A quels résultats ont mené ces politiques publiques au double niveau de la structure juridique de l'économie et de la structure de son système productif ? La structure juridique de l'économie subit une profonde transformation en se privatisant ; plus de 50% du produit global, hors hydrocarbures, ont pour origine le secteur privé. Cette évolution n'est pas sans être encouragée par la Banque mondiale qui concourt, depuis 1980/82 aux côtés de la SFI, à étendre, par sa conditionnalité, le champ de la production privée dans le monde ; elle n'a cessé et ne cesse d'expliquer aux Etats-membres, ayant besoin de ses prêts pour financer la politique d'ajustement structurel, que le capital privé est supérieur, plus efficace que l'entreprise publique. D'après toutes les institutions financières internationales, l'entreprise privée, contrairement à la firme publique, est à l'abri des décisions, à caractère politique, plus ou moins « irrationnelles », contribue à ancrer les règles de la concurrence porteuses de baisse des prix et d'amélioration de la qualité, favorise le partenariat et le transfert de savoir-faire, stimule la formation d'un marché de capitaux, source alternative de financement de l'économie, fait l'économie des subventions versées aux firmes publiques, aux dépens du financement de projets sociaux et, génère, au contraire des ressources fiscales, etc. Evoquer la privatisation du secteur public est impossible sans s'interroger sur son étendue. Les fanatiques du néo-libéralisme ne s'embarrassent pas de remettre en cause la gestion voire la propriété étatique de certains services publics, du secteur non concurrentiel (formation, gestion des prisons, distribution de l'eau potable, etc.). Mais la privatisation de l'économie ne procède pas uniquement de la désétatisation : elle est également produite ex-nihilo, par l'encouragement de l'initiative privée ; amorcée timidement lors des années 80, elle commence à revêtir des aspects plus engageants, en dépit de fréquentes tracasseries bureaucratiques, au cours de la précédente décennie. Le capital privé s'investit dans l'industrie agroalimentaire, la fabrication de médicaments, dans le transport urbain et interurbain, etc. le secteur des services, où l'initiative privée est très présente, forme 36% du produit global (contre 20% en 1984). Les avancées de l'entreprise privée sont soutenues par la disparition de « l'effet d'éviction » de l'ère socialiste dont elle a souffert dans ses rapports avec les banques : en 2007, elle bénéficie de 1,2 billion DA de crédits bancaires (contre 998 milliards DA pour les firmes publiques), d'après le dernier rapport annuel de la Banque centrale.Quant à la structure économique, reflète-t-elle un quelconque modèle de développement ? La réponse est positive : imposé dans une certaine mesure, par la crise de la dette et du change et la dépression économique (qui s'en est suivie dès 1986), ce modèle se consolide depuis le rééchelonnement de la dette et le troisième choc pétrolier. Il se caractérise par : 1- par d'importantes dépenses publiques en infrastructures, créatrices d'emplois non permanents et financées à l'aide de ressources fiscales (tirées principalement du secteur des hydrocarbures) ; ces programmes — ayant hissé le taux d'investissement à environ 35%, en 2007 — profitent, naturellement, au secteur du bâtiment, des travaux publics et de l'hydrauliqu e qui contrôle 15% du produit global (hors hydrocarbures contre 5%, en 1984, c'est à dire la veille du plongeon dans la crise de la dette) ; 2- par la présence d'un secteur exportateur rentier et prospère, ces dernières années, du fait d'un facteur exogène : l'envolée vertigineuse du prix nominal des hydrocarbures ; cette hausse rend compte du gonflement de la part des hydrocarbures dans le produit global — 44% en 2007 contre 33% en 1980, au lendemain du second « choc pétrolier » — mais aussi l'accumulation d'importantes réserves de change. Ainsi, nous nous retrouvons, de facto, dans le modèle de développement par les exportations primaires avec ce qu'il comporte d'insuffisances, en dépit du fait que, de nos jours, le nationalisme pétrolier est, en