L'auteur du Fleuve détourné est revenu mercredi et jeudi derniers dans «sa maison» de la Culture à Boumerdès, où il a réuni écrivains et professeurs de divers horizons pour débattre de son œuvre. Comme il le faisait de son vivant, Rachid Mimouni a réussi à tirer deux jours durant l'institution baptisée en son nom de sa torpeur habituelle. L'auteur, peint sur des tableaux accrochés au fond de la salle, regardait, comme s'il était encore en vie, l'assistance, sans dire mot. Tel un superviseur et éveilleur qui nous guette de l'au-delà. Le colloque a débuté avec deux heures de retard. Avant de donner le coup d'envoi de cette manifestation, le Dr Nawel Krim a rappelé la grandeur de l'écrivain et la richesse de son œuvre romanesque. «Rachid a joué pleinement son rôle d'intellectuel, lui qui définit celui-ci comme éveilleur des consciences, comme dépositaire des impératifs humains, comme guetteur vigilant pour dénoncer les dangers qui menacent la société». « Il nous réunit aujourd'hui autour de son œuvre, à découvrir pour certains, à découvrir pour d'autres et surtout à réinterroger pour nous», a-t-elle déclaré d'emblée. S'ensuivirent à la tribune les écrivains et professeurs Habib Tangour, Rachid Bourayou, Afifa Berarhi et le traducteur Hamid Ibri. «Il s'adressait au peuple» «Rachid Mimouni est le plus célèbre écrivain de sa génération. Il doit être considéré comme un classique, car c'est en relisant ses romans qu'on découvre la richesse et la profondeur de ses œuvres qui restent toujours d'actualité. Ce qu'il a produit nous interpelle encore et toujours. Je me souviens à la fin des années 1981, il faisait la Une des journaux, non seulement pour les prix littéraires obtenus, mais aussi par les positions qu'il a prises à l'égard du pouvoir et des islamistes», a-t-il souligné. Le conférencier a abordé les caractéristiques de l'écriture de l'écrivain, qui, selon lui, «visait l'efficacité et s'adressait directement au peuple en utilisant les fables pour échapper à la censure du pouvoir». «Ses œuvres s'inspiraient de la réalité. Car il était influencé par le réalisme socialiste et le réalisme imaginaire en vogue chez les romanciers de l'Amérique latine, dont Gabriel Garcia Marquez», a-t-il expliqué. Afifa Berarhi, elle, estime que «Mimouni a apporté quelque chose de nouveau à la littérature algérienne, notamment sur le plan esthétique. D'où la nécessité d'étudier ses romans et de les vulgariser». Pour Bencheihida Mansour, «l'écrivain est l'un des rares, sinon le seul, romancier à avoir tenu un discours très cohérent dans toute son œuvre. Il faudrait toujours revoir son discours par rapport à notre quotidien actuel parce qu'il est encore d'actualité». Abordant la «scénarisation sociétale en littérature chez l'auteur», Bencheihida, a fait une rétrospective poignante sur l'œuvre Mimounienne. «Une autorité auctoriale positive» Il en a déduit une évolution diachronique des narrations. Pour lui, l'auteur a abordé l'esprit de sacrifice dans Le printemps n'en sera que plus beau, l'espoir dans Paix à vivre, l'espoir détourné dans Le fleuve détourné, la hogra en milieu urbain dans Tombeza, le village modernisé à tout prix dans L'honneur de la tribu, le pouvoir et l'outrance dans Une peine à vivre, la déflagration sociale dans La malédiction. Dans Chronique de Tanger, on remarque dans ses interventions sur Radio Medi1 une manière originale d'évoquer la tourmente, d'interpréter le tragique et de saisir la société, a-t-il souligné. Benaouda Lebdaï, spécialiste de la littérature africaine, est revenu sur l'héritage de Rachid Mimouni et son influence sur les écrivains de la nouvelle génération. «Rachid a une autorité parce qu'il avait traité les questions de fond. Il n'a pas écrit des pamphlets, mais des histoires qui ont soulevé les problèmes de la bureaucratie, de la corruption, d'autoritarisme. Dans ses romans on décèle toute une idéologie et de la philosophie. Rachid Mimouni jouait le rôle d'éveilleur des consciences. C'est là où il était un vrai homme de lettres. Lorsque l'Algérie était dans une situation de détresse face à la montée de l'intégrisme, il a réagi avec un essai, à savoir ”De l'intégrisme en particulier et de la barbarie en général”. Il l'avait fait à la manière de “J'accuse” d'Emile Zola. Je pense qu'il a influencé de nombreux écrivains de la nouvelle génération, à l'instar de Maïssa Bey, Abdelkader Djemaï et Kamel Daoud, qui dénoncent dans leurs romans les méfaits et les travers de la société. Ce sont des écrivains qui ne se taisent pas quand les choses ne vont pas». Création du prix littéraire Rachid Mimouni Venue de France, Orlane Glises de la Rivière a étudié la question de «la décadence du pouvoir» dans l'œuvre de Rachid Mimouni, «Une peine à vivre». Elle a relevé le cynisme du personnage principal et la pulsion de mort qui réapparait tout au long de l'œuvre. «L'auteur est très critique à l'égard du pouvoir. Il a aussi un franc parler particulier qu'on reconnaît tout de suite», a-t-elle indiqué, ajoutant qu'elle prépare une thèse sur le discours totalitaire dans les romans du 21e siècle. Plusieurs autres thématiques liées à l'œuvre de Rachid Mimouni ont été débattues durant le colloque à l'issue des communications présentées par les enseignants et chercheurs, Fatima Brahmi, Youcef Immoune, Hacène Arab, Mohamed Aït Mihoub et Oum Saâd Hayet. Avant la clôture de la manifestation, les participants ont convenu de la création d'un cercle et d'un prix littéraire Rachid Mimouni, qui sera attribué chaque année aux jeunes écrivains. Cette distinction vise à encourager les nouvelles générations à lire, étudier et perpétuer l'œuvre de l'auteur.