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Eléments sur la personnalité algérienne (1re partie)
Publié dans El Watan le 16 - 05 - 2005

L'aspect saillant des discours sur une soi-disant personnalité algérienne demeure néanmoins l'absence de toute définition pertinente qui puisse permettre de délimiter sa singularité et d'éclairer les bases (inamovibles ?) de ce phénomène miraculeux. Si effectivement la personnalité algérienne est singulière et exhibe des particularités remarquables, elle ne peut alors s'intégrer que dans le domaine du miraculeux. Et comme le miracle et l'ignorance sont souvent associés dans les neurones de l'individu noyé dans la masse (dans le sens de W. Reich), l'objectif premier de l'analyse consiste en le déblayage du terrain sur lequel repose la notion de personnalité et où le dogme fait souvent office d'argument.
L'analyse de la personnalité algérienne exige donc un détour dans la mesure où les idéologues de service n'ont pas nécessairement pour objectif de dévoiler une essence propre qui différencierait l'être algérien de tout autre être humain. Ce détour devrait permettre en premier lieu d'appréhender la possible existence d'une essence humaine sur la base de l'histoire de l'humanité tant que cette dernière constitue le lieu et le moment du mouvement de l'individu.
Développer l'idée de la personnalité algérienne malgré la multitude d'individus concrets apparemment différenciés suppose que les idéologues de service soient à même de décortiquer des croûtes phénoménales pour aboutir à un noyau, c'est-à-dire à une personnalité de base. Cette dernière constituerait dès lors l'essence des individus algériens qui n'en seraient que des variantes. L'essence de l'individu algérien, tant qu'elle est présentée comme singulière, pose évidemment un problème a priori insoluble pour autant que cette approche débouche sur une conclusion surprenante : l'Algérien n'appartiendrait pas au règne de l'humanité, mais à un règne parallèle ou perpendiculaire à ce dernier. Et cette absurdité apparente prend racine dans la notion de personnalité de base algérienne, en particulier, et de personnalité de base en général. Mais l'individu humain ( l'individu algérien en particulier) possède-t-il effectivement une essence inamovible autour de laquelle graviterait une infinité de variantes plus ou moins reliées à cette essence originelle ?
1- De la personnalité humaine en général
La philosophie classique (jusqu'à Sartre en passant par Feuerbach) et l'idéologie religieuse répondent par l'affirmative. Cependant, les deux types de discours sont dans l'impasse la plus sombre tellement le premier discours est toujours à la recherche de l'«homme en général», tandis que le second discours se fixe pour objectif de ramener la multitude vers l'«homme parfait» (l'homme parfait étant quasiment le même pour toutes les religions). Les deux discours appréhendent ainsi l'essence en tant que caractéristique générale d'objets particuliers ou comme point commun à cette multitude d'objets. De ce fait, l'essence apparaît elle-même comme objet dont l'inertie est la caractéristique fondamentale. Dès lors, l'essence inerte qui n'a pas d'histoire devient la source et la fin de l'histoire de l'humanité. Dans cette vision, le mouvement contradictoire de la vie réelle et les étapes historiques traversées par les sociétés humaines se présentent comme images déformées de l'essence originelle qu'il s'agit de retrouver. Ainsi, le mouvement de la vie réelle apparaît comme second par rapport à l'immutabilité de l'essence.
Et l'histoire de l'humanité n'a de sens que dans la mesure où l'idéologue de service s'érige en guide dans la voie toute tracée vers la désaliénation des individus ou vers leur rédemption. La circularité du phénomène est étonnante et l'éloignement ou la séparation de l'individu humain d'avec son essence demeure un mystère inexpliqué parce qu'inexplicable dans le cadre de la métaphysique de l'essence originelle. L'impasse à laquelle aboutit la métaphysique de l'essence originelle semble résulter d'un a priori fondamental : le mouvement de la vie réelle s'effectue ailleurs que dans l'essence. Ainsi, la vie réelle serait conçue comme pseudo-vie qui n'aurait de sens qu'en tant qu'elle tente de retrouver l'essence originelle (phénomène inerte) en tant que point de repère. Mais si le mouvement comme caractéristique de la vie en tant que telle est absent de l'essence, cette dernière ne peut signifier que la mort. Et le «retour aux sources» prôné par l'idéologue de service ne peut signifier que la négation de la vie et la fossilisation de l'individu humain.
