L'homme, dont tout passant pris au hasard peut témoigner de la grande générosité, celui qui ne faisait que remonter le moral des malades matin et soir, cet individu-association au service des plus pauvres, des orphelins et des plus démunis. L'homme qui luttait quotidiennement contre la maladie, la fatigue et les autres pour le bien-être de tous, l'homme qui, plusieurs fois seul contre tous, dénonçait toutes les anomalies et négligences, le père François Cominardi est décédé le 30 avril 2005 à Bry-sur-Marne. Aussitôt la nouvelle de son décès annoncée, deux registres de condoléances sont ouverts au centre-ville de Aïn Sefra et le lendemain on a parlé d'un troisième registre à l'hôpital. On a remarqué la précipitation des gens pour témoigner sur le père des pauvres. Depuis plus de 15 ans, il assistait et accompagnait tous les malades et toutes les naissances à l'hôpital de Aïn Sefra, faisant deux fois par jour les quatre étages, la première pour voir s'il n'y a pas de changement par rapport à la veille et la seconde pour apporter le thé, les journaux et parfois des livres et des médicaments introuvables. Beaucoup de gens croyaient qu'il travaillait à l'hôpital de Aïn Sefra, on le voyait plus que les autres agents. Il nous a appris au jour le jour ce que c'est que le bénévolat et l'organisation du travail. Il n'y a pas une seule famille de la région de Aïn Sefra qui peut se vanter de n'avoir pas reçu un soin ou une aide quelconque de sa part, les exceptions confirmeront la règle. Ses invitations écrites pour préparer le thé quotidien ou l'hrira du Ramadhan avec la précision de la date et de l'heure sont dans toutes les maisons de Aïn Sefra. Quand il n'y avait qu'un seul vendeur de journaux à Aïn Sefra, le père Cominardi attendait avec nous le journal des heures durant et bousculait comme tout le monde pour avoir la part des malades (10 El Khabar, 5 El Watan, 5 Chourouk, 2 Liberté, etc.), tout le monde savait que les journaux étaient destinés aux malades et tous les jours on assistait à la répétition de la bousculade du vieux au milieu des jeunes. Il était pour tous, mais seul contre tous. Il n'était prioritaire en rien et n'aimait pas le devenir, même si on le lui demandait avec insistance. Il s'intéressait à tous les malades, mais avec un peu plus d'attention aux condamnés et à ceux qui n'avaient pas de visiteurs (les militaires, les nomades, les voyageurs, les pauvres, les orphelins, les accidentés de la route et les étrangers), il s'occupait de tous comme quelqu'un de leur famille et des fois beaucoup mieux. Quand il était au CFPA dans les années 1960, il avait beaucoup d'amis avec qui il a gardé contact jusqu'à la mort, il avait participé à tous les grands volontariats en donnant le meilleur de lui-même : construction de logements pour les pauvres victimes d'inondations, construction du bassin et des rigoles à Boumbata, terrassement du stade de foot à Mograr Tahtani, etc. Il s'intéressait à tout ce qui touchait à Aïn Sefra, les pierres écrites pour lesquelles il a sillonné tous les djebels, Sidi Bouamama, dont il a ramené les archives de guerre pour le comité de Aïn Sefra qui préparait le centenaire de la bataille de Tazina de 1881, Isabelle Eberhardt pour laquelle il a risqué l'expulsion parce qu'il était parmi les premiers dans la préparation des journées d'étude avortées du 21 et 22 octobre 1987, les ksour pour lesquels il a fait plusieurs études et interventions dans les journaux, il donnait toujours des informations intéressantes sur Mohamed Ould Ali, les frères Moulay, etc. Il aimait les djebels de Aïn Sefra, les nomades de Aïn Sefra, il ne faisait pas de différence entre les fils de ce bled, dont il connaissait tous les proverbes et dictons. Il connaissait notre histoire et préhistoire mieux que quiconque. Il parlait et comprenait parfaitement le chleuh et l'arabe, surtout la darija du coin. Tellement il n'a jamais parlé de sa religion qu'on oubliait parfois qu'il professait une autre que l'Islam. Il assistait avec nous aux enterrements de tous ses