Après le déjeuner, on s'asseyait à l'ombre des eucalyptus géants, et on jouait aux «dames» et quand le soleil devient clément (à partir de 16 h), on se dirigeait vers la forêt voisine pour jouer à cache-cache. La fraîcheur de fin d'après-midi aidant, on jouait à satiété jusqu'au crépuscule. Parfois, on s'exerçait aussi aux petits jeux de guerre. Chacun de nous cherchait alors un bâton et de petites branches pour se camoufler et la guerre des enfants était bel et bien déclarée. Durant ma première enfance, au début des années 1960, personne ne possédait un téléviseur au douar. La seule guerre qu'on connaissait était celle d'Algérie. Enfants, on avait vu les «moudjahidine» et les soldats français «se faire la guerre». Pour les imiter, on constituait alors deux groupes : le premier représentait les «moudjahidine» et le second les soldats français. Mais dans «notre guerre», il n'y avait pas de place pour la violence. Ce n'était qu'un jeu plein d'innocence, d'amitié et de fraternité. D'ailleurs, notre «guerre» terminée, on s'embrassait en riant, puis on rentrait calmement chez nous. Devenus adolescents, on a changé sensiblement nos jeux. Plus de cache-cache, plus de jeux de guerre. On n'a gardé que le football et le jeu de dames. Il faut reconnaître que nos parents avaient commencé à nous faire travailler dans les champs. La majorité des villageois était pauvre, mais il y avait quand même de petits travaux de moissonnage, de ramassage des épis et de battage du blé ou de l'orge. La plupart de ces travaux se terminaient dans la matinée. Fatigués, on prenait notre déjeuner et on se laissait gagner par le doux sommeil de la sieste. Pour les après-midi, un peu plus fraîches, on optait généralement pour la lecture. Il faut préciser que notre goût pour la lecture s'est développé à l'école. Les livres ne manquaient pas, mais on était pauvre et les seuls livres «bon marché» étaient les albums de bande dessinée, et les romans policiers et d'espionnage. On «se les procurait» une fois par semaine quand nos parents nous donnaient un peu d'argent de poche. Dans la ville proche du village, on allait alors voir un film cow-boy, policier, égyptien ou hindou. Devant la salle de cinéma, il y avait un «beau marché» (ou un bon marché) : des centaines d'albums de bande dessinée. Certains étaient neufs, d'autres usagés. Nos yeux d'adolescents épris de lecture et de dessins étaient fascinés par les Zembla, Akim, Blek le roc, Les cavaliers inconnus, etc. A côté de ces tas de bandes dessinées, il y avait aussi des centaines de polars. On connaissait par cœur les noms des auteurs célèbres, comme James Hadeley Chase, Carter Brown, Peter Cheney ou les identités de certains «héros» tels Coplan FX 18, Commissaire San-Antonio ou L'ombre, etc. A la sortie du cinéma, on avait l'embarras du choix : acheter ou échanger un polar ou un album de bande dessinée. A l'époque, le «troc» de livres était florissant devant les salles de cinéma. Avec un livre acheté, on peut lire des dizaines d'autres à l'ombre des caroubiers ou des eucalyptus pour vaincre la chaleur suffocante des étés chauds.