L'appel au rassemblement, lancé la veille par un groupe baptisé le «Mouvement national pour la défense du Prophète Mohamed», a été suivi par plusieurs milliers de personnes, venues des quatre coins du pays. Vers 10h, policiers et militaires, manifestement en nombre inférieur, ont dû accueillir une foule très excitée et énervée. Les opposants ont, dans un premier temps, été stoppés pendant une demi-heure par les forces de l'ordre à quelque 200 m de la chancellerie, avant que le cordon de sécurité ne cède. Ni les tirs de bombes lacrymogènes, ni les tirs de balles réelles vers le ciel, ni les canons à eau n'ont réussi à empêcher les manifestants de se déplacer vers le quartier chrétien d'Achrafieh où se trouve la chancellerie danoise. Un groupe de personnes, en signe de représailles, s'en est pris, au passage, à l'église maronite Marmaroun, visant le lieu de culte par des jets de pierre, à l'intérieur duquel quelques personnes en panique ont trouvé refuge. Des dizaines de voitures, dont des véhicules des forces de l'ordre, ainsi que des vitrines de magasins ont été saccagées et brûlées. Le quartier, vite bouclé, s'est rapidement enflammé. «Mon Dieu, la guerre recommence», s'écriaient des personnes en pleurs et fuyant le quartier. La population beyrouthie ne s'attendait décidément pas à ce que les évènements prennent une telle ampleur. Arrivés devant le consulat du Danemark, quelques jeunes ont escaladé le bâtiment, avant de pénétrer à l'intérieur et jeter par les fenêtres des centaines de documents officiels. Malgré l'intervention de la police, l'immeuble a rapidement été dévasté et mis à feu. Une épaisse fumée noire a rapidement recouvert le quartier. La colère des manifestants ne s'est pas calmée pour autant. 36 personnes ont été blessées durant les affrontements, dont plusieurs journalistes. Désormais, des slogans vindicatifs pleuvaient de toutes parts. «Il n'est d'autre Dieu qu'Allah, Mohamed est son Prophète», scandait la foule en chœur. Applaudissements, sifflements et tirs de projectiles ont continué une heure durant. «La liberté de la presse doit s'arrêter dès lors qu'elle porte atteinte à des valeurs sacrées, que cela leur serve de leçon», explique un homme. Trois véhicules de pompier ont été endommagés afin de les empêcher d'éteindre l'incendie. Certains ont grimpé sur l'un d'eux pour mieux haranguer la foule. Quelques personnes, intoxiquées par l'épaisse fumée noire, ont été évacuées. Plusieurs dignitaires musulmans ont, par la suite, appelé la foule au calme et à la dispersion. Un appel qui a été rapidement suivi par les manifestants. «Nous ne voulons pas que l'expression de notre condamnation soit détournée par certains pour renvoyer une image dévoyée de l'Islam», a déclaré, hier, Mohamed Rachid Kabani, principal dignitaire sunnite du pays. «(La manifestation) d'aujourd'hui constitue un test important. Que l'expression de notre condamnation reste conforme aux valeurs de l'Islam», a-t-il ajouté. Le Premier ministre libanais, Fouad Siniora, a également condamné ces violences. «Cela n'a strictement rien à voir avec l'Islam. La déstabilisation de la sécurité et le vandalisme renvoient une image erronée de l'Islam. Le Prophète Mohamed ne peut être défendu de la sorte», a-t-il déclaré lors d'une intervention télévisée. Beyrouth n'avait toujours pas retrouvé le calme en début de soirée. En réponse aux incidents survenus à l'église Marmaroun, les Forces libanaises, mouvement politique chrétien dirigé par Samir Geagea, ont manifesté bruyamment devant le monument religieux. A la suite de ces évènements, le gouvernement danois a demandé à tous ses ressortissants de quitter immédiatement le Liban et la Syrie.