Chez les fellahs de la région, habitués à entamer les semis dès la 3ème semaine de novembre, c'est la panique qui le dispute à l'affolement. Cet état d'esprit est fortement accentué chez les gros cultivateurs dont la campagne s'étale parfois sur deux mois. Pour ces derniers, même si tout devait rapidement rentrer dans l'ordre, ils sont conscients de ne pas pouvoir réaliser leurs objectifs. Les importateurs continuent de scruter la moindre réaction des autorités centrales du ministère de l'Agriculture, à l'origine de l'arrêté introduisant les nouvelles normes en matière de semences, notamment celles fixant entre 700 et 800 le nombre de tubercules par sac. Une fourchette qui exclue de facto les variétés dites oblongues, essentiellement la Spunta et l'Atlas pour les blanches, puis la Kondor et, à un degré moindre, la Désirée pour les rouges. Certains agronomes feront remarquer, à juste titre, qu'une variété comme la Spunta, qui représente plus de 65% de la demande nationale en semence, ne peut répondre à cette exigence que si les fournisseurs ne sélectionnent, pour le marché algérien, qu'un calibre de 30/50. Une exigence qui doit nécessairement se payer très cher. Car, pour parvenir à obtenir des tubercules moyens, il aurait fallu agir sur la production en réduisant le cycle de développement et en densifiant les cultures, abaissant ainsi sensiblement les rendements. Dans un premier temps, les agriculteurs seront contraints de se partager les semences locales qui ne peuvent couvrir que moins de 18% des besoins. L'inquiétude aura également gagné les compagnies maritimes qui s'arrangeaient pour coordonner les envois vers l'Algérie avec la campagne d'exportation des agrumes du Maroc. La fièvre qui gagne les campagnes n'aura pas laissé insensibles les spéculateurs qui commencent à faire des offres suspectes. Il n'est pas exclu que les détenteurs de stocks de pomme de terre de consommation soient tentés de la faire passer pour de la semence. De sombres perspectives qui font craindre le pire pour l'approvisionnement du marché. Car, parmi nos interlocuteurs, la majorité estime que la nouvelle réglementation pénalisera surtout les bons producteurs. Dans la mesure où 70 à 80% des variétés que recherche le fellah se caractérisent par la forme oblongue, ils craignent une réelle régression des superficies et une forte baisse des rendements. Ils feront également remarquer que d'autres pays importateurs ont fixé des critères similaires en les adaptant à chaque variété. Ils feront souligner qu'en ce qui concerne la Spunta, avec un calibre de 30/55, il est impossible d'obtenir moins de 700 tubercules par sac sans procéder à un très coûteux calibrage qui fera doubler les prix. Risque de baisse de production Les tentatives de mise en conformité entreprises pour cette variété auront abouti à des résultats cocasses. En effet, lorsque 700 tubercules de calibre 30/50 sont conditionnés en sac, son poids atteint parfois jusqu'à 59 kg, au lieu des 50 kg conventionnels. Beaucoup redoutent également les contrecoups à court terme sur l'activité, qui pourraient produire des effets pervers. A savoir, la réduction de superficies cultivées qui se traduira par une baisse drastique de la production. Une aubaine pour les patates turques et roumaines dont les besoins s'élèveraient à pas moins de 20 millions de quintaux que les fellahs pavanaient à combler par la succession de plusieurs cycles de production. Ainsi, la pomme de terre de saison qui fait appel à des semences d'importation à hauteur de 80 000 à 120 000 tonnes, permet de couvrir plus de 80% de la demande. Pour celles d'arrière saison, cultivée essentiellement dans les plaines littorales, qui retire sa semence à partir de le «E» ou de la «S E» cultivées en pleine saison, elle couvre pratiquement les 20% restant. Il apparaît clairement que si la campagne d'importation persistait dans le blocage qui la caractérise depuis plus d'un mois, la production nationale risque d'en payer le contre coup fort rapidement. Ouvrant alors la voie à toutes les spéculations, notamment celle qui consiste à recourir à l'importation de pomme de terre de consommation produite en Europe et dans certains pays voisins. En fonction des informations disponibles, tout porte à croire que l'Algérie ne pourra pas importer plus de 20% de ses besoins. D'où la nécessité de recourir à l'importation de pas moins de 60% de nos besoins en pomme de terre de consommation. Une alléchante perspective pour les spéculateurs de tous bords qui se frottent déjà les mains. Car, en ligne de mire, ce seront 10 à 15 millions de quintaux qui transiteront entre leurs mains. Achetée à quelques centimes d'euros en Europe de l'Est ou en Turquie, elle sera comme à l'accoutumée, écoulée parcimonieusement à des prix insondables. Cette situation n'est pas faite pour arranger les fellahs dont certains ne s'en remettront pas de sitôt. Un fellah de Sirat soutiendra avoir déjà investi, en engrais de fond et en fumier, pas moins de 4 millions de dinars. Pour lui, le recours à la semence locale semble totalement exclu. Les informations qui parviennent de l'autre côté de la mer font état d'une intense activité afin d'écouler la quote-part qui était destinée à l'Algérie.