Cette presque-loi est générale et se vérifie dans tous les pays du monde ; avec certains aspects grotesques, voire clownesques qui émergent quand il s'agit de pays en voie de développement, comme on dit maintenant d'une façon cynique et hypocrite pour parler des pays pauvres. Cette situation s'explique par le fait que l'intellectuel est fragile, en proie à ses doutes et à ses démons et donc il est un être instable par définition. Tandis que le politique est stable, solide, rusé et capable de s'adapter à n'importe quelle situation prévisible ou inattendue. Ceci parce qu'il n'y a pas de culture sans pouvoir politique et il n'y a pas de pouvoir politique sans culture (dans le sens général du terme). C'est-à-dire que chaque pouvoir dominant impose une forme de culture dominante. En Algérie, la culture du pouvoir politique est d'abord, essentiellement, religieuse (importance du texte coranique dans le discours politique, liens étroits avec les zaouïas et autres confréries et… fascination par la chansonnette de tout genre qui est, en fait, la culture de masse, par définition). Par exemple, la télévision algérienne ne diffuse que cette culture médiocre de la chansonnette. C'est le cas aussi au Maroc et en Tunisie. Au Maroc, Hassen II avait l'habitude de dire en plaisantant que la plupart de ses ministres ont vendu «lhumanité», à Paris. Et c'est vrai. La récupération des élites de gauche est une forme de culture politique à la fois cynique et perspicace. Toute sa vie, le médecin personnel de Hassen II a été un éminent cardiologue membre du bureau politique du Parti communiste marocain. En Algérie, aussi, on connaît aujourd'hui l'implication du PAGS dans la pratique du pouvoir politique, à l'époque du président Boumediène. Souvent donc le pouvoir politique dissout l'intellectuel dans son système. Et on a vu en France, comment un immense écrivain et intellectuel, tel qu'André Malraux a été «dissous» dans le système gaulien. Peut-être qu'une telle analyse dialectique, qui lie, en fin de compte, le pouvoir politique à l'intelligentsia intellectuelle, donne-t-elle l'impression d'une sorte de provocation positive, qui, dans certains cas, quand les principes déontologiques et moraux sont énoncés clairement par deux parties, peut être porteuse de sens. Cette conception générale est dans l'ensemble correcte et a le privilège de son audace parce qu'elle remet en cause l'intellectuel donneur de leçon, mais qui peut, parfois, s'avérer un redoutable cynique capable de faire de son cynisme une véritable philosophie générale. Une construction a priori. Cette thèse, quelque peu choquante et bien réelle, hélas, permet à la sociologie politique de quitter les labyrinthes vides qui se terminent en cul-de-sac et d'empêcher la fuite en avant de l'intellectuel, fût-il «organique». Il est clair que l'intellectuel arabe, pour ce qui concerne cette partie du monde, a une lourde responsabilité dans cette situation politique générale caractérisée par l'état de force, de violence et de viol des consciences. En fait, il n'y pas d'innocence dans ce rapport entre le pouvoir et la classe intellectuelle. Parce que sans l'ambiguïté de l'intellectuel, sa faiblesse congénitale, il n'y aurait pas de pouvoir politique capable de gérer sa propre violence et son propre dictat. Parce que l'histoire nous enseigne que, de tout temps et partout, chaque pouvoir politique sait trouver les intellectuels qu'il faut pour lui «fabriquer» sa légitimité de toutes pièces et en toute mauvaise conscience et mauvaise foi. (A suivre)