La métaphysique de l'essence originelle pose un problème insoluble pour autant que, dans cette vision, la vie n'est pas le contraire de la mort, mais s'y confond. L'impasse peut cependant être dépassée si la notion d'essence originelle est remise en cause. L'acception de l'existence d'une essence originelle suppose dans les faits que la société (ou la nature) soit appréhendée en tant que simple milieu dans lequel baignerait l'individu humain. Les individus humains se seraient graduellement éloignés de leur essence (pour des raisons obscures) et devraient avoir pour souci constant de retrouver leur essence (leur âme ?) souillée par l'aliénation de l'idée (selon Hegel) ou par les vicissitudes de la vie (selon l'idéologue religieux).
Cependant, avancer que l'homme baigne dans un milieu externe (ou est influencé par ce milieu) relève d'une profonde myopie qui ne permet pas d'appréhender que le milieu lui-même est le produit de l'activité humaine. Car si la nature a certainement existé avant l'apparition des hommes, la nature transformée, façonnée et humanisée est le produit de la praxis des hommes et en tant que telle, la nature humanisée constitue un aspect du procès d'humanisation de l'être de l'homme.
Dans cette vision le (ou les) discours sur l'inertie de l'essence humaine devient une niaiserie ridicule, car l'essence humaine n'est plus appréhendée en tant que chose mais comprise en tant que procès. Le retour vers une essence originelle devient dès lors une ineptie pour l'humanité en tant que telle, et l'individu retrouvant son essence originelle grâce aux conseils d'un gourou (philosophe ou religieux) apparaît comme une pure fiction de la pensée archaïque. Ainsi, la fin de l'histoire en tant que conséquence logique de l'inertie de l'essence ne se réalise plus dans un mouvement circulaire mais l'histoire en tant qu'histoire de l'humanité n'a plus de fin. Et cette histoire émerge essentiellement comme développement du processus réel de la vie immédiate. Ce processus apparaît en tant que mode de production de la vie matérielle sur la base de rapports de production correspondant à un niveau donné des forces productives.
En effet, le caractère social de l'être de l'homme s'exprime dans le fait que ce dernier n'est rien sans objet et dans le fait que l'être de l'homme ne démontre sa réalité que par son activité matérielle. Ainsi, dans la production et la reproduction de sa vie sociale qui est aussi élaboration de lui-même en tant qu'être historico-social, l'homme produit des biens matériels sur la base du travail, un ensemble de rapports sociaux, et sur cette base émergent des idées et en général une culture en rapport avec ladite base.
Chaque génération trouve ainsi un ensemble de données (rapport avec la nature, une somme de forces productives, des formes de relations sociales…) transmises par la génération précédente qu'elle peut modifier dans une certaine mesure mais qui lui dictent néanmoins les limites de la modification. Cet ensemble de données concrètes en continuel changement peut être appréhendé en tant qu'essence de l'homme. Et les fantasmagories que proposent la philosophie classique et l'idéologie religieuse peuvent dès lors être interprétées en tant que travestissement et sublimation de la vie réelle et réaction contre le mouvement qui contrarie le dogme et le défie.
Dans cette optique, ce n'est pas la conscience du philosophe, de l'idéologue religieux ou de l'individu noyé dans la masse qui détermine la vie, mais c'est la vie réelle qui détermine la conscience. Car «l'essence humaine n'est pas une abstraction inhérente à l'individu isolé. Dans sa réalité, elle est l'ensemble des rapports sociaux» (K. Marx, VIe thèse sur Feuerbach). Dans la mesure où elle est appréhendée en tant qu'ensemble de rapports sociaux, l'essence humaine, contrairement à l'essence animale, n'est plus une donnée inscrite dans le patrimoine génétique de l'individu humain saisi en tant que corps organique. L'essence humaine devient de fait un produit de l'activité humaine en tant que cette dernière englobe des forces productives, des rapports sociaux et un patrimoine culturel.
En tant que produit historique, l'essence de l'individu humain dépasse dès lors le corps organique de l'individu et ne peut se réduire à son corps. De ce fait, le patrimoine biologique de l'individu humain devient inessentiel et second par rapport au patrimoine social qui englobe aussi bien un système de relations sociales qu'un niveau déterminé des forces de la production. Car l'outil utilisé par l'individu humain est non seulement le prolongement de son corps organique, mais aussi et surtout le support de sa mémoire en tant qu'individu humain. Et l'outil légué par la génération précédente en tant qu'il s'inscrit dans des rapports sociaux donnés remplace le gène dans le stockage de l'expérience.
Ainsi, l'activité de l'individu humain s'inscrit au sein d'un patrimoine social (extérieur au corps organique de l'individu) qui lui imprime des limites et matérialise son essence. Cependant, comparées aux limites étroites du corps organique, les limites imposées par le patrimoine social sont indéfiniment extensibles au regard de l'extensibilité du patrimoine social en tant que procès cumulatif. Et l'accumulation du patrimoine social en dehors des individus permet de saisir les limites de son assimilation par chaque individu et d'expliquer la diversité dans le procès d'humanisation de chaque personnalité. L'essence de l'individu humain émerge dès lors en tant que procès extérieur à cet individu en tant que tel. En ce sens, l'essence humaine ne se trouve ni dans un «homme en général» ni dans
l'«homme parfait», car elle n'a même pas la forme humaine. Elle se trouve de fait excentrée par rapport à l'individu humain (L. Sève).
Et c'est en fait l'«excentricité» de l'essence humaine qui sert de base objective aux divers discours métaphysiques, c'est-à-dire la philosophie classique et le discours religieux. Car si la substance objective qui apparaît sous forme de forces productives, de rapports de production, de systèmes de pensée, etc. et indépendante de la volonté et de la conscience des individus particuliers, bien qu'elle n'existe que par leur activité, alors elle (la substance objective) peut être appréhendée en tant que force supra-humaine. En effet, elle peut représenter l'éternité de l'homme face à la finitude de la vie individuelle. En d'autres termes, la substitution du sujet par l'objet, forme fondamentale de la mystification historique, est à la base de toutes les dérives métaphysiques. Cependant, ces dérives métaphysiques demeurent à l'état de dérives pour autant qu'elles reposent sur le postulat que le destin de l'homme est infailliblement fixé par une force supra-humaine (la providence ou l'absolu ou l'esprit ou la raison ou le mektoub ou la «main invisible» ou la mondialisation, etc.), l'action non prévisible de cette dernière donnant un sens à l'histoire chaotique.
Or, l'histoire est faite par les hommes, et l'histoire n'est pas rationnellement prédéterminée, mais devient rationnelle grâce à la praxis des hommes. En fait dans l'histoire, l'homme se réalise lui-même et dans l'histoire seulement l'homme s'humanise. Enfin, l'humanisation de l'homme demeure a priori sans fin.
La base de la personnalité n'est donc pas une personnalité de base figée et inerte comme le suggèrent le philosophe classique et l'idéologue religieux.
Ces derniers, en dépouillant la personnalité humaine de sa dimension socio-historique, confrontent l'échec dans toutes leurs élucubrations, car la personnalité de base à laquelle ils se réfèrent n'est en réalité qu'une «image instantanée» historiquement déterminée. L'homme de J. Betham n'est-il pas la généralisation des caractéristiques de l'épicier anglais du XVIIIe siècle ? L'homo-economicus de l'économie vulgaire, n'est-il pas une réalité au sein du système capitaliste et une fiction en dehors de ce système historiquement déterminé ? Enfin, l'homo-islamicus, est-il un être humain en devenir ou un ange a-historique qui se meurt en dehors de rapports sociaux ?(A suivre)


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