Au moment où s'exprime avec acuité la nécessité pour l'Algérie de s'engager résolument dans la diversification de son économie, des mesures volontaristes sont adoptées par les pouvoirs publics pour tenter de relocaliser les revenus issus de le rente pétrolière, revenus que la loi du 28 avril 2005 semblait vouloir faire échapper, selon la quasi-totalité des observateurs, au Trésor algérien. Le débat sur la question ne peut être un débat abstrait. Ni la participation majoritaire de SONATRACH dans les contrats d'association ni l'écrémage des superprofits réalisés par des compagnies étrangères, ne garantissent ipso facto que les revenus pétroliers seront réinjectés dans les circuits économiques ou utilisés pour des politiques sociales et culturelles conformes à l'intérêt général. Mais surtout au moment où la dépendance de l'Algérie à l'égard des hydrocarbures est par trop choquante (au regard même de la situation des pays comparables), les revenus pétroliers doivent être mis au service d'une stratégie de développement national dont on peut se demander pour quelle(s) raison(s) elle devrait se réduire à un projet industriel aussi difficile à concevoir qu'à mettