Elle était incontestablement la mamie du raï et sa voix féminine par excellence. Cheikha Rimitti a tiré sa révérence, hier, suite à une crise cardiaque à l'âge de 83 ans. De sa voix rocailleuse, la diva du raï a perpétué une tradition et l'a même développée à un âge où beaucoup d'artistes sont trahis par leurs cordes vocales. N'ta Goudami, son dernier opus, sorti en 2006, était l'ultime preuve du dévouement de la petite fille de Tessala (Sidi Bel-Abbès) à son art. Celle que la célébrité n'a pas changée d'un iota est partie dans le silence qui a caractérisé son parcours pas toujours facile. Malgré l'indifférence et le mépris des culturellement corrects, Cheikha Rimitti vivra pour toujours dans les cœurs de ceux qui ont aimé son raï, très terroir, et sa simplicité. Née le 8 mai 1923 dans la petite bourgade de Tessala, Cheikha Rimitti, de son vrai prénom Saâdia, a vécu une enfance très difficile. La précarité et la misère que vivent les Français musulmans frappent l'orpheline de plein fouet. Elle commence par animer des fêtes populaires et se produit sur de petites scènes dans l'Oranie, puis à Alger. Dans les années 1940, elle va suivre une troupe de musiciens ambulants et fait la connaissance de Cheikh Mohamed Ould Ennems, qui lui fait connaître le milieu artistique algérois et la fait enregistrer à Radio Alger En 1952, elle enregistre son premier disque chez Pathé sur lequel on peut entendre Charrak Gatta. Cette chanson, qui suscite la controverse, obtient rapidement un grand succès. Le répertoire de Cheikha Rimitti est largement diffusé à la radio, même si les thèmes sont tabous. Comme l'est aussi le métier de chanteuse. Jusqu'aux années 1980, le raï est un genre prohibé en Algérie, c'est le chant des malfamés. Seuls les cheyoukh trouvent une place sur la scène artistique, sous le couvert de ce qui est officiellement connu par le chant bédouin. Cheikha Rimitti sera obligée de s'exiler dans les années 1970. Elle débarque en France où elle présentera de nombreuses prestations. Sa participation lors de la grande soirée du raï au Festival de la Villette, en 1986, lui permettra de conquérir peu à peu le public maghrébin installé en France et une bonne partie du public européen. Au gré de concerts prestigieux donnés dans les grandes capitales mondiales, Rimitti est devenue la principale ambassadrice du raï (New York, Paris, Londres, Amsterdam, Stockholm, Genève, Montréal, Madrid, Milan, Berlin, Le Caire). Elle reçoit, entre-temps, le Grand Prix du Disque 2000 de l'Académie Charles-Cros. Les artistes et compositeurs lui reconnaissent qu'avec l'introduction des instruments modernes de musique (basse, batterie, clavier, cuivres), se juxtaposant aux instruments traditionnels (Bendir, tar, gasba et gallal), Rimitti a laissé très tôt entrevoir une nouvelle voix, valable non seulement pour le raï, mais aussi pour l'ensemble des musiques arabes. Son dernier concert a eu lieu le 13 de ce mois au Zénith de Paris. Elle devait se produire le 10 juillet prochain à Stockholm, le 11 juillet à Arles et à Grenoble, seulement la mort a été plus rapide. Sidi Mansour, N'ta Goudami et surtout Nouar, les fans de la Cheikha s'en rappelleront à jamais. Malheureusement, elle n'a pas connu la consécration chez elle. Elle était trop libre. Wahiba Labreche