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Un survol (1re partie)
Publié dans El Watan le 05 - 12 - 2005

Néanmoins, dans les pays en développement et de l'Europe orientale, l'extrême étendue du secteur productif étatique (orienté systématiquement en dehors des activités rentières – vers le marché local), son poids dans le produit global et l'emploi expliquent qu'il soit l'unique objet des programmes de restructuration. Celle-ci est parfois volontaire, délibérée ; elle est, le plus souvent, partie intégrante de réformes structurelles conditionnelles, imposées par la crise de la dette extérieure et les institutions financières internationales.
Fondements
Les programmes de restructuration industrielle intéressent toutes les branches d'activité économique et découlent couramment d'une analyse d'après laquelle :
– a) l'entreprise publique est moins performante que celle contrôlée et/ou exploitée par le capital privé, même quand ses résultats financiers sont
favorables ;
– b) la viabilité de l'entreprise publique est aléatoire, voire incertaine, en longue période.
Quel est le fondement d'une telle sentence ? Cette dernière s'appuie simplement sur un constat, un symptôme, celui des destructurations financières récurrentes de l'entreprise publique, de ses déficits d'exploitation chroniques qui sont pris en charge :
– immédiatement par le système bancaire au moyen de lourdes créances, plus ou moins, irrécouvrables, «performantes» qui causent, à ce dernier, des crises de liquidités (comme l'établit l'expérience latino-américaine) ;
– immédiatement par le budget de l'Etat-propriétaire, par le biais d'opérations de subventions, de restructurations et d'assainissement et, aussi, de recapitalisation des banques d'Etat. Dans certains pays, de tels débours du Trésor continuent à être financés par une création de monnaie.
Cette situation financière de l'entreprise publique – algérienne, par exemple- n'est ni une fatalité ni le résultat du hasard ; elle résulte d'une cause
réelle : la faible productivité et, donc, le manque de compétitivité. Une telle inefficience est inséparable de causes endogènes comme la présence soit d'un management inadapté (aux règles du marché, de la rentabilité), soit de techniques de production obsolètes (parmi lesquelles il y a lieu de ranger la qualification et l'organisation du travail). Mais elle est, également, la conséquence de facteurs exogènes, il en est ainsi des interférences (directes ou indirectes) de la puissance publique, de l'Etat-propriétaire (puissance publique mue par une logique politique) dans la définition des prix, des localisations, les opérations de recrutement, etc. Ainsi, le déséquilibre financier de la firme d'Etat est le produit, au moins, en partie, de la fonction qui lui est (ou lui a été), explicitement ou tacitement, assignée par l'Etat, émanation de l'intérêt général et garant de la cohésion sociale. C'est dire que l'objectif de cette entreprise n'a pas été et n'est pas encore, dans certaines situations, le seul profit monétaire. A Madagascar, par exemple, avant l'ajustement structurel initié, non sans résistance, il y a une vingtaine d'années, la Charte de la révolution exigeait des sociétés nationales de couvrir les besoins des populations «sans se soumettre aux lois du marché capitaliste». En d'autres termes, la logique de l'entreprise publique, en Algérie comme dans le reste de l'Afrique ou du monde arabe, a été (et reste encore parfois) plutôt la quête du profit social, même si les contours de ce dernier sont toujours difficiles à cerner. Les réformes économiques, initiées çà et là depuis les années 1980 et qui se sont accélérées lors de la dernière décennie, ne pouvaient éponger aisément les conséquences financières du dirigisme, plus ou moins, forcené du passé ; ces conséquences constituent encore un fardeau, un passif que continue à porter la firme étatique. De surcroît, il serait naïf de croire que, dans le nouveau contexte de la libéralisation économique, l'Etat (en Amérique latine et ailleurs) ait totalement abdiqué son droit à piloter ses propres entreprises, dans la direction qui lui semble la plus appropriée(1). Cela étant, la portée politique et sociale de la restructuration industrielle est intimement liée à l'étendue du secteur public dans le système productif des pays en développement et