Lorsque le président du groupe indien Tata, Ratan Tata, avait annoncé en 2003 au Motor Show de Genève son projet de mettre sur le marché une voiture qui coûterait 1500 euros et dont le moteur ne dépassera pas le volume de 624 cm3, les grandes maisons automobiles ont affirmé avec suffisance qu'il s'agissait d'un bluff, tout au plus d'une idée ridicule. Mais hier à Bombay, la famille Tata a exposé avec fierté son dernier produit, la très attendue utilitaire Nano. Si ses concepteurs ont tenu parole sur le prix à portée des portefeuilles des masses ouvrières, entre 1500 et 1700 euros sur le marché local, le nombre d'unités livrées ne sera pas de 250 000 véhicules par an, comme préalablement annoncé, mais seulement de 50 000 voire 30 000. La crise économique n'a pas épargné la grande démocratie indienne, l'un des pays du bloc des BRIC (Brésil, Inde et Chine), et a poussé l'entrepreneur Nano à revoir les aspects productifs du projet. Après un retard de plusieurs mois, il s'est décidé à lancer les 3 modèles de la voiture Nano, hier soir, lors d'une cérémonie festive, tenue dans la capitale économique du pays, Bombay. La marque Tata roule déjà depuis des années sur les routes indiennes, où voitures et camions affichent le savoir-faire indien. Mais une automobile pour les couches défavorisées, voilà de quoi réconcilier la richesse ostentatoire de certaines dynasties de l'Inde avec la pauvreté criarde qui vous assaille aux carrefours des rues de la capitale où des centaines d'enfants tentent de vous vendre n'importe quoi, voire de s'exiber dans un spectacle de danse ou de chants pour quelques roupies. Les premiers modèles de la Nano, sans climatisation, ni direction assistée, ne seront livrés que dans deux mois, et il faudra payer la somme entière au moment de passer commande chez les concessionnaires. Les heureux propriétaires seront tirés au sort, vu le grand nombre de demandes. Les usines Tata prévoient de fabriquer 3000 véhicules par mois, tandis que la demande dépasse les 20 000. Il faut dire que outre la crise économique mondiale, le constructeur a dû faire face à des conflits sociaux et à la fronde des organisations des paysans dépossédés de leurs terres, réquisitionnées pour permettre aux usines de s'étendre dans le Bengale occidental (Est). Une usine achevée et qui a coûté à son propriétaire 350 millions de dollars s'est vu bloquée par la protestation des partis politiques locaux qui ont contraint Tata Motors à déplacer ses chaînes de montage vers Goujarat (Ovest). Mais les écologistes craignent que la Nano ne vienne aggraver la circulation automobile dense, qui bloque les rues de Delhi et de Bombay, jusque tard dans la nuit. Les habitants de Bombay, hostiles à cette « démocratisation » de la voiture ont déjà lancé leur slogan ironique : « Nano ? Nono, merci ! »