Ce qui conduit à une multiplication et à une croissance cellulaire anarchiques, progressivement la lésion va se développer, voire augmenter sa gravité. Ces maladies sont différentes par leur fréquence, leur localisation, leur évolution, leur diagnostic, leur traitement et leur pronostic. Bien connaître les premiers symptômes de la maladie, pour pouvoir en faire le diagnostic précoce à un stade utile, permet souvent de s'attaquer à elle avec un maximum d'efficacité : tant du point de vue thérapeutique que du point de vue économie de santé. A l'origine de cette maladie, des facteurs génétiques innés jouent certes un rôle particulièrement dans les cancers familiaux. Cependant, en termes de santé publique, ce qui semble être le plus important en matière d'étiologie est l'exposition des individus à des agents cancérigènes présents dans l'environnement de l'individu. Tabagisme (à qui l'on doit, selon l'OMS, environ 43% des cancers de l'homme), régimes alimentaires ou infections (hépatite B, papillomato-virus humain…), produits chimiques (amiante, benzène…), rayonnements ionisants. Une bonne connaissance de ces facteurs peut servir de base à une lutte anticancéreuse efficace. Dans notre pays, la plupart des cancers sont diagnostiqués à un stade avancé, parce que les gens ignorent trop souvent qu'il faut agir rapidement quand est détecté un symptôme ou un signe de cancer, soit parce qu'il n'y a pas de programme de dépistage précoce, soit parce que les ressources en matière de diagnostic et/ou de traitement sont limitées. La prise en charge thérapeutique grève les budgets de santé, or plus le diagnostic est tardif plus les coûts deviennent élevés et les gains en termes de survie et de diminution de la souffrance aléatoires. Aucun individu, aucune famille ne peut se prétendre à l'abri. Les situations épidémiologiques ou économiques ne sont jamais identiques d'un pays à l'autre, le simple transfert de schémas, plan ou programme sanitaire ne peut donc être la solution idéale. Pour cela, il faut que l'Algérie développe ses potentialités en recherche fondamentale et clinique ou de transfert de l'une à l'autre, de même qu'en recherche en sciences humaines et sociales. Les sources actuelles du progrès scientifique, notamment pour ce qui est de la connaissance des mécanismes intimes du cancer sont localisées pour l'essentiel dans les pays développés. Si l'on veut vaincre ce fléau, le développement de la coopération internationale est nécessaire, car tout en œuvrant à réduire les inégalités dans l'accès aux soins de qualité chez nous, il nous faut intégrer au niveau national les nouvelles connaissances, les découvertes et les données sur les cancers dans un schéma global et cohérent de prévention, de dépistage et de soins au bénéfice de nos patients. Pour ce qui nous concerne en oncologie thoracique, le cancer du poumon, qui est le cancer qui tue le plus chez l'homme que ce soit dans notre pays ou dans le monde, est scientifiquement reconnu comme étant directement lié au tabagisme. Aussi, nous trouvons-nous face à une maladie, dont on connaît la cause, contre laquelle on pourrait agir à moindre frais avec un maximum d'efficacité en luttant contre le tabagisme, et qui paradoxalement continue de causer des dégâts considérables parmi nos concitoyens. Il en est de même pour certains autres cancers thoraciques liés à une exposition prolongée à l'amiante. Situation épidémiologique Autant de raisons qui nous ont poussés à organiser une réflexion sur ce que pourrait être une stratégie de lutte nationale contre les cancers en Algérie, lors des neuvièmes journées qui se tiendront à la Bibliothèque du Hamma en avril prochain. Actuellement, dans le monde, selon l'OMS, on recense 10 millions de nouveaux cas de cancer chaque année, dont 5,5 millions (plus de la moitié) dans les pays en voie de développement, alors que pendant longtemps, il a été considéré qu'il s'agissait d'une maladie propre aux pays développés. A l'horizon 2020, les cancers pourraient tuer 10 millions de personnes par an à travers le monde, dont une forte proportion dans les pays en voie de développement. En Algérie, comme ailleurs dans le monde, le cancer tue et fait souffrir à la fois les patients et leur entourage. Il frappe fort puisqu'il est l'une des principales causes de mortalité dans notre pays (plus de 20 000 par an ). Pour certains spécialistes, on compterait actuellement 30 000 nouveaux cas de cancers par an. Cependant, la qualité de ces chiffres doit être améliorée pour permettre aux professionnels de la santé de disposer d'une base solide à même de servir à l'établissement de projections d'avenir fiables. Conséquence de l'accroissement de l'espérance de vie des Algériens et les maladies liées à ces tranches d'âges, de la progression de la maladie qu'est le tabagisme dans notre pays comme le démontrent de nombreuses études épidémiologiques, et de beaucoup d'autres facteurs environnementaux qu'il serait fastidieux d'énumérer ici (tels que les changements dans les habitudes alimentaires, certaines infections, l'exposition à certains produits chimique…). Il est actuellement très nettement ressenti par la grande majorité des praticiens en charge des différents