Algérie comme dans le reste du monde, puissant et renforce la position des sociétés nationales dans le contrôle sur les réserves d'hydrocarbures. Le retour à ce modèle s'explique certes par le ralliement de « policy makers » à l'idéologie libérale ou par leur volonté de convaincre la communauté internationale de leur détermination à s'inscrire dans le cours de la mondialisation mais aussi par l'explosion (capricieuse) des revenus pétroliers. Ce retour, parce que fondé sur le règne du libre-échange, étend le champ de la « dutch desease », cette « maladie hollandaise » qui, sous l'effet d'une rente minière, détourne de la diversification de la structure de production lorsqu'elle ne la détruit pas ; par conséquent, il n'est point étonnant que l'industrie manufacturière soit durement affaiblie par la concurrence étrangère : de 22,5%, en 1984, sa part dans le produit global tombe à près de 5% seulement, en 2007. De façon rapide, pour la diversification du système productif, les partisans du libéralisme s'en remettent : aux forces du marché : comme le veut la doctrine libérale, c'est le niveau des prix qui est supposé stimuler, décourager, orienter l'investissement et la production. Pourtant, le développement socio-économique (adossé à une diversification de la production) exige une vision à long terme, intégrant, aujourd'hui, les contraintes imposées par la révolution technologique alors que le marché, qui ne se soucie guère de la justice sociale, est myope, de nature. De plus, la question se pose de savoir s'il existe, en Algérie, un marché ayant les caractéristiques que lui prête l'idéologie libérale (mobilité des facteurs, transparence, atomicité, etc.) pour occuper la fonction régulatrice de l'économie qu'elle lui prête ; et sur le capital privé, local et étranger. Or, il est bien connu que, dans les pays en développement, ce capital penche vers les investissements à délai de récupération du capital court, c'est-à-dire vers les opérations de type spéculatif. La foi dans le secteur privé, animant certains décideurs, occulte le fait que, déjà dans les années 90 « la grande avancée de l'économie de développement a été la reconnaissance du rôle crucial de l'Etat », comme l'écrit le professeur Williamson, ancien vice-président de la Banque mondiale. S'agissant de l'investissement direct étranger, il n'a pas que des avantages, comme le souligne, dès les années 60, l'école structuraliste latino-américaine à partir des observations de son comportement, au Mexique et ailleurs ; ses interventions se limitent aux étapes finales de la production (assemblage, conditionnement, etc.) sans grande valeur ajoutée, ni transmission de technologie ; il contrôle des branches qui deviennent alors quasi inaccessibles au capital local ; il déplace les centres de décision économiques à l'étranger ; il interdit fréquemment à ses filiales de vendre hors du pays d'accueil ; enfin, il a tendance à faire des tirages sur les ressources en devises du pays : en effet, un investissement direct international de 10 ou 100 millions de dollars, une fois amorti — et il peut l'être, dans certains branches en un ou deux ans — devient une véritable pompe à aspirer les liquidités internationales du pays. Cependant, avec l'avancée du libre échange, l'investissement direct étranger (hors secteur minier) engendre, dans certains cas, des recettes en devises car, par la délocalisation d'activités, sont but est couramment de gagner davantage ou de préserver des marges commerciales, en comprimant ses coûts de production et de couvrir, le fret étant relativement faible, les besoins de ses marchés traditionnels, y compris celui du pays d'origine ; à ce sujet et contrairement aux idées reçues, le rapport 2008 de l'OMC, montre que les entreprises recourant à la délocalisation sont principalement celles de pays à faible taille (Belgique, Hongrie, Irlande, etc.) et que celles qui délocalisent le moins sont celles de pays à vaste marché (Etats-Unis, Chine, France, Japon, etc.). La Chine, où les salaires sont bien inférieurs à ceux des pays industrialisés, attire les investissements directs étrangers qui sont à l'origine de 60% des