Vous venez de rendre hommage, à votre manière, à un immense artiste, Mahboub Bati… Je n'aime pas le mot hommage. C'est une sorte de reconnaissance. On n'a pas fait ce qu'il fallait pour saluer et souligner sa grandeur. Nous, les journalistes, l'Etat, les artistes. Personnellement, je l'ai bien connu. Mahboub Bati doit reposer au panthéon, s'il existait en Algérie. Vous avez signé un ouvrage consacré entièrement à Mahboub Bati, justement intitulé Artiste de légende… Oui, le titre initial était la vie et l'œuvre, vraiment linéaire. Un biographie rattachée à l'histoire. Mahboub Bati est natif de Médéa. Je relate la famine à Médéa en 1920, un an après sa naissance, sa famille n'ayant pas la fibre mélomane où éclôt un génie. Mahboub Bati a révolutionné la chanson chaâbi… Pour résumer l'histoire et la vie de Mahboub Bati, c'est quelqu'un qui a été à l'école coranique puis celle laïque et ensuite le conservatoire de Médéa où il avait un professeur de musique juif. Et en quinze jours d'apprentissage, le jeune Mahboub Bati absorbera tout son art majeur. Avec une rapidité déconcertante. Après avoir exercé plusieurs métiers avec ses cousins, il s'établira à Alger où il sera saxophoniste, clarinettiste, luthiste, guitariste, artisan luthier, et il a même «customisé» une guitare sèche en lui incorporant un micro. Ce qui lui conférera un son électrique. Il apprendra beaucoup sous les auspices des maîtres El Hadj M'hamed El Anka, Hadj M'rizek, Khlifa Belkacem, Mohamed et Abderrazak Fekhardji… C'était un homme-orchestre d'une grande et passionnante mélomanie… Mahboub Bati évoluera aussi dans des formations faisant de la variété occidentale et moderne, de la musique kabyle tout en apprenant sa structure mélodique et orchestrale. Il jouera avec cheikh Nourredine et composera même de la chanson kabyle. Par la suite, il s'intéressera à la musique arabe, le maqam arabi… Et puis cette trajectoire chaâbie «moderne»… Vous savez, tout a commencé à l'Opéra de Paris, le 4 décembre 1954, lors d'un grand gala de solidarité à l'issue du séisme d'El Asnam. Le chanteur Abderrahmane Azziz rencontrera le musicien Mahboub Bati. Ce dernier lui proposera Ya Nedjma puis Yadek ala khadek et qui seront reprises par Mohamed Lamari. Et puis, c'est une belle aventure musicale qui commençait pour Mahboub Bati… Ensuite, il composera pour Nora et surtout pour Boudjemaâ El Ankis avec Nesthel kia ana libghit, Oh ya n'tia, Rah el ghali rah. Mahboub Bati a «boosté» la carrière de plusieurs artistes dans le chaâbi… Oui, il les a, franchement, inventés. En 1974, il a «inventé» Chaou Abdelkader avec Djah Rabi ya djirani. Avant, en 1968, Guerrouabi avec El Barah. Et pour l'anecdote, Guerrouabi ne voulait pas interpréter El Barah (hier). Il lui a dit : «Cette chanson, donnez-là à Hadj Menaouer, qui est vieux”, qui peut parler du passé quand il avait 20 ans. Mais pas moi, je suis jeune.» Avec Lamari, la chanson n'avait pas marché. Il a fallu six ou sept mois pour que Guerrouabi accepte la chanson de Mahboub Bati. Et depuis, l'on connaît le succès fou de El Barah et l'explosion de la carrière de Guerrouabi. L'avènement de la chansonnette chaâbie impulsée par Mahboub Bati était perçu comme un «sacrilège» par les puristes… Il faut vraiment dédramatiser la chose. De tout temps, il y eut des conservateurs et des réformistes. Et généralement qui fait le monde ? Ce sont les réformateurs, les pionniers et les conservateurs resteront à la traîne. Même El Hadj M'hamed El Anka, en son époque, avait bousculé les choses. On ne l'apprécia pas. Et plus tard, il démentira ses détracteurs et entrera dans l'histoire comme une icône, une légende du chaâbi. Le moteur ou le «stimulant», au temps de Mahboub Bati, était l'apport de la chanson française et anglo-saxonne qui avait un ascendant en Algérie. L'époque du rock, du twist, des yéyés, la pop music… Il était visionnaire. Et c'est la première fois qu'une chanson chaâbi pouvait remplir un stade. Et Ouh lia, Djah Rabi ya djirani, Nesthel el kia… Mahboub Bati est le plus grand mélodiste algérien de tous les temps. Abdelkader Bendaâmache est interprète de chaâbi, journaliste, auteur prolixe, homme de radio et aussi agitateur de talent puisque vous avez initié un grand festival de chaâbi faisant dans la prospection des jeunes talents en Algérie… C'est un festival de chaâbi dont la finale se déroulera le 6 octobre 2006 à Alger. Mais avant, nous avons prévu des présélections à travers toute l'Algérie. A la fin du mois d'avril, il y aura trois demi-finales à Alger, Annaba et Mostaganem. Cependant, du mois de mai à octobre, les jeunes artistes évolueront au sein d'ateliers et de master-class en apprenant le côté pédagogique de la musique. Et ce, pour élever le niveau et mieux outiller le jeune chanteur de chaâbi avec un viatique. Que devient l'interprète de chaâbi Abdelkader Bendaâmache ? Oh, l'interprète de chaâbi, je l'ai mis de côté. De temps en temps, je me produis à titre amical, pour le plaisir. J'ai laissé la place aux autres. Mon but, mon urgence, est de mettre le savoir et la connaissance au service de la musique, sans prétention aucune. Il y aura une profusion de publications sur ce domaine, à l'image de l'ouvrage biographique sur Mahboub Bati. Justement, votre émission Maya wa h'sine est d'une mélomanie pédagogique. Quel est le secret de sa longévité ? Maya wa h'sine dure depuis seize ans. On célébrait la 1500e de Maya wa h'sine pendant le festival de chaâbi. Il n'y a pas de secret. Il s'agit simplement de croire en notre patrimoine véhiculant un message culturel, historique et l'algérianité.