aspects de cette pathologie que les fréquences des différents cancers vont dans les prochaines années se démultiplier. Les coûts de santé sont souvent élevés pour ce type de pathologie, surtout lorsque qu'il s'agit de traiter des patients à un stade avancé de la maladie. Il semble évident que notre pays doive s'organiser pour se donner les moyens de faire face à cette prévisible épidémie, et se doter d'un véritable Plan national de lutte contre le cancer pour espérer être dans dix, vingt ans à même de faire face à cette véritable épidémie qui déjà pointe à l'horizon. Le coût global pour le système de santé a été estimé à 15 milliards d'euros en 2002 pour un pays comme la France. Que peut-on attendre d'un plan national de lutte contre le cancer ? L'objectif essentiel d'un plan national de lutte contre le cancer est de réduire la mortalité et la morbidité cancéreuses, tout en améliorant la qualité de vie des populations visées par la mise en œuvre systématique et équitable de stratégies de prévention, de détection précoce, de diagnostic, de traitement et de soins palliatifs reposant sur des données concrètes en tirant le meilleur parti possible des ressources disponibles. L'éradication des cancers viro induits (cancer du col de l'utérus, cancer du nasopharynx, cancer du foie) par la vaccination (antiHPV, antiEBV, antiHCV, anti HBV) est un objectif raisonnable en 2006, pour peu que soient pris en compte les progrès spectaculaires effectués depuis le début du XXIe siècle, et applicables immédiatement dans notre pays. Il doit donc définir et préciser les normes de prise en charge pour les cancers les plus répandus dans le pays. Il s'agit d'une des priorités de l'OMS, y compris pour les pays en voie de développement, parce qu'à notre époque, de nombreuses actions peuvent en effet être entreprises pour atténuer le nombre de morts et de souffrances liées à cette maladie qui n'est en aucune façon fatalité. Ainsi, toujours selon l'OMS : – Un tiers de tous les cancers pourrait être évité par une politique de prévention appropriée. «Prévenir, c'est éliminer ou limiter autant que possible l'exposition aux causes de cancer, y compris en réduisant la vulnérabilité des personnes aux effets de ces causes. – Un autre tiers pourrait être guéri si le diagnostic était fait précocement, c'est-à-dire à un stade utile. – Enfin, grâce à des soins palliatifs appropriés et à une lutte efficace contre la douleur, bien des souffrances pourraient être évitées aux patients porteurs de cancer. Actuellement, il est admis que l'un des objectifs et des avantages incontestables liés à l'exécution d'un Plan national de lutte contre le cancer est de garantir l'utilisation la plus efficace possible des ressources existantes aux fins de la lutte contre le cancer, et ce, quelque soit la situation financière du pays. Pour cela, il doit donc être dégagé des priorités, avec des objectifs évaluables étalés dans le temps adaptés aux ressources tant humaines que matérielles du pays concerné, pour optimaliser la mise en valeur des potentialités nationales dans ce domaine. Mais il faut aussi définir les structures chargées de mener à bien les missions du plan en leur donnant les prérogatives nécessaires à l'exécution de leur mission. Comment mettre en place un plan cancer ? Pour pouvoir mettre sur pied un programme national de lutte contre le cancer efficace, il faut noter qu'il existe un certain nombre de préalables. Tout d'abord la définition des objectifs, des priorités, et éventuellement des étapes du plan doivent relever d'une démarche consensuelle, impliquant non seulement les professionnels de santé, et l'ensemble des institutions de l'Etat intervenant dans la lutte contre les cancers (lutter contre la contrebande de cigarette devrait être l'une des missions du plan cancer, de même que la lutte contre les expositions prolongées aux facteurs environnementaux cancérigènes, comme par exemple l'amiante), mais aussi la société civile par le biais des représentants des patients. De même, il faut qu'un certain nombre de points d'ordre financier soient éclaircis. Car un Plan national de lutte contre le cancer qui ne garantit pas un accès égal aux soins de qualité à tous les cancéreux du pays aurait peu de chance d'être mobilisateur, et donc efficace. Il est donc d'emblée nécessaire de savoir qui va payer les soins liés aux différents aspects de la lutte contre le cancer (les caisses d'assurances, les collectivités locales ou l'Etat). Que ce soit pour ce qui est prévention (qui a un coût parfois élevé : voir les entreprises de déblocage pour ce qui est de l'amiante, ou des moyens nécessaires à la lutte contre la contrebande de cigarette dans le Grand Sud) ou pour ce qui est de la prise en charge et du remboursement des actes diagnostics ou thérapeutiques dans les secteurs public et privé. Pour pouvoir définir et planifier les objectifs et les étapes du Plan de lutte anticancer, il est nécessaire que les décisions et actions puissent s'inspirer de l'analyse de données et d'informations objectives, et non dépendre uniquement de points de vue, ou de convictions non documentées. Ne serait ce que pour être certain, que la prévalence des cancers justifie