalistes n'avaient pas hésité à s'impliquer par des articles velléitaires, ciblant courageusement, parmi son entourage les porteurs de charges négatives. Essayons d'aborder succinctement ces questions épineuses. De la loi sur la prévention et la lutte contre la corruption En tout état de cause, cette future loi vient renforcer l'arsenal du droit positif pour de grands desseins que M. Bouteflika tente de faire concrétiser, espérant ainsi un rapide décollage salvateur de ce pays, sciemment embourbé depuis des décennies par la voracité de prédateurs insatiables. Pour ce qui est de cet avant-projet de loi sur la prévention et la lutte contre la corruption, il serait impératif que ses dispositions cernent le maximum de situations qui pourraient surgir par le fait de son application. Encore faut-il éviter la délation et protéger ceux qui ont le courage et la loyauté de combattre le fléau aux multiples facettes. Certes, cette (future) loi cible un certain nombre d'intervenants dans le cadre d'une guerre sans merci et dont les commanditaires ne font pas dans la dentelle, loin s'en faut. Leur puissance avérée et les profits colossaux qu'ils en retirent de leurs macabres tractations devront faire l'objet de dispositions spécifiques pour ne rien laisser au hasard. Manifestement, il serait illusoire de vouloir combattre cette hydre – à têtes multiples – si toutes les données ne sont pas prises en compte pour cerner l'ensemble des aléas qui concourent à faire en sorte que l'Algérie sortira de cette anomie destructrice. Au risque d'une redondance, faut-il rappeler les réactions violentes, puissantes et coordonnées de cette mafia dite politico-financière à l'encontre de ceux qui ont osé contre ses méfaits. C'est d'ailleurs, au regard de ces exemples topiques, que nombre d'intellectuels, probes, se sont retrouvés contraints à s'expatrier et à offrir, à certains pays, leurs compétences – reconnues et appréciées extra-muros. Ces départs massifs ne doivent être interprétés autrement qu'en fonction de leurs profondes motivations : ces exilés aiment l'Algérie plus que tout ; mais, devant certains constats soit par leur impuissance à combattre cette hydre, soit pour ne pas rajouter à la confusion dans laquelle se débat le pays ou tout simplement sentant leur vie en danger, ils ont opté sagement pour un départ qui est sans retour. Quelques exemples cruels peuvent, à eux seuls, justifier cette hémorragie de la matière grise vers un exil sans espoir de retour. – 1 L'assassinat de Mohamed Boudiaf. – 2 Les multiples assassinats ayant ciblé, entre autres, Liabès, Boucebci, Djaout, Belkhenchir, Dhorbane, Benzaghou, Rachida Hamadi, Abderrahmani, avec des dizaines d'autres intellectuels, journalistes et personnages de lettres et les dizaines de milliers de citoyens de condition modeste. – 3 Tous ceux qui avaient osé soulever «le couvercle» sur des affaires criminelles, à l'exemple de l': – Affaire du transit international (dite des D15). – Affaire des méga-saisies au port d'Alger. – Affaire des magistrats faussaires. – Affaire des fausses domiciliations bancaires (notamment à Bir El Ater). – Affaire des malversations au niveau de la Protection civile. – Affaire de l'institut Pasteur. – Affaire du groupe Khalifa. Parmi les initiateurs qui ont osé soulever ces affaires : – a Votre dévoué, vivant un deuxième exil involontaire, après avoir eu à subir une avalanche de procès, dont le plus criminel a été le fait de ma propre tutelle. Cette dernière (la direction générale des Douanes) m'avait fallacieusement accusé de faux et usage de faux (article 214 du code pénal), c'est-à-dire que j'aurais pu être condamné à la réclusion à perpétuité, pour un fait sorti de l'imagination machiavélique de commanditaires-décideurs. N'étant pas ingrat, je les remercie de m'avoir laissé la vie (à moins que Dieu – qu'ils ignorent vaniteusement – en ait décidé autrement). – b M. Regue Benamar (directeur régional des Douanes) qui