amis et de tous les malades qu'il suivait, il n'oubliait jamais de présenter ses condoléances à tous. C'est lui qui sauva le point astronomique de la destruction lors du terrassement du terrain de l'assiette de la cité Militaire. Il a présenté des centaines de fois son travail sur la désertification à Aïn Sefra, dans les maisons, les salles de cinéma, les écoles, les FAJ, c'était un travail scientifique qui montrait par diapo l'avancée des sables et la résistance de certains arbres au désert. Il assistait et participait aux débats de toutes les activités de la jeunesse de Aïn Sefra et était en contact avec toutes les associations des ksars pour la concrétisation de leurs objectifs. Des centaines de touristes, de chercheurs, de journalistes et d'écrivains sont passés chez lui pour prendre conseil, informations ou orientations quelconque. Du temps de la politisation à outrance de l'arabisation, il était éliminé de toute activité alors qu'il connaissait la langue arabe mieux que beaucoup de ses détracteurs. Il était à l'origine de la création de plusieurs associations et membre fondateur de beaucoup d'autres. Il n'oubliait jamais de rendre visite à toutes les femmes et à toutes les étudiantes qu'il connaissait chaque 8 Mars, et confectionnait chaque fois un petit document où on trouve des poèmes des filles et des femmes de Aïn Sefra. Quand il était directeur du CFPA de Aïn Sefra, les stagiaires en tôlerie, plomberie et maçonnerie construisaient des maisons pour les pauvres, il y en a qui sont encore habitées. Pendant la première Okadia de la wilaya, il a fait avec le professeur Youcef, Iliou, la plus riche exposition sur l'histoire et la préhistoire de la région. Il a réussi à faire extirper à ses détracteurs l'immonde phénomène de rejet qui les rendait fous et s'est imposé par son immense travail, son immense courage et son amour. Aïn Sefra a perdu un trésor, un musée vivant. Après la série d'assassinats des pères blancs en Algérie, à Alger, à Oran, à Tizi Ouzou et à Tibhirine, les voisins lui ont proposé un système d'alarme pour les appeler en cas de problème, chose qui n'a jamais été faite. Il a reçu des lettres de menace, et on a entendu des sermons du vendredi le dénonçant et appelant à sa liquidation, et il y a eu même des articles de presse de gens mal intentionnés qui se demandaient ce que faisait ce père dans le désert. Après cela, quand nous lui avons demandé de partir, il nous a répondu : «Pourquoi vous ne partez pas vous-mêmes, nous sommes tous autant condamnés.» Le chercheur de Timimoun, feu Chami Chahid Nouri qui a fait pendant 30 ans des recherches, de 1966 à sa disparition en 1996, sur la préhistoire à Timimoun et qui a créé le musée qui porte son nom au CEM Bachir El Ibrahimi m'a dit un jour : «Le père Cominardi est un grand savant, travaillez avec lui.» On espère que la CRAP à laquelle le père François Cominardi a légué le fruit de ses recherches en fera rapidement une édition à titre posthume. Espérons que ses remplaçants continueront ses recherches et que les pères blancs éditent tout ce qu'il a écrit et surtout l'anthologie de la femme écrivain algérienne. En 1967, il y avait des inondations à Aïn Sefra. Le père Cominardi a pris un aveugle avec sa famille pendant un mois pour une prise en charge à l'institution Lavigerie. Le père Cominardi décida de construire des maisons pour les pauvres qui ont tout perdu dans les inondations. Le sous-préfet de l'époque l'aida pour les lots de terrain et les apprentis et diplômés de la maçonnerie se portèrent volontaires. Les maisons furent construites. Cela fait plus d'une dizaine d'années qu'il attend la réponse à sa demande de nationalité algérienne. Les autorités concernées doivent la lui accorder post mortem, et si telle est sa volonté dans son testament, il doit être rapatrié et enterré à Aïn Sefra. A la fin de sa vie, son âme a vogué entre deux religions et ses prières en latin, en français et en arabe sont un mélange de Jésus fils de Dieu, des Aïssa bnou Mariam et de Mohammed rassoulou Allah (QSSSL).