de l'Europe orientale. Abstraction faite des questions idéologiques, cette dimension, souvent considérable, a également été le résultat : – de la nécessité de compenser les carences ou l'absence du secteur privé. Ce dernier, lorsqu'il existe, est plus séduit par les transactions – parfois spéculatives (comme le penchant excessif vis-à-vis de l'importation – à haut rendement, à forte rotation de capital que par l'investissement productif qui s'inscrit dans la durée. De surcroît, investir à terme suppose l'existence préalable d'une bonne gouvernance macroéconomique, d'un climat d'affaires approprié, de la confiance. Or le facteur «confiance» manque fréquemment dans ces pays ;
– de la nécessité de compenser les insuffisances (comme la «myopie») du marché et d'orienter les investissements, selon les préférences de structures, la stratégie de développement du pouvoir (comme l'ont effectué le Japon, la Corée du Sud, Taïwan…). La plupart des économistes – libéraux inclus – admet que les grands investissements (éventuellement profitables à long terme et surtout entraînant pour l'ensemble de l'économie) ne peuvent être entrepris sur la base des seules lois du marché et de la quête de la profitabilité immédiate. Après avoir hésité ou clamé l'ultra-libéralisme, au cours des quinze dernières années, l'Algérie semble avoir compris que l'Etat ne saurait s'effacer et se doit d'encadrer le marché ;
– du besoin de créer et de soutenir la demande intérieure en vue de stimuler l'investissement productif, la production et l'emploi. Il est indéniable que l'édification d'un important secteur public, dès la fin de la décennie soixante, a permis de faire du marché algérien l'un des plus importants, des plus attractifs du continent africain. A l'inverse, force est d'observer que le désengagement relatif de l'Etat-providence de la vie économique, depuis 1988-89, a sensiblement rétréci ce marché (qui semble, néanmoins, s'élargir depuis 2001 sous la poussée des investissements publics dans les infrastructures).
Cependant, il n'est pas rare que la croissance des besoins (liée, entre autres, à l'évolution démographique) se heurte, non seulement à l'inertie du capital privé, de l'investissement privé mais aussi à la limitation des ressources publiques ; de tels besoins sont alors insuffisamment couverts. L'Algérie a, dans une certaine mesure, connu une telle situation dans les années 1980. De plus, quand ces ressources rares se mettent à décliner, sous l'effet de la récession et de la détérioration des termes de l'échange (deux phénomènes associés dans les pays en développement), les missions économiques de l'Etat ont tendance à être, volontairement ou non, «revues à la baisse», redéfinies, dans un sens restrictif. A cette occasion, surgit la question de la restructuration industrielle. On peut relever qu'en Algérie, elle émerge dans la politique économique lorsque, sous la pression de la déflation du marché pétrolier international, en 1982-1986, se produisent :
– un assouplissement du régime des prix, la «vérité des prix» étant érigée, de façon assez vague (en dehors du secteur agricole), en objectif :
– une réhabilitation de la comptabilité analytique, de la comptabilité des prix de revient, jugée jusque-là comme une norme de rentabilité étrangère à la planification socialiste centralisée ;
– une dissolution des domaines socialistes qui ont été, dès 1987, transformés en exploitations agricoles, individuelles ou collectives (régies par le droit privé) auxquelles a été concédé l'usage des terres du domaine agricole national ;
– une restructuration organique et financière des sociétés nationales qui s'est achevée, en 1993, quand elles ont été soumises à l'intégralité des clauses du code de commerce, au droit privé.
La flexibilisation des prix et la réorganisation de l'agriculture «socialiste» et des sociétés nationales ambitionnent déjà, dans la décennie 1980, d'introduire et d'incruster, en Algérie, la notion de profit monétaire dans le secteur étatique et d'alléger l'appel de ce dernier au crédit bancaire et aux finances publiques. De façon plus générale, les facteurs ayant ordonné la restructuration industrielle, dans le monde, ont été :
– 1. L'abandon par l'Etat de son engagement traditionnel à être, explicitement ou implicitement,
la caution des dettes, du passif de ses entreprises.
