L'ONG américaine Human Rights Watch persiste, signe et désigne même la Pologne comme étant le centre du réseau de la CIA, malgré les démentis de ce pays, tandis que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) croyait pouvoir prendre au mot la secrétaire d'Etat américaine qui a déclaré la semaine dernière en Europe l'opposition de son pays aux mauvais traitements et la torture de manière particulière. Mais Washington a rejeté vendredi la demande du CICR qui souhaitait avoir accès à tous les prisonniers des Etats-Unis arrêtés dans le cadre de la «guerre contre le terrorisme» où qu'ils se trouvent. Ces détenus constituent «une menace exceptionnelle» pour la sécurité des Etats-Unis, a estimé un porte-parole du département d'Etat Adam Ereli pour justifier la décision américaine. «Les conventions de Genève s'appliquent aux prisonniers de guerre. Les personnes qui sont détenues et dont nous parlons ne sont pas des prisonniers de guerre, donc elles ne sont pas protégées par les conventions de Genève», a dit M. Ereli. Ces personnes sont «des membres d'Al Qaîda, ce sont des terroristes, pas des prisonniers de guerre», a-t-il insisté. Il a ajouté cependant que les Etats-Unis traitaient ces prisonniers «en conformité avec les conventions de Genève». «On aimerait bien obtenir des informations (…) et avoir accès» aux prisonniers, avait auparavant déclaré le porte-parole du CICR, Florian Westphal, en réaction à des propos tenus jeudi à Genève par le conseiller juridique de la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice. Devant la presse, le conseiller, John Bellinger, avait reconnu que le CICR n'avait pas accès à l'ensemble des prisonniers détenus par les Etats-Unis dans le cadre de la «guerre contre le terrorisme». Tout en se refusant à commenter l'existence ou non de prisons secrètes, M. Bellinger avait souligné que le CICR rendait régulièrement visite aux prisonniers détenus dans la base américaine de Guantanamo à Cuba. «Le CICR (…) se trouve sur place et a accès à tout le monde sans exception», avait déclaré le responsable américain. Comme on lui demandait si le CICR avait accès à tous les prisonniers détenus dans d'autres lieux dans des circonstances similaires, M. Bellinger avait simplement répondu «non». Le porte-parole du CICR a rappelé que la Croix-Rouge, dépositaire des conventions de Genève sur la protection des prisonniers de guerre, avait déjà exprimé publiquement son «inquiétude» depuis le début de 2004 sur le sort d'un nombre inconnu de détenus. «C'est un sujet qui est abordé régulièrement dans nos contacts avec le gouvernement américain», a-t-il ajouté. Quant au rapporteur spécial de l'Onu sur la torture, Manfred Nowak, il a réitéré vendredi son souhait de pouvoir inspecter la base de Guantanamo après les assurances de Mme Condoleezza Rice que Washington ne tolérait aucune forme de torture. «Nous comptons désormais sur la pleine coopération des Etats-Unis et espérons pouvoir visiter prochainement Guantanamo et l'ensemble des camps sous administration américaine dans le monde», a déclaré le juriste autrichien à Vienne. «L'affirmation par Mme Rice que les Etats-Unis respectent la Convention de l'Onu sur la torture représente un pas très important, et je ne vois plus de raison pour que nous ne soyons pas invités sans condition» à visiter ces camps, a-t-il ajouté. Les inspecteurs des Nations unies sur la torture avaient renoncé, à la mi-novembre, à une inspection de la base de Guantanamo à Cuba prévue le 6 décembre faute d'avoir obtenu de Washington l'autorisation de parler librement aux prisonniers. Mme Rice a achevé jeudi à Bruxelles une tournée européenne au cours de laquelle elle a tenté de rompre avec l'ambiguïté de l'Administration américaine sur les méthodes controversées employées par ses services de sécurité. «Les obligations des Etats-Unis en vertu de la Convention contre la torture – qui interdit bien sûr les traitements cruels et inhumains ainsi que les traitements dégradants – s'appliquent au personnel américain où qu'il se trouve, tant aux Etats-Unis que hors des Etats-Unis», a-t-elle notamment déclaré à Kiev. «Il faut que cet engagement soit appliqué en conséquence», a estimé vendredi M. Nowak, relevant que «les Etats-Unis s'étaient jusqu'à présent toujours refusés à invoquer cette Convention, notamment en ce qui concerne les traitements cruels, inhumains ou dégradants». Washington a jusqu'à présent joué d'une ambiguïté sur l'acception du mot «torture», ne récusant que ses formes les plus invalidantes, tolérant des méthodes plus subtiles mais tout aussi violentes, a souligné M. Nowak. Le rapporteur spécial et son équipe doivent achever d'ici à la fin du mois un rapport sur les conditions controversées de détention à Guantanamo, lequel sera présenté au Commissaire des Nations unies pour les droits de l'homme en mars 2006. Washington avait accepté, début novembre, le principe d'une visite des enquêteurs de l'Onu à Guantanamo, mais refusé qu'ils puissent s'entretenir librement avec les prisonniers, ne remplissant donc pas les «standards minimum» pour une telle visite, selon M. Nowak. Vendredi, 33 experts de l'Onu en matière de droits de l'homme ont rappelé solennellement aux gouvernements que ces droits étaient inaliénables et que l'interdiction de la torture s'appliquait quelles que soient les circonstances. Ils ont notamment exprimé leur «inquiétude devant les efforts de nombreux pays pour contourner les dispositions des lois internationales sur les droits de l'homme en donnant de nouveaux noms à de vieilles méthodes», dans une déclaration publiée à l'occasion de la Journée internationale des droits de l'homme le 10 décembre. Ainsi donc, l'ONU continue à dire le droit en toute circonstance, refusant toute entorse et assumant toutes ses obligations comme son rejet des visites guidées.