exportations du pays, essentiellement des produits manufacturés, bas de gamme jouissant de « l'effet de variété ». Au vu de l'état de la technologie locale, ces investissements sont loin d'avoir véhiculé le transfert de technologie voulu, incitant la Chine à aller chercher cette technologie par la prise de participations, des placements stratégiques (et non spéculatifs), par le biais de son « fonds souverain », dans les entreprises américaines, européennes en difficulté financière. En tout état de cause, l'investissement direct étranger n'est jamais à bannir car il peut être créateur d'emplois, participe à l'intégration de l'économie, source d'apprentissage technique et véhicule une balance-devises positive. Les investissements productifs étrangers (hors secteur minier) sont encore modestes, en Algérie au regard des avantages compétitifs de celle-ci : coût de la main-d'œuvre et de l'énergie, proximité avec l'Europe, etc. Pendant que se produit la désindustrialisation, le libre commerce stimule de façon inquiétante les importations dans un marché longtemps marqué par la pénurie ; le montant des achats de marchandises à l'étranger double pratiquement, en 2003-08, se hissant de 13,3 à environ 28 milliards de dollars. A l'instar de la Russie, autre pays où le socialisme a été abandonné, l'Algérie importe presque tout (friperie incluse). A l'inverse, les ventes à l'étranger de produits de secteurs autres que celui des hydrocarbures ne représentent, en moyenne que 1,7% des exportations totales, en 2003-07. Le développement économique continue à être tracté par les revenus extérieurs des produits énergétiques (dont les prix internationaux — objet de la spéculation financière — sont considérés, comparativement, à ceux des autres produits primaires comme les plus volatils et les plus difficiles à prévoir) ; c'est ainsi qu'après avoir atteint des niveaux historiquement élevés, à l'été 2008, et fait espérer de nouvelles hausses, ces prix se sont effondrés à environ 45 dollars le baril fin 2008-début 2009. C'est dire à quel point l'approvisionnement intérieur, comme la croissance économique (que le secteur des hydrocarbures finance), sont dépendants et fragiles. Un tel modèle de développement (porté, également, par l'ajustement structurel « ne règle pas les grands problèmes, comme la pauvreté et l'emploi » de l'aveu, même, de C.J.Poortman, vice-président de la Banque mondiale, qui ajoute que « l'Algérie, qui a trouvé les équilibres, doit rapidement s'attacher à régler ses problèmes sociaux ». Autre illustration d'un pays extraverti et vulnérable : la Russie. Ayant été loin dans la libéralisation économique et financière et ayant réalisé un « miracle économique », au cours des dix dernières années grâce aux exportations d'hydrocarbures, elle voit le cours du rouble fondre, malgré les interventions massives de sa Banque centrale et le chômage se développer, à cause des difficultés des entreprises dues à la crise financière internationale et la chute du prix du pétrole. L'après-pétrole, censé garantir un développement économique durable et plus stable, appelle, de toute évidence, une diversification significative du tissu productif. Celle-ci ne peut procéder que d'une définition, sereine et respectueuse des conventions bilatérales ou multilatérales, d'une « stratégie industrielle », intéressant le secteur public comme le secteur privé et englobant toutes les branches d'activités ; une telle stratégie doit être adossée à une refondation du système économique, du « capitalisme algérien », avec le concours de tous les acteurs concernés (pouvoirs publics, experts algériens, syndicats) dans ses aspects institutionnel et productif, dès lors que l'ouverture brutale voire « incontrôlée » du marché, en 1994, a montré ses limites. Une telle refondation n'a plus rien d'original ou de choquant : la planète entière, prise à la gorge par la récession, réfléchit à la révision du mode de fonctionnement du marché, en pointant du doigt le mode importé, ces vingt dernières années, des Etats-Unis (qui jouent, toujours, un rôle central dans les institutions financières internationales et leur conditionnalité).