n'a cessé de faire l'objet de cabales aussi criminelles les unes que les autres et dont l'une des dernières a failli l'envoyer en prison avec à la clé trois ans (demandées par le ministère public). – c Melouk Benyoucef, auteur d'un rapport dit des magistrats faussaires (ici le comble est atteint, car au lieu de dire le droit tout en faisant observer une morale…) ; il s'agit là d'un renversement des valeurs. Cet intègre haut fonctionnaire (moudjahid de surcroît), après bien des péripéties, est en train de vivre un ostracisme qui le tue à petit feu. Pourtant, il n'avait agi que sous des directives précises de la Présidence de la République, répercutées par ses supérieurs hiérarchiques. – d Omar Saâda qui, malgré une grève de la faim de plus d'un mois et une série de procès en diffamation, mange (avec sa famille) le pain noir d'une honnêteté reconnue et d'un grand courage, pour avoir osé dénoncer – à sa direction générale (…) – des malversations qu'il avait constatées au niveau de la wilaya d'Illizi. – e Faut-il rappeler la fin tragique de Beliardouh, qui avait transgressé l'omerta imposé par des barons locaux à Tébessa. Les articles qu'il avait écrits dans le cadre de l'affaire des fausses domiciliations bancaires à Bir El Ater lui ont été fatals. Pour la petite histoire et dans le cadre de mes fonctions, j'avais découvert l'utilisation répétée de faux documents (ventes aux enchères publiques et opérations de fausses domiciliations bancaires). C'est pourquoi j'avais alerté la direction générale des Douanes – dès 1991 – en lui suggérant et en soulignant l'urgence de la mise en place d'une structure pluridisciplinaire : douanes, services de sécurité, impôts et justice pour juguler ces crimes économiques et tenter de mettre un terme à cette nouvelle menace que sont les vrais-faux documents de toutes sortes. En vain, car la préoccupation majeure de cette structure était la recherche d'un moyen efficace pour me neutraliser. Bien entendu, c'est l'absence de telles structures qui a rendu possible la gigantesque escroquerie du groupe Khalifa. Sur un autre registre, comment ne pas se souvenir de la fameuse campagne mains propres (ou sales, c'est selon) au cours de laquelle des milliers de cadres honnêtes et intègres furent jetés en pâture et emprisonnés durant des années, dans des conditions effroyables et indignes. Parmi ces innocentes victimes, une femme, cadre, épouse et mère de famille – modèle -, malgré des douleurs insupportables dues aux miasmes d'une maladie incurable et alors qu'elle était à l'article de la mort, sans qu'aucune âme sensible parmi nos décideurs ait senti une quelconque compassion et ordonner de lui faire administrer, à tout le moins, des calmants pour la soulager. Le monde – le nôtre – est-il à ce point cruel et inhumain ? Tous ces cadres, victimes expiatoires d'enjeux politiques, seront relâchés après des mascarades de procès aux relents d'une pestilence particulière. L'Etat algérien qu'ils avaient servi avec abnégation et honnêteté ne fera rien pour les réhabiliter. Enfin, que faut-il penser de la déclaration (lors d'une interview) du chef du gouvernement (M. Ouyahia) qui affirme péremptoirement et avec certitude que, chaque année, une somme de 500 millions d'euros est transférée illégalement et frauduleusement. En fait sur quels rapports, saisies, constats, témoignages a été établie l'évaluation de cette somme ? Auquel cas, la justice (la vraie) a besoin de preuves irréfragables pour permettre l'ouverture – éventuelle et hypothétique – d'une information judiciaire ; alors ? C'est dire que la loi sur la prévention et la lutte contre la corruption devra comporter un certain nombre d'articles prévoyant, outre la protection des citoyens qui se mobilisent pour livrer la guerre à ce fléau, des encouragements sous diverses formes, que le législateur devra y insérer et aussi lui faire jouer une rétro-activité spéciale quant à la réhabilitation de tous