La force corrosive de la nature et la main dévastatrice de l'homme ont eu raison des hautes plaines steppiques de l'ouest du pays. Le surpâturage, la sécheresse, la désertification, les érosions, l'abattage des arbustes, les emblavures anarchiques et illicites et les défrichements ont, en effet, provoqué la destruction de milliers d'hectares de parcours naturels dans les steppes de Naâma et d'El-Bayedh. La sécurité alimentaire des nomades est sérieusement menacée et l'économie pastorale gravement perturbée par la dégradation des écosystèmes fortement fragiles de ces régions. Ces phénomènes ont, du coup, entraîné la paupérisation des nomades, dont la vie est étroitement liée aux ressources de ces parcours naturels. La sécurité alimentaire des nomades est sérieusement menacée et l'économie pastorale gravement perturbée par la dégradation des écosystèmes fortement fragiles de la steppe. La lésine du ciel n'a fait que dramatiser la situation déjà fortement désespérée de ces dernières années et la sécheresse a dépouillé de sa végétation une bonne partie de la région. A mesure que le couvert végétal reculait, l'érosion éolienne et l'érosion hydrique accélèrent le processus de la désertification. D'El Bayadh jusqu'à Aïn Sefra, et passant par Mecheria et Naâma, la physionomie du paysage ne donne pas envie de s'y rendre. Parfois terre nue et plate, parfois dunes et montagnes de sable, parfois roches polies par les raz-de-marée des dunes et souvent des herbes sèches et touffes rabougries et jaunies. Les tempêtes de sable et la canicule de ce mois de juillet indiquent la ligne rouge de la sécheresse et ajoutent une note de désolation à cet… «enfer du décor». Dans ces territoires, chaque parcelle de vie est devenue un lieu d'une âpre lutte, aussi bien pour l'homme que pour le cheptel. Le développement économique de ces régions, faut-il le souligner, repose surtout sur l'essor de l'activité pastorale. Or, cette dernière est désormais sous perfusion. Certains éleveurs seront condamnés à prendre la clé des champs. Actuellement, ils ne sont qu'en sursis. La sécheresse a porté un rude coup à leur activité ancestrale : l'élevage. Selon plusieurs éleveurs, la disette a provoqué la flambée des prix des aliments de bétail. Le prix de l'orge, l'aliment préféré du cheptel, a flambé. Il est cédé à 2000 DA le quintal. En d'autres termes, un kilo d'orge pour un litre de lait ! Pareil pour la paille et le foin qui continuent de maintenir leur tendance rancunière. «Une botte de foin fait 240 DA sur place, c'est-à-dire à Aïn Témouchent, mais son prix à El Bayadh est de 350 DA.» Personne ne peut tenir dans ces conditions. Même le cheptel. Les plantes, quand elles ne sont pas broutées jusqu'à la racine, elles sont englouties par le sable. En conséquence, le cours du cheptel est en baisse vertigineuse. «Le prix d'un mouton varie actuellement entre 13 000 et 15 000 DA alors qu'avant l'Aïd il était cédé entre 20 000 et 30 000 DA», affirme un éleveur rencontré à Aïn Ourak, «un champ de rocaille» situé au sud-ouest d'El Bayadh. Visage buriné et traits mangés par la canicule, le nomade nous accueille avec un sourire à la hauteur de ses espoirs. Même s'il évolue dans un milieu hostile, il dit n'être pas complètement vaincu par l'adversité. Du moins pour le moment. «J'ai l'impression que ce pays me repousse et moi je résiste», a-t-il ironisé. Avant les années de disette, cet éleveur avait 300 têtes de brebis. A l'heure actuelle, il arrive difficilement à nourrir 100 têtes. Pour le moment, il gère tant bien que mal la crise. Mais si la sécheresse persiste, il devra encore réduire son troupeau. «Je devrais me délaisser de la moitié de mon cheptel pour faire vivre le reste», s'est-il plaint. Il achète l'aliment du bétail chez des spéculateurs à des prix exorbitants. Pourtant, le ministre de l'Agriculture, Saïd Barkat, avait annoncé récemment «un plan d'urgence» visant le soutien de l'aliment du bétail et ce, à compter du 1er juillet dernier. Un