l'investissement. Pour cela, il faut développer non seulement les registres de cancers régionaux mais aussi les registres hospitaliers tout en développant leur mise en réseaux, pour pouvoir dessiner une carte des cancers région par région. Quelles structures pour l'application de ce programme Gérer un programme de lutte contre le cancer consiste à fixer des priorités, trouver, organiser et coordonner les ressources nécessaires à la réalisation des objectifs prévus, d'y introduire d'éventuels correctifs, et enfin de définir, lorsque c'est nécessaire, les collaborations avec les autres organismes nationaux concernés par la lutte contre le cancer. Pour cela, les structures chargées de veiller à la mise en application de ce plan devront avoir suffisamment de prérogatives pour éviter que se répètent des événements comme la non-ratification par notre pays de la Convention cadre de l'OMS concernant la lutte contre le tabac, ou que des crédits alloués à la construction d'un centre anticancer ne sommeillent dans des banques pendant des années, alors que les malades de cette région vont se soigner dans le pays voisin, ou qu'un hôpital inauguré trouve des difficultés à démarrer. Il est donc nécessaire de faire un réel effort d'imagination, pour que ces structures administrative-scientifiques puissent intervenir efficacement et ce quel que soit le secteur de la vie nationale concernée par l'objectif poursuivi dans la lutte contre le cancer. Il est évident que ces structures en charge de la mise en application du plan cancer ne peuvent être des structures de soins, même si elles doivent être dirigées par des professionnels du domaine. Ces structures devront, entre autres, avoir pour missions : – d'initier et de soutenir la politique nationale en cancérologie, en luttant contre l'émiettement de l'information et des responsabilités qui existent dans le domaine de l'oncologie ; – en déterminant les bonnes pratiques professionnelles, en s'assurant que le patient sera pris en charge de façon pluridisciplinaire, en facilitant la coordination au plan local. Elles s'attacheront également à renforcer les équipes et à moderniser les équipements ; – d'impulser et de coordonner la lutte contre le cancer : en orientant la politique de soins, en étant une tête de réseau pour la recherche ; – de coordonner sur le terrain les différentes actions prévues par le plan de lutte contre le cancer et de mobiliser toutes les énergies humaines nécessaires à la concrétisation de ces actions ; – d'évaluer l'ensemble de ces actions et leur imaginer des correctifs et travailler à trouver les ressources humaines et matérielles nécessaire à la réalisation des différents objectifs de ce plan ; – dans le domaine des soins, elles auront pour objectif principal de mettre en œuvre les conditions au sein du système de santé d'un accès égal, pour tous les malades, à des soins de qualité conformes aux référentiels de pratiques cliniques existants, et maximisant les chances de guérison ; – de définir les référentiels de bonnes pratiques et de prise en charge en cancérologie et les critères d'agrément des établissements et des professionnels pratiquant la cancérologie ; – de participer à la mise en place et à la validation d'actions de formation continue des médecins et des paramédicaux ; – de développer la coopération internationale en relation avec les autres institutions concernées par ces problèmes ; de mettre en œuvre, de financer et de coordonner des actions de recherche, en liaison avec les organismes publics de recherche et les associations caritatives concernées. Et, à faire mieux reconnaître la notion de consentement éclairée (les patients devant être entièrement informés des objectifs, des risques et des avantages de tout essai clinique). Développer et suivre des actions publiques et privées dans les domaines de la prévention, de l'épidémiologie, du dépistage, de la recherche, de l'enseignement, des soins et de l'évaluation De telles réflexions peuvent paraître utopiques, pourtant si l'on veut être en mesure de diminuer la mortalité et les souffrances liées aux différents cancers dans les années à venir, il est nécessaire d'être audacieux et de se donner les moyens non seulement humains et matériels, mais aussi institutionnels. L'idéal serait que les structures en charge du Plan de lutte contre le cancer soit assises sur un socle législatif solide pour leur permettre non seulement de travailler dans la sérénité, mais avoir la visibilité nécessaire, car s'installer dans la durée est une nécessité si on veut que ce plan soit efficace. Pour cela, il est absolument nécessaire d'engager une véritable réflexion si on veut enfanter d'un plan efficace et pérenne. Actuellement, il existe de telles organisations aux Etats-Unis qui datent du temps du président Nixon (National Cancer Act 1969), en France du temps des présidents de Gaulle (Centres anticancéreux 1945) et Chirac (Charte de Paris 2000) mais aussi en Grande-Bretagne, au Canada, et dans de nombreux autres pays. L'OMS en fait actuellement une de ses priorités. En attendant, il serait urgent que l'Algérie ratifie la Convention cadre de lutte contre le tabagisme de l'OMS. Ce qui serait une première étape de ce plan.