Discours et déclarations seront naturellement au rendez-vous. Mais ce que les leaders du monde n'entendront certainement pas sous les voûtes du palais onusien, ce seront les voix de millions de pauvres et d'affamés qui luttent pour tenter de tirer leur subsistance d'un petit bout de terre aride dans un coin perdu du globe. Plus de 850 millions de personnes souffrent de sous-alimentation chronique dans le monde. C'est de leur souffrance quotidienne qu'il s'agit. Pouvons-nous rester indifférents devant cette scandaleuse opulence, ce gaspillage sans frein et cette consommation à outrance qui côtoient la misère, la malnutrition et la mort précoce ? Faut-il continuer à feindre la surprise devant tant d'injustice, source d'une génération perdue glissant sur la pente de la violence et du nihilisme ? Au cours du sommet, les chefs d'Etat et de gouvernement doivent passer en revue les progrès accomplis depuis l'adoption, il y a cinq ans, des objectifs du Millénaire pour le développement, notamment celui consistant à réduire la misère et la faim de moitié d'ici à 2015. Il s'agit là d'un objectif primordial, car de sa réalisation dépendra le succès de tous les autres. Faim et pauvreté sont inextricablement liées. La faim n'est pas seulement la manifestation la plus crue de la pauvreté, elle en est aussi la cause principale. Un cercle vicieux condamne ainsi, dès leur naissance, des millions de nos semblables à une vie de souffrance et de désespoir tronquée par la dénutrition et les maladies. Les zones rurales constituent le vrai champ de bataille pour extirper les racines de la faim et la pauvreté. En effet, les trois quarts du milliard et cent mille individus vivant avec moins d'un dollar par jour vivent dans les campagnes du monde en développement et dépendent de l'agriculture pour leur survie. La logique voudrait donc que l'on investisse davantage dans l'agriculture et les infrastructures rurales. Ainsi, tout progrès vers la réalisation des objectifs du Millénaire nécessite un engagement mondial renouvelé en faveur de l'agriculture et des économies rurales des pays pauvres. Malheureusement, au cours des 20 dernières années, l'aide au développement agricole et rural des pays les plus pauvres a été réduite de plus de la moitié passant de 5,14 milliards à 2,22 milliards de dollars. Des chiffres éloquents… Malgré cela, plus d'une trentaine de pays en développement totalisant plus de 2,2 milliards de personnes ont réussi à réduire le nombre de leurs sous-alimentés de plus de 25% et leur PIB a connu des taux de croissance plus forts que ceux des pays en développement pris dans leur ensemble. Là aussi, les chiffres sont éloquents. Mais les succès enregistrés par ces pays sont menacés par l'injustice permanente résultant du système commercial mondial. Les subsides accordés par les pays industrialisés à leur secteur agricole – qui frise 1 milliard de dollars par jour – dépriment les cours des matières premières agricoles coupant l'herbe sous le pied des agriculteurs des pays pauvres dont les produits sont souvent concurrencés sur leurs propres marchés. Les négociations sur le commerce mondial, qui reprendront en décembre prochain à Hong Kong, doivent tenter de trouver des réponses à des questions essentielles : la libéralisation du commerce agricole menace-t-elle, dans certains cas, la sécurité alimentaire et la réduction de la pauvreté rurale ? La protection du secteur agricole de la part de pays pauvres peut-elle parfois être justifiée par leur souci de sauvegarder la sécurité alimentaire de leur population ? Quelles seraient les politiques les plus appropriées pour assurer la sécurité alimentaire tout en progressant vers un régime commercial plus libéral ? Sur toutes ces questions, le chemin à parcourir pour atteindre plus d'équité reste long et semé d'embûches. En attendant, nous continuons à observer à la télé ou à apprendre à travers les journaux la mort de millions d'enfants victimes de la sécheresse au Niger ou ailleurs dans le Sahel ou encore dans d'autres régions oubliées de la planète. Après l'échange habituel d'accusations, nous nous précipitons tous pour offrir, à grand renfort de logistique, une aide alimentaire ponctuelle et coûteuse. Puis, nous attendons la crise alimentaire suivante sans soigner le mal à sa racine, c'est-à-dire sans mettre en place les systèmes d'irrigation et les autres infrastructures rurales indispensables. Le coût économique de l'inaction face au problème de la faim est exorbitant : 50 milliards de dollars ! Le coût humain est également effrayant : en l'absence de progrès, 5 millions d'enfants mourront tous les ans. (*) L'auteur est Directeur général de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO)