A la faveur de la crise engendrée par les perturbations que connaît le secteur de l'agriculture depuis bientôt trois saisons consécutives, c'est le front de la semence de pomme de terre qui prend des chemins sans issue. Mostaganem : De notre correspondant Initialement, c'est la promulgation d'un nouvel arrêté modifiant la réglementation de l'importation de semence de pomme de terre par le ministère de l'Agriculture, en janvier 2005, qui mettra à mal ce segment important de l'agriculture nationale. Son entrée en application lors de la campagne 2005/2006 allait provoquer un rejet formel de la part des importateurs et de leurs fournisseurs étrangers, qui argueront de l'impossibilité de satisfaire à cette nouvelle réglementation. Concrètement, face à l'intransigeance des pouvoirs publics, les opérateurs de la filière finiront par se soumettre à la nouvelle législation, entraînant tout de même certaines conséquences sur la qualité des semences livrées, mais également sur la quantité. En effet, alors que durant la campagne précédente, suite à l'importation record de 120 000 t de semences, la production atteindra des niveaux tels que les prix à la consommation frôleront les 5 DA au kilo. A l'époque, nombreux seront les paysans qui y laisseront des plumes. Les responsables de l'agriculture de leur côté n'hésiteront pas à faire dans la récupération, justifiant ces performances par les bienfaits du PNDRA et sa cheville ouvrière, le FNDA. D'autres lorgneront tout simplement la semence où des intérêts colossaux étaient en jeu, car la facture en devises avoisinait à l'époque les 50 millions d'euros. Une entente de façade Il faut noter que les fournisseurs étrangers qui n'avaient jamais vendu autant de semences à l'Algérie —dont les besoins ne pouvaient objectivement dépasser les 80 000 t — commençaient à voir d'un mauvais œil la répartition de cette manne et depuis pratiquement l'année 1997, la variété Spunta qui venait de passer dans le domaine public — ce qui permettait à n'importe quel multiplicateur de la produire et de la vendre sans aucune contrainte — avait, en raison des ses hauts rendements, non seulement séduit une grande majorité de fellahs, mais elle empêchait le développement d'autres variétés. Notamment les plus récentes, dont l'obtention avait naturellement nécessité des années d'efforts et de lourds investissements de la part des firmes spécialisées. Très rapidement, celles offrant de la Spunta finiront par s'imposer au détriment des autres. Ces dernières, qui bénéficiaient jusqu'alors d'un marché garanti, verront leur quote-part de semences livrées à l'Algérie, diminuer de manière drastique. Tous les efforts pour introduire et surtout faire accepter par les fellahs leurs nouvelles variétés échoueront lamentablement. Seules les firmes proposant de la Spunta parviendront non seulement à se maintenir, mais elles verront leurs parts de marché augmenter. Profitant d'une conjoncture favorable, elles parviendront à introduire, concomitamment avec la Spunta et la vieille Désirée, des variétés nouvelles qui finiront par séduire une partie non négligeable des producteurs. Ce déséquilibre entre fournisseurs allait creuser un fossé entre d'un côté ceux dont les variétés s'imposaient sans difficulté et les autres. Ces derniers ne pouvaient rester les bras croisés indéfiniment et voir les fruits de leurs investissements boudés par nos fellah. C'est alors que les lobbyes dormant finiront par être réactivés. Selon des informations concordantes, la première mouture de l'arrêté de janvier 2005 était déjà prête à l'emploi dès l'année 1994. Mais à l'époque, Nordine Bahbouh, alors ministre de l'Agriculture, ne donnera aucune suite à ce projet d'arrêté. Il aura fallu l'arrivée de Saïd Barkat et d'une nouvelle équipe à la tête du ministère de l'Agriculture pour que ce projet soit réanimé. Finalement, ce n'est qu'en 2005, soit 9 années après la première mouture, que ce texte sera promulgué avec les conséquences désastreuses que l'on constate depuis sa mise en application. Pourtant, a priori, cet arrêté était censé protéger nos agriculteurs puisqu'il fixait, entre autres, et c'est la principale nouveauté, un nombre de tubercules par sac de 50 kg entre 700 et 800. Ce qui devait en principe réduire la taille des tubercules, c'est-à-dire fournir au cultivateur plus de plants à semer. Ce qui devait logiquement, dans le cas où le prix de session restait stable, réduire les charges puisque le fellah pouvait disposer de 1400 à 1600 tubercules par quintal au lieu des 1000 à 1200 antérieurement. Une spirale infernale C'est selon toute vraisemblance cet argument qui fera adhérer certaines chambres de l'agriculture, parmi les plus influentes, à la promulgation de cet arrêté. C'est également conforté par ce soutien de poids que le ministre de l'Agriculture paraphera ce document, convaincu qu'il allait être bien accueilli par les parties en présence. Dès son entrée