quintal d'orge devait être cédé à 1400 DA. «Effectivement, l'administration nous propose l'orge à un prix raisonnable, mais il faut se déplacer jusqu'au dépôt de Bougtob pour s'approvisionner. Faut-il encore subventionner le transport. Le prix d'une botte de foin revient encore plus cher à Bougtob qu'au marché parallèle pour les éleveurs habitant El Bnoud, une commune à 300 km au sud de Bougtob, si l'on tient compte des frais de transport», explique notre interlocuteur. L'Etat, selon cet éleveur, doit non seulement réquisitionner les excédents de fourrage des autres régions pour en approvisionner les éleveurs de la steppe, mais il faut surtout, selon lui, faire parvenir l'aliment jusqu'aux confins de la steppe. La spéculation qui fait rage dans les prix de l'aliment du bétail profite surtout aux intermédiaires. En outre, ceux qu'on décrit tantôt comme les barons et tantôt comme la mafia de la steppe profitent de la détresse matérielle des éleveurs pour les dépouiller davantage. Qui sont-ils ces gens ? «Ce sont des nababs, grands propriétaires de bétail. Ils dictent leurs lois dans les marchés à bestiaux et dans les dépôts de l'aliment de bétail. Ils s'approprient des terres illégalement. Ils violent les espaces mis en défens tout en narguant l'administration», révèle, à l'apparence outrée, un autre éleveur rencontré à Rogassa (60 km au sud d'El Bayadh). «Ces barons, avec des procédés dégradants, mijotent les pénuries de l'orge et de la paille pour provoquer les flambées des prix et le tout pour baisser les cours du cheptel», a-t-il témoigné. Un seul rempart : la culture fourragère «Une fois que les prix sont au bas de l'échelle, explique-t-il, ces barons rachètent le bétail des petits éleveurs pour le revendre aux contrebandiers.» Conséquence : par crainte de la disette de l'hiver, plusieurs éleveurs ont bradé leur bétail au grand bonheur de la contrebande et de ses receleurs. Pour sauver le bétail et faire face à cette mafia, certains éleveurs pratiquent la culture fourragère. Mais faut-il encore trouver les ressources hydriques nécessaires pour la pratique agricole. Parce que, comme l'a si bien souligné notre interlocuteur, sans eau, le désert n'est qu'une tombe. L'exploitation des Ben Azouz de Sfissifa, une commune située à quelque 30 km à l'ouest de Aïn Safra et à 100 km au sud-ouest de Naâma, en est le meilleur exemple. L'exploitation couvre une superficie de 15 ha. Elle est dotée d'un bassin d'eau alimenté par quatre puits d'une profondeur moyenne de 100 m. Les Ben Azouz élèvent 800 têtes de bétail, toutes espèces confondues, et font travailler 13 employés entre pasteurs, chauffeurs, éleveurs… «Nous n'avons dû la survie de notre bétail, et partant notre propre survie, qu'à la pratique fourragère», souligne Boufardja Ben Azouz, propriétaire de la ferme. Mais Aïn Sefra n'est pas El Kasdir ni Mekmen Ben Amar. Dans ces deux régions frontalières, il faudrait creuser plusieurs centaines de mètres de profondeur pour trouver l'eau… et avec un débit très faible. C'est dire que la culture fourragère est tributaire, elle aussi, des aléas de la nature. Pour ramener la steppe à la vie et la sauver de la mafia, et par conséquent, du spectre de la disette qui pointe à l'horizon et qui laisse augurer un plus de débine et d'exode, des actions ont été entreprises par le Haut Commissariat pour le développement de la steppe (HCDS) en collaboration avec les directions de l'agriculture et des éleveurs des wilayas concernées. A Naâma comme à El Bayadh, les pouvoirs publics ont entrepris des actions pour redynamiser la zone steppique. Ces quelques efforts, il faut le dire, sont consentis pour épargner le pire. Les différents intervenants, à savoir le HCDS, les directions de l'agriculture, les conservations des forêts, les APC, les services de l'hydraulique… ont, chacun à sa manière, enclenché des approches pour sauver la steppe des griffes du désert. Par ailleurs, l'enchevêtrement des prérogatives, l'incohérence du dispositif juridique et organisationnel ont parfois annihilé la volonté des pouvoirs publics de relever le défi. Cette confusion fait dire aux éleveurs que la solution n'est pas pour demain. La redynamisation de la zone steppique, de l'avis même des responsables locaux, reste tributaire d'une politique steppique nationale cohérente. Les rares actions réussies pour le moment consistent en des opérations de fixation des dunes et de mise en défens de certains parcours fortement dégradés. Dans toutes ces opérations, la population est impliquée. En dépit de toutes les contraintes, les responsables locaux estiment que les premiers résultats obtenus sont positifs. La mise en défens des parcours a permis, à court terme, d'augmenter la production fourragère. Là où l'interdiction n'a pas été violée, les espèces menacées, notamment l'alfa et l'armoise, se sont régénérées. Les périmètres mis en défens par le HCDS, qui ont pu bénéficier d'une période de répit complet, sont réceptionnés par les APC chaque trois ans. Ces espaces, après une période de régénération, sont loués aux éleveurs. La nouvelle approche développée par le HCDS permet non seulement de reconstituer la nappe alfatière, mais aussi de constituer une source de revenus pour ces communes déshéritées. «En interdisant provisoirement le pâturage des moutons et d'autres animaux domestiques dans ces régions, et en ensemençant les parcours fortement dégradés, il est possible de remettre en valeur ces terres et de faire échec, un tant soit peu, à la désertification rampante», affirme Abdelkader Halfaoui, directeur de l'environnement à la wilaya d'El Bayadh. «Ces actions sont plus que nécessaires pour sauvegarder l'équilibre naturel de la steppe», explique-t-il. Selon notre interlocuteur, la wilaya d'El Bayadh a perdu plus de la moitié de sa nappe alfatière. Cette dernière, selon lui, avait atteint, durant les années 1970, plus d'un million d'hectares. «A cette époque, vu la densité et la taille des touffes, même le cavalier n'apparaissait pas au milieu de l'alfa», se souvient-il. A l'heure actuelle, la nappe ne dépasse pas les 400 000 ha. La formule de mise en défens a touché 40 000 ha de parcours à El Bayadh. La zone est surveillée par des dizaines de gardiens. Chaque surveillant assure la garde de 500 ha de terre. Pour ne pas pénaliser les éleveurs, des couloirs de pacage sont laissés ouverts. Outre la mise en défens de certains périmètres, les 87 000 ha de terre qui étaient labourés auparavant sont interdits aux emblavures. Nos interlocuteurs misent beaucoup sur l'alfa. «Cette plante est très adaptée au climat aride de la région. Elle permet la fixation des sols très sensibles aux phénomènes d'érosion et sert d'aliment au cheptel», explique, de son côté, Harkat Debabnia, conservateur des forêts à Naâma. De l'avis des responsables locaux, la redynamisation de la steppe nécessite une politique steppique nationale cohérente. Mais les propositions devraient, selon eux, être élaborées au niveau local. C'est le directeur de l'agriculture de la wilaya de Naâma, en l'occurrence Djamel Toumi, qui suggère cette approche. «Pour sauver la steppe des affres de la désertification, il faut un plan national ou tout au moins régional. Il faut surtout engager une large coordination avec les autres wilayas steppiques», a-t-il proposé. «Il est inutile de planter à Naâma si l'on ne fait pas la même chose dans les régions voisines», explique-t-il. Outre un plan national visant la protection de la steppe et la lutte contre la désertification, les responsables de la wilaya de Naâma et d'El Bayadh suggèrent l'implication de tout le monde dans ces opérations : l'Etat, l'armée, les éleveurs… Il faut surtout, selon le directeur de l'agriculture de la wilaya de Naâma, lancer des études hydrogéologiques pour chercher et faire resurgir les eaux souterraines, développer l'hydraulique pastorale pour augmenter l'offre fourragère et encadrer les entreprises spécialisées dans ces domaines.