ceux qui ont eu à pâtir pour avoir eu le courage de faire leur devoir de citoyen. C'est un devoir auquel l'Etat en ce qu'il a de plus vertueux ne peut faire l'économie, outre qu'il s'agira d'une courageuse politique qui effacera l'ignominie et l'infamie ambiantes. De la réconciliation nationale Pour le noble et immense chantier qu'est la réconciliation nationale, si souhaitable et souhaitée, celle-ci devait se faire, en faisant appel aux ouléma afin de puiser dans la richesse inestimable du Coran et de la sunna les recommandations divines ou prophétiques quant à l'entente qui doit prévaloir au sein des habitants de toute nation. Exemples : La aya 103 sourate 3 «… Rappelez-vous le Bienfait d'Allah sur vous : lorsque vous étiez ennemis, c'est Lui qui réconcilia vos cœurs, puis par Son Bienfait, vous êtes devenus frères…» ou encore la aya 38, sourate 42 «… Qui répondent à l'appel de leur seigneur, accomplissent la salat, se consultent entre eux à propos de leurs affaires…», ces sentences sont, on ne peut plus réconciliatrices. Partant du postulat que l'écrasante majorité du peuple se prévaut d'être musulmane, à eux de le prouver en adoptant une attitude digne de leurs convictions religieuses. Il reste entendu que nos intellectuels ne seront pas en reste et leur apport, très attendu, servira à apaiser les meurtrissures engendrées par l'incompréhension humaine et sa propension de domination ; car comme le disait si bien le regretté Mohamed Boudiaf : «Notre bonheur et notre malheur sont en nous, faisons en sorte d'avoir la grandeur d'esprit de taire nos divergences et unissons nos forces pour un bonheur à portée de la main.» Pour réussir un tel pari en mettant toutes les chances dans la balance, il faudrait tenir compte également des expériences qu'ont imaginées certains pays, ayant vécu les affres de conflits internes ou de guerre, et qui ont eu la grandeur de surpasser leurs divergences et leur douleur. Quelques exemples, en particulier : – Union (même dans un cadre élargi à l'Europe) de la France et de l'Allemagne. – France : voir l'édit de Nantes mettant fin à la guerre entre catholiques et protestants. – USA après la guerre de Sécession (guerre idéologique supériorité de races). – Nigeria : guerre du Biafra (confrontation de religions). – Vietnam : guerre entre le Nord et le Sud (confrontation idéologique) – Afrique du Sud : apartheid. Ces pays ont réussi a trouvé les solutions les plus sages qui leur ont permis de se réconcilier et de vivre en bonne intelligence et en parfaite harmonie. Il reste entendu qu'il ne s'agit là que d'étapes objectives qui devront être concrétisées au mieux des intérêts de l'Algérie, en faisant appel au bon sens de toute personne sage et raisonnable. En attendant que le peuple puisse se réapproprier sa liberté de manœuvre et de parole, il y a lieu de songer d'ores et déjà à élargir cette mansuétude et envisager d'encourager les détenteurs de capitaux (qui sont inutilement thésaurisés à l'extérieur des frontières nationales) à les rapatrier, en vue d'impulser une dynamique nouvelle, en offrant la chance aux millions de jeunes qui arrivent sur le marché de l'emploi. Encore faut-il que les gueux, les larbins et autres menteurs laissent leurs défauts et adoptent l'humilité et le respect comme mode de conduite. Dans la perspective d'une concrétisation de tels projets, une ère nouvelle s'ouvrira au peuple et une confiance (retrouvée) en ses dirigeants permettra à l'Algérie de rattraper son retard et de vivre enfin comme une nation digne de son rang. Conclusion A travers ces exemples concrets, le chemin est long et ardu et M. Bouteflika en homme averti et avec l'aide de l'ensemble de la classe politique devra très certainement livrer de multiples et âpres batailles pour mener le bateau Algérie à bon port, d'autant que les actions de l'Etat sont complémentaires les unes avec les autres et que la paix, la confiance et la prospérité sont à ce prix.