en vigueur, ce texte aura pour première conséquence mesurable de faire baisser dangereusement la quantité de semences livrées à l'Algérie. Seulement 72 000 t seront difficilement rassemblées par les principaux fournisseurs. En réalité, la hausse des prix — qui étaient passés de 5200 DA à 7000 DA — et l'arrivée tardive des semences feront que seulement 60 000 t seront ensemencées. Ce qui correspond pratiquement à la moitié de celles de l'année précédente ! Malgré tous ces aléas, la campagne se déroulera à peu près normalement jusqu'à la mi-octobre 2006, lorsque le ministère de l'Agriculture fera circuler au niveau de la corporation des importateurs un nouveau projet d'arrêté lequel, au lieu de lever la principale contrainte du calibre et de 700 tubercules, ne fera que compliquer la situation. Les contraintes introduites furent si drastiques que les importateurs, réunis en catastrophe à Aïn Defla, demanderont au ministère de revenir à l'ancien arrêté de janvier 2005. Le piège venait de se fermer à nouveau, enfermant la filière dans une spirale infernale. Les deux parties venaient de sceller une entente de façade qui disculpait pour un temps le département de Saïd Barkat de son erreur originelle et du même coup réinstaurait, avec la bénédiction des importateurs, le règlement à l'origine de la discorde. Dans la précipitation, un chevronné de l'importation dira avec beaucoup de lucidité que nous n'avions le choix qu'entre la fièvre et le choléra et nous avons fatalement fait le mauvais choix. Jusqu'à 18 000 DA le quintal de semence A quelques jours du démarrage de la campagne d'importation, personne dans la salle ne fera attention à ces paroles de bon sens. Trop heureux d'avoir enfin trouvé une certaine cohésion, les importateurs quitteront la réunion, la tête pleine d'appréhensions. Trop heureux de l'aubaine, le ministère de l'Agriculture enterrera le projet d'arrêté et la campagne d'importation pourra démarrer sous l'autorité de l'arrêté de 2005. Retour donc à la case départ avec à la clé moins de semences sur le marché mondial, une augmentation substantielle des prix et des pratiques spéculatives qui porteront les prix de la semence jusqu'à 18 000 DA/quintal. La campagne allait démarrer avec des appréhensions multiples que la gelée noire de mars et le mildiou d'avril finiront par anéantir. Sur le marché de gros et en plein champ, le tubercule se négociera entre 25 et 55 DA le kilo. L'ensemble des ces aléas allait mettre la filière dans une situation inextricable. La rareté du produit et des pratiques spéculatives finiront par inciter les opérateurs à aller chercher de la pomme de terre jusqu'au lointain Canada. Un premier navire de 3300 t sera débarqué à Mostaganem sans que le produit ne trouve preneur. Issus d'une récolte d'octobre 2006, ces tubercules à la peau noire seront totalement délaissés par les consommateurs. Stocké dans des conditions inappropriées, le produit commencera à péricliter, ne laissant d'autre alternative à son propriétaire que de le proposer à des prix dérisoires. Face à cette situation, les pouvoirs publics viennent d'adopter dans des conditions, pour le moins controversées, une réglementation portant suppression des droits de douanes et de la TVA sur le produit d'importation. Les initiateurs de cette alternative espéraient faire baisser le prix à la consommation vers des valeurs entre 25 et 30 DA. Malgré les tonnages débarqués jusque-là, les prix ne semblent pas suivre la volonté affichée des gouvernants. Apparemment, ni la suppression des droits et taxes ni le soutien de 10 DA/kg apporté par les pouvoirs publics ne sont parvenus à faire baisser les prix. Mieux encore, les dernières récoltes de saison qui viennent d'intervenir dans les Hauts-Plateaux n'ont eu aucune conséquence sur la structure des prix. A ce rythme, vu la rareté du produit et sa relative cherté sur le marché européen, il est impensable, sauf mesures coercitives, que le prix à la consommation descende en dessous de 45 DA. En attendant, les multiplicateurs nationaux qui constituent une alternative réelle semblent éprouver quelques difficultés à écouler leurs semences. Certains agriculteurs auront fait le choix de semer — en raison de son prix très attractif — de la pomme de terre de consommation venue du Canada. Une double dérive qui d'un côté va introduire dans nos terres, contrairement à la loi — des produits non homologués et surtout non certifiés — et pénaliser les rares producteurs nationaux de semences encore en activité. Ces dérives sont certainement les conséquences les plus désastreuses de l'agriculture algérienne des 50 dernières années. Pourtant, si le bon sens pouvait reprendre le dessus, il serait possible, dans 4 à 5 ans, de retrouver une relative sérénité. Pour y parvenir, il est impératif que des responsables reconnaissent leurs fautes et qu'ils les rectifient avant que la crise actuelle ne se transforme en catastrophe nationale.