vous aviez rehaussé le prestige du SMA qui s'était attaché presque toutes les couches de la population, et ce, malgré «l'agression» des boys-scouts, dans une situation confuse ; Mbarouata, c'était ton mot pour qualifier toute situation de «bricolage» et de fuite en avant… Oh ! combien était beau et fort ton groupe Er-Raja. Toujours prêt, vers les années 1944-1945, tu étais encore bien jeune, le scoutisme, les cours du soir dans les médersas libres ; cours de notre langue nationale donnés par les cheikhs, Ali Marhoum, Si Mohamed Belabed Smati, cheikh philosophe révolutionnaire ont fait de toi, Tayeb, un homme déjà mûr. tu t'engages dans le mouvement national PPA-AML. je ne me rappelle pas les détails. Mais je te retrouve dans le PPA-MTLD. L'étape suivante c'est l'Organisation spéciale (OS) qui te sélectionne. L'histoire va vite ; tu as connu toutes les crises du mouvement national ; tu as ignoré tous ces obstacles avec courage et patience. Oui, tu te révoltais certains moments quand le pays vivait une succession d'impasses, mais tu n'as jamais baissé les bras. Sans bruit, tu faisais ton devoir, tu n'aimais pas le bavardage «des laïus», tu répétais souvent ce mot. Souvent ton silence relatif faisait craindre ton désaccord sur un sujet… et tu ne te prononçais pas. Tu paraissais pour certains comme un homme un peu timide. Mais quand tu ouvrais grand les yeux, c'était pour demander des explications et des éclaircissements, ton petit sourire tranquillisait ton interlocuteur. Tayeb Kheraz s'était prononcé quand il le fallait : défendre les SMA, s'engager pour la cause nationale, dans le PPA-MTLD-OS, toujours prêt, nous allons le trouver dans le premier groupe d'action le 1er Novembre 1954. Les actions : bombes, coups de fusil avaient commencé à travers tout le territoire national , le virtuel était devenu réel, le tocsin avait sonné contre le colonialisme. Nous nous sommes vus avant et après les premières arrestations. Tu étais bien inquiet, tu savais que la police essayait de te décrypter les écritures sur les enveloppes ; les lettres adressées aux notables de la ville, grâce à ton calme et ton courage, ton arrestation ne t'avait pas surpris, tu t'y attendais un peu. Le train de la révolution était bien parti. Vers le 7 mai 1955, arrestations massives dans le Constantinois, premiers visés les militants politiques, surtout ceux du PPA-MTLD. La «civilisation» t'enchaîna dans la centrale de Lambèse ; quelques mois après ton arrestation (7 mai 1955) vient mon arrestation avec une vingtaine de nos amis militants, amis communs de Biskra. Nous nous sommes perdu de vue et sans nouvelles au moins 5 ans. Tu croupissais à Lambèze, j'étais traîné d'un camp de concentration à un autre. Pendant les années 1960-1961, le hasard heureux, nous avions repris nos contacts par lettres échangées et tu m'avais envoyé ton beau portrait avec ces mots affectueux : «A mon cher oncle El Hachemi, avec mon grand attachement…». Ton neveu qui t'aime beaucoup. Lambèse le 24 octobre 1960 Tay. K. N. B. : neveu pour dissiper la vigilance de la censure. Notre correspondance avait continué d'ailleurs avec toi et avec Brahim Chergui. L'Algérie a gagné, ma libération a devancé la tienne quelque temps ; je m'étais remis à lutter dans l'organisation. Le jour de ta libération, tu m'as trouvé devant le portail de la prison. Nous sommes rentrés à Biskra dans la voiture Opel de Chaoui Lemouchi. C'était ta première victoire. Le référendum, l'indépendance, et nous avons vécu avec toute la population la levée du drapeau algérien sur l'édifice officiel. La mairie de Biskra. Tu as vécu ton rêve, en réalité… L'indépendance. Les nouvelles responsabilités… Bravo, tu as fondé une famille digne de toi, je lui renouvelle toute ma sympathie et ma solidarité. Tu as pris des responsabilités et tu t'en es sorti proprement ; élargissement de la famille de tes amis. Notre ami commun, Aïssa Kechida, m'a rappelé que tu avais fait un certain courrier entre Le Caire et Alger, le tout sous le couvert du scoutisme. Ce souvenir tu l'as évoqué avec Si Hocine Aït Ahmed, alors que nous assistions à Bouzaréah aux funérailles de la mère (Ouma Aïcha) de notre cher frère Larbi Ben M'hidi. Je témoigne : Aït Ahmed s'est montré heureux de revoir Tayeb, aussi Mohamed Boudiaf s'est montré fou de joie lors de sa rencontre avec Kheraz chez les scouts. Visite officielle au siège. Tes amis de Biskra, qui habitent Alger, t'ont rendu leur dernier adieu, tous mobilisés au cimetière d'El Alia. Je termine pour te dire que les grands comme les petits petits t'ont aimé et tu le méritais hautement. Adieu cher compagnon – El Biar (Alger), le 11 mars 2006, anniversaire de la création du PPA en 1937