Une flèche du Parthes impertinente du titre éponyme de son nouvel N'ta Goudami. Un pied de nez discographique de bonne facture et d'une grande fraîcheur musicale et…juvénile de la diva incontestée et incontestable du raï, à l'âge de… 82 ans. Bon pied bon œil, 60 ans de carrière au compteur, démentant la gérontologie artistique et filant des complexes au jeunisme, toujours aussi verte, cheikha Rimitti -oh pardon cheba Rimitti-, remet ça, pour la paraphraser (remettez ça, patronne, sa), cinq ans après le fameux succès de Nouar. Ainsi, Saâdia Bediaf alias Rimitti, la fille des monts Tassala (localité de Sidi Bel Abbès) ayant été à l'origine du raï pentatonique du gallal (tambourin traditionnel) et de la gasba (flûte de roseau) ne veut pas vieillir. C'est que la mamie du raï fait de la résistance. Un nouvel opus trilogique international N'ta Goudami, après Sidi Mansour où figure un certain Flea des Red Hot Chili Peppers, à la basse, et l'ex-King Crimson, le guitariste Robert Fripp (ayant officié avec Talking Heads, Blondie, Brian Eno, B52's) et Nouar, emballé par le grand arrangeur de raï maghni sorti un peu en retard. Car l'été 2004, nous l'avons rencontrée, bien sûr incognito (Rimitti se méfie des journalistes), chez un éditeur d'Oran, et où elle se plaignait des jeunes ayant samplé sa version de Oued Chouli (intitulé Rimitti Ridim sur l'album Raï'n'b Fever de Kore et Scalp). Elle s'était insurgée : «Ce sont des sauterelles» (hadou jrad, à propos du rappeur) et nous avait fait écouter la K7 N'ta Goudami. Elle nous avait informés que l'album allait sortir chez un label d'Alger. A la première écoute de N'ta Goudami, les «feuilles» se font flatter par un bon son fluide, galvanisé, «poli…ssée» et à la brillance moderne et de «l'air du temps». Un raï-gasba très funky, groovy, foncièrement alaoui et pousse même la satire en s'essayant au raï technoïde de cheba Djenet vous procurant un pur bonheur et ne vous laissant guère insensible à ses décibels mâtinant raï, roots (racines), reggae, rock (soft)… La chanson-titre N'ta Goudami ouvre le CD sur un raï-aloui très choral, dansant et jovial emmené par une voix délurée posée sur vocodeur (remember cheba djenet et le hit Matabdjouliche). Cependant, formaté sur le rythme de Nouar. Avec Charagt, gharabt (elle joue sur la consonance de Charak Gataâ), Rimitti chante l'exil et franchement raï sans gasba (flûte) en surfant sur des gimmicks de Khaled, Guendouz, un autre aloui-gasba-funk fluide, Marhaba à l'intro ressemblant à la BO de l'Inspecteur Tahar, est une plage diwan de Sidi B'lal aux percussions afro-beat très chères à Fella Kuti et des références au jazz africanisant de Karim Ziad. Les paroles racontent une histoire d'amour d'ébène et d'ivoire. Matahagrouhache revient sur son histoire. Celle d'une jeune fille ayant bravé avec courage le machisme, le conservatisme, la religion et même le pouvoir post-indépendance -elle était censurée à la radio et télévision)- sur un rythme gasba (way way) plaintif et incantatoire. Celui de ses peines et meurtrissures sur une nappe drum'n'bass (cordes basses et percussions). Jani(Ana) et Ouelidi, un énième alaoui à la manière du raï électro de Sidi Bel Abbès, celui de Amarna (le groupe raï-rock de Lotfi Attar en 1986) et meddahate. Une immersion dans un bain de jouvance à Maghnia, Remchi, Beni Ouacine… Dabri Dabri nous rappelle Madre Madre issu du répertoire des meddahte et ayant fait les beaux jours de cheb Abdou (son tout premier hit). Mais avec Daouni, Rimitti nous dévoilera une tranche de vie autobiographique dans les années 1960. Elle retrace un flash-back où elle avait été victime d'un accident de la route. Elle revenait d'un gala donné à la Radio nationale à Alger et sur la route des Sablettes, près de Mostaganem, à 7h . Rimitti avait sombré dans le coma, ses musiciens Ghali, Boumziza et Mustapha avaient été mortellement blessés. Et cinq rescapés parmi eux Rimitti. Avançant dans l'âge, elle a composé cette chanson pour remercier, par acquis de conscience, apparemment la gendarmerie ou la police à l'époque lui ayant permis de continuer de chanter et d'être célèbre. Une ballade wahrani-robotique-funky au phrasé pathétique et émouvant -cette beauté de la tristesse des archets : «La houkouma (les autorités) m'ont secourue, pris à l'hôpital et soignée…». Daouni est dédiée aussi à Alger et à l'Algérie. La queen du raï fera fort avec Ki Jani (Quand il vient me voir), une plage insulaire mêlant raï, reggae, dub et zydeco (ce rock-accordéon de Louisiane). Une belle déclaration d'amour, d'espoir et d'espérance. Là, Rimitti est au firmament de son art majeur. Elle signe avec N'ta Goudami, un album très recherché, ambitieux et peut-être celui de l'ultime onction. Au caractère trempé et entier c'est un personnage. L'auteur mythique de la chanson paillarde et truculente Charak Gataâ en 1950 ne mâche pas ses mots envers Khaled ayant repris La Camel sur l'album Kutché produit par Safy Boutella. Lors de cette rencontre à Oran, sous son haïk blanc, un œil souligné au khôl, les mains tatouées et empreintes de henné, elle raillera : «C'est plutôt cheb khayen (usurpateur)… ». Elle n'hésite pas à parler de son patriotisme, elle nous a confié : «J'ai hissé le drapeau de l'Algérie dans le monde au Japon, en Allemagne, en Grande-Bretagne…Et le président Bouteflika m'a beaucoup aidée…». Il y a une année, le réalisateur algérien Ahmed Rachedi (L'Opium et le bâton) lui consacrait un film documentaire dont le titre est Raï story : De cheikha Rimitti à cheba Djenet. Aussi, N'ta Goudami est un CD de chevet ! – N'ta Goudami/cheikha Rimitti, 1CD/Because Music(dans le monde) Dounia(Algérie) 1CD/K7(2005)