Le mouvement féministe algérien souffre-t-il de son élitisme ? Tentative de débat hier, à la librairie El Djazaïr News (ex-Socrate), à Alger, en présence des sociologues Nassera Merah et Nacer Djabi, ainsi que de la syndicaliste Nadjia Zeghouda. Débat qui devait avoir lieu en présence de la romancière iranienne Fariba Hachtroudi, qui n'a pas pu rallier faute de visa (la demande n'a pas été faite à temps). Ce n'est que partie remise, selon Hmida Layachi, directeur d'El Djazaïr News, puisque son invitée sera à Alger le 16 mars. Selon Nacer Djabi, l'élitisme du mouvement féministe lui vaut une installation presque durable dans l'impasse. Le sociologue Mustapha Madi, présent parmi le public, a fait remarquer que ce mouvement est trop attaché à la France. « Il ne s'est jamais intéressé à ce qui se passe dans le monde arabe. Au Moyen-Orient, la femme a acquis beaucoup d'espaces », a-t-il déclaré. Nassera Merah affirme lutter contre les stéréotypes comme ceux accusant les femmes luttant pour l'égalité d'importer des « valeurs étrangères à la société ». « Or, nous remarquons que les discriminations dans le monde occidental sont les mêmes que chez nous. En France, les partis préfèrent payer les amendes plutôt que de faire la parité », a-t-elle ajouté. Selon elle, les Constitutions algériennes ont toutes été égalitaires, sauf que l'exclusion des femmes des sphères de décision a été instaurée. « Lors des législatives de 2007, des partis ont, sans pudeur, déclaré qu'ils ne mettent pas les femmes têtes de liste des candidats de peur de perdre des voix », a-t-elle précisé, citant le cas du RCD à Alger. Revenant sur l'article 31 bis, introduit à la Constitution après la révision du 12 novembre 2008 et préconisant plus de place pour les femmes dans les institutions élues et sur la décision du candidat président Abdelaziz Bouteflika d'installer une commission pour proposer un projet de loi organique mettant en application ces principes constitutionnels, Nassera Merah a annoncé ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. « Même si on n'est pas d'accord avec un candidat, tout ce qui est fait pour l'avancée de la condition féminine, nous l'acceptons. Ce qui m'inquiète est qu'il n'y ait pas de réaction à cette décision. Si les partis se taisent, c'est qu'ils ne sont pas d'accord. Nous avons besoin de partis qui nous présentent des projets de société, pas de partis qui maintiennent la société telle qu'elle est. Les partis doivent travailler pour le changement », a-t-elle ajouté. Il est temps, selon Nadjia Zeghouda, qu'une discussion soit ouverte sur les réserves algériennes sur le Convention de Copenhague (contre la discrimination à l'encontre des femmes). « Il faut s'appuyer sur les textes pour faire d'autres revendication », a-t-elle préconisé. Point de vue que ne partage pas le sociologue Zoubir Arrous, qui a estimé que la ratification par le gouvernement des conventions internationales et la promulgation de nouvelles lois visent à se donner « une légitimité politique ». « Ces textes n'ont pas pour but d'améliorer la situation de la femme », a-t-il noté. Pour l'écrivain Amine Zaoui, la femme, qui arrive à avoir de bons postes de travail, ne doit plus transférer « la culture de la soumission » vers les institutions ou les partis. A ses yeux, ce transfert la maintient dans une position inférieure. Pour Nacer Djabi, la femme algérienne est surqualifiée sur le plan professionnel, ce qui n'est pas forcément un avantage. « L'affaiblissement du secteur économique public dessert la cause féminine. Je connais des filles, diplômées en magistère de philosophie ou d'histoire, qui servent dans des pizzerias », a-t-il souligné, relevant que la femme a bien profité de l'école pour avancer. « Elle a même profité plus que la société ne peut supporter. A titre d'exemple, l'université s'est largement féminisée. Il reste que les pans conservateurs de la société n'acceptent le travail pour la femme que si elle est qualifiée, enseignante, infirmière ou autre. Et là, l'Algérie ressemble aux pays du Golfe, pas au Maroc ou à l'Egypte », a relevé Nacer Djabi, qui craint qu'un nouveau ghetto ne se crée autour de la question de la qualification. « Les pères ont encouragé leurs filles à aller à l'école, mais pas à travailler », a-t-il noté. La capitale est, d'après Nassera Merah, la ville où il y a plus de violence et d'exclusion des femmes. « A Timimoun, je peux me balader à 23h. Ce n'est pas le cas à Alger. Des filles portent le hidjab pour se libérer et pouvoir sortir le soir, à l'image du Ramadhan », a-t-elle ajouté. Nacer Djabi a cité l'exemple de Béchar où une femme tête de liste a gagné aux dernières législatives sans aucun problème.