Cette posture nouvelle est née :
– soit de l'adhésion de l'Etat à l'idéologie libérale qui lui dictait de quitter la sphère productive et de s'en tenir au service public, aux «monopoles naturels», dont le champ devrait être le plus restreint possible, du point de vue de la Banque mondiale ;
– soit de sa volonté de réduire ou d'éliminer ses dépenses de transfert, ses subventions pour affecter ces ressources (rares) à des investissements sociaux ou, plus simplement, pour réduire la dépense publique en vue de préserver ou, le plus souvent, d'instaurer l'équilibre budgétaire (qui est au cœur de la gestion orthodoxe, libérale de l'économie) ;
– 2. le revirement de la politique monétaire et du crédit. Celle-ci, après une phase de facilité, s'est imprégnée des règles prudentielles et est devenue plus rigoureuse. Aussi, la suspension de la garantie de l'Etat-propriétaire a été renforcée par un renchérissement et un contingentement des prêts bancaires. Dans ces conditions, la firme étatique s'est mise à fonctionner sous, ce qu'appelle la Banque mondiale, la «contrainte budgétaire» ; elle a été sommée d'être bancable, rentable sous peine d'être obligée de quitter le marché, y compris par le dépôt de bilan et la faillite. En Egypte et en Algérie, par exemple, la législation commerciale a été, au début de la précédente décennie, amendée pour étendre les clauses de la faillite et du règlement judiciaire à l'entreprise publique insolvable. Ainsi, a été instaurée –
suivant la conditionnalité de la Banque mondiale – «l'égalité, la non-discrimination» entre l'entreprise publique et l'entreprise privée à l'endroit du marché et de ses règles (concurrence, transparence, fluidité…) ;
– 3. le rétrécissement du marché et la modification de sa structure. Sous l'impulsion des différentes mesures de libéralisation économique, se produit une contraction, plus ou moins, prononcée, du pouvoir d'achat des agents économiques. La taille du marché se contractant, les entreprises ont dû, à moins d'avoir trouvé des débouchés extérieurs suffisants, diminuer leur output, cesser leurs activités ou modifier leur objet. Dans les pays se caractérisant dans le passé par une planification socialiste, le marché de pénurie, le marché d'offreurs s'est transformé en un marché de demandeurs ;
– 4. la conditionnalité des institutions de Bretton Woods qui sont, en quelque sorte, les «fondés de pouvoir» de la communauté financière internationale (composée, pour l'essentiel, de pays industrialisés capitalistes, libéraux). Cette conditionnalité, attachée à la volonté de rendre le système productif efficace (au besoin, en l'amputant de ses éléments jugés non viables), a englobé aussi la restructuration industrielle, élément clef des réformes de la seconde génération, des réformes structurelles. La mise en œuvre de telles réformes – la conditionnalité de la Banque mondiale aidant – a fréquemment en contrepartie un apport d'argent frais et/ou un reprofilage des échéances de la dette, y compris pour financer, le cas échéant, le filet social. Dans les années 1990, l'Argentine a, par exemple, obtenu auprès de la Banque mondiale et de la Banque interaméricaine de développement (BIAD) un mégaprêt conditionnel d'un milliard de dollars destiné à financer la restructuration-privatisation des banques, fragilisées par leur sous-liquidité.
Actions et débats
La restructuration industrielle projette de rendre le système productif plus efficient en élaguant, sur son chemin, les entreprises financièrement en détresse et sans lendemain et de sauver celles qui sont viables, dans le contexte d'une économie, de plus en plus, ouverte sur le monde, c'est-à-dire d'une économie dépourvue de contrôles quantitatifs et où les tarifs douaniers baissent significativement (s'ils ne sont pas purement et simplement supprimés). La restructuration industrielle ainsi comprise procède du processus de libéralisation-globalisation où la notion de spécialisation internationale reprend ses droits et s'impose sur un marché qui se voudrait unique à l'échelle planétaire ; la compétitivité s'érige, dans ce contexte, en clef de survie de l'entreprise. Par conséquent, la restructuration industrielle participe aux efforts, déployés depuis 1944-1947, de restauration – à quelques aménagements près – de l'ordre économique ancien, celui ayant prévalu du XIXe siècle à la révolution bolchévique et à la grande dépression des années 1930. Conçue comme un processus «shumpeterien» de «destruction créatrice», la restructuration industrielle consiste d'abord à auditer chaque entreprise et, ensuite, à décider soit de lui faire quitter le marché, soit d'organiser son redressement, son sauvetage par des actions spécifiques, adaptées à sa situation propre. Cette approche, au cas par cas, conduit ainsi aux actions suivantes :
– 1) la dissolution-liquidation des firmes, considérées sans avenir, ou s'adonnant à une activité où l'Etat est appelé, par la Banque mondiale, à désinvestir ; il en a été ainsi dans les domaines de la distribution en Algérie et des organismes de soutien aux produits agricoles d'exportation, en Afrique de l'Ouest ;
– 2) l'assainissement financier sous diverses formes : l'apport d'argent «frais», la conversion de dettes contre la prise de participations, l'annulation ou la consolidation de dettes… En Algérie, bien que certaines banques aient converti leurs créances en participations dans le capital d'entreprises publiques, ces dernières sont plutôt familières de l'échelonnement des dettes bancaires ou leur transformation en prêts à moyen terme du Trésor ;
– 3) la réduction des effectifs (en Algérie, au Maroc…) combinée, dans certaines circonstances, a une réaffectation sectorielle de la force de travail pour en élever la productivité. Dans certains pays (à l'instar de l'Algérie), cette mesure a été accompagnée par la création d'un filet social, plus ou moins, protecteur ;
– 4) l'investissement humain en vue d'améliorer la qualification des ressources humaines, à tous les niveaux, et de les adapter aux nouveaux enjeux en mettant l'accent sur la flexibilité, la mobilité qui aura à les animer, à l'avenir ; l'éducation-formation de l'homme doit être massive et surtout de qualité, car elle est un des facteurs cruciaux de la compétitivité, du développement (et même de la séduction des capitaux internationaux) ;
– 5) la modernisation des équipements associée à une meilleure maîtrise de la fonction maintenance, dont la négligence est des traits saillants des pays en développement alors qu'elle permet de minimiser les immobilisations de l'appareil productif et, par conséquent, les coûts de production ;
– 6) le regroupement, la fusion, la scission, voire la filialisation des unités de production. Cette dernière a été accomplie, en Algérie, par la quasi-totalité des entreprises nationales avec deux buts : mieux cerner les questions de production et préparer, plus aisément, la privatisation (ou la dissolution-liquidation) ;
– 7) enfin, le transfert des entreprises publiques au capital privé (national ou étranger), en l'état (comme en Russie, en Tchécoslovaquie…) ou après réhabilitation, comme l'entreprend, dès cette année, la Chine en offrant sur le marché financier de Hong-Kong une partie du capital social de banques publiques, après en avoir «nettoyé», au préalable, les bilans de leurs colossales créances douteuses, irrécouvrables. Un tel transfert peut porter :
– soit sur la gestion par le biais d'une location simple, du leasing, d'un contrat de management (pratique courante dans l'hôtellerie) ou de la concession de droits ou de biens domaniaux (accès au secteur de la téléphonie, à la jouissance de terres agricoles, par exemple, en Algérie) ;
– soit sur la propriété à l'aide d'une vente pure et simple d'actifs physiques ou de titres, d'actions représentatives du capital social. En vue d'élargir le consensus social autour des programmes de privatisation, la législation de certaines économies socialistes en transition a admis que les travailleurs des entreprises privatisables, voire la population pouvaient se les approprier, partiellement ou intégralement. Quand le repreneur est un non-résident, il est possible que cette cession de la propriété intervienne dans le cadre d'un échange d'actions contre des dettes étrangères, de «l'equity-debt swap», à condition que cette transaction ait été prévue dans un accord de rééchelonnement de la dette extérieure publique avec le Club de Paris. (A suivre)
Eléments bibliographiques
– 1) J. Klatz : Structural changes and productivity in Latin America, 1970/99, Cepal Review, août 2000, p.68,


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