Pendant cette guerre nous avons préservé par notre action l'amitié entre Algériens et Français», écrit Alban Liechti à l'adresse d'El Watan, expliquant l'intérêt de la publication de son livre témoignage, Le Refus, édité en juillet 2005 par Le Temps des cerises. Né en 1935, en région parisienne, de parents communistes, lui-même prend sa carte d'adhérent au PCF à l'âge de 15 ans, Alban Liechti a été le premier appelé à refuser de faire la guerre en Algérie. «Alban Liechti a refusé de porter les armes contre des hommes. Alban Liechti a refusé de porter les armes contre des Algériens. C'est tout sauf un geste spontané qu'il a accompli», note dans l'avant-propos du livre l'historien spécialiste de la question coloniale, Alain Ruscio. Pour sa part, Julien Lauprêtre, président de l'association Le Secours populaire français qui vient de fêter ses 60 ans d'existence, qui a signé la préface, relève que «Sous l'uniforme, il (Alban Liechti, ndlr) ne refusait pas de défendre son pays, mais il ne s'agissait pas de cela ; il ne voulait pas combattre en Algérie». Le Secours populaire mena campagne pour lui. «Tout n'a pas été dit sur la Guerre d'Algérie, mais nous ne regrettons rien. Nous avons été du côté des gens de cœur, plutôt que de celui des tortionnaires et auteurs de multiples crimes et sévices», ajoute Julien Lauprêtre. Alban Liechti a refusé d'aller en Algérie deux fois, une première fois en 1956. Il est appelé sous les drapeaux le 5 mars 1956. Le 1er juillet, il obtient la signature de 30 soldats, au bas d'une lettre à Guy Mollet, dénonçant la guerre. Le lendemain, il écrit au président de la République, René Coty : «Dans cette guerre, ce sont les Algériens qui défendent leurs femmes, leurs enfants, leur patrie, ce sont les Algériens qui combattent pour la paix et la justice.» «C'est pourquoi, ajoute-t-il, je ne peux pas prendre les armes contre le peuple algérien en lutte pour son indépendance.» Transféré et emprisonné à Tizi Ouzou, puis à Fort National, Alban Liechti devait être jugé le 19 novembre1956. A sa sortie de prison, sa peine purgée, en septembre 1958, il est affecté à une prison de Barcelonnette. En mars 1959, il est à nouveau affecté en Algérie. Il est condamné une deuxième fois à 2 ans de prison (tribunal militaire d'Alger, 26 mai 1959). L'expérience de la prison est douloureuse. «La Maison centrale de Berrouaghia, qui comme celles qui peuvent lui ressembler, n'auraient jamais dû exister. C'est sans aucun doute mon plus mauvais souvenir de prison. Je pense que c'était l'un des plus durs régimes existant dans les prisons françaises en 1957, et qu'il pouvait être comparé au bagne de Cayenne ou aux camps allemands sous le régime nazi», se souvient Alban Liechti. «Ce deuxième geste sera mieux compris de ses camarades communistes. Dès 1957, le temps des illusions d'un nouveau Front populaire est bien passé. Il n'y a vraiment rien à espérer du côté des dirigeants de la SFIO», souligne l'historien Alain Ruscio. Entre temps les refus de partir s'étaient multipliés…la plupart provenant de communistes. «Sans devenir un mouvement de masse capable d'inverser le cours de la guerre, le refus n'était plus désormais marginal», ajoute Alain Ruscio. Et de préciser : «D'une façon générale, les dirigeants communistes pas très à l'aise avec les comportements des soldats du refus, vite, trop vite, assimilés à des actes individuels, voire individualistes non susceptibles de créer des mouvements de masse. Par-dessus tout, ils craignaient une assimilation dans l'opinion, entre refus, insoumission et, le pire pour la culture communiste, désertion.» Le 14 mars 1961, Alban Liechti est finalement extrait du pénitencier agricole de Casabianda, à Aléria, en Corse. Dès le 17, il apprend son renvoi en Algérie. Il accepte son affectation, mais refusera de porter d'arme chargée. Alban Liechti s'en explique : «Partout où je me trouverai, je serai un témoin vigilant vis-à-vis des humiliations, exactions, et tortures exercées contre des prisonniers ou la population algérienne. Je ferai mon possible dans les opérations militaires pour éviter les victimes de part et d'autre. J'essaierai de parler beaucoup avec tous les soldats appelés. J'expliquerai le plus possible mon histoire en essayant de faire évoluer et agir des soldats, qui ignorent de moins en moins les origines, les enjeux et les conséquences dramatiques pour tous, de cette ignoble guerre coloniale.» Alban Liechti est libéré de ses obligations militaires le 8 mars 1962. Il a 27 ans. Il aura passé 6 ans dans l'armée, dont 4 en prison. Aujourd'hui, à 70 ans, il livre enfin son témoignage sous forme de réponses aux questions de ses enfants. «Dès le début, j'approuvais le combat du Front de libération nationale, le FLN, et je me rendais compte que c'était une guerre d'indépendance de tout un peuple. Ma conviction était établie, je devais refuser de faire cette guerre pour ne pas me retrouver de la répression, à commettre des crimes ou des exactions dans une armée d'occupation, dans un pays qui n'était pas le mien.» «… Moi, je souhaitais faire réfléchir. C'est pourquoi j'ai choisi d'adresser une lettre au président de la République qui devait permettre que ma démarche soit connue, afin qu'elle suscite après celle des rappelés de 1955, d'autres actions, collectives ou individuelles, et qu'elle aide à la lutte des Français contre la guerre coloniale. Je savais ma décision lourde des risques qu'elle pouvait entraîner : sanctions, humiliations, punitions, et …combien d'années de prison ? Mais je me sentais assez fort pour tout supporter.» Alban Liechti est un des douze grands témoins qui demandaient, dans un appel publié le 31 octobre 2000 par le journal l'Humanité, au président Chirac et au Premier ministre, Lionel Jospin, de «promouvoir une démarche de vérité» sur la torture en Algérie. Plus de vingt mille signataires ont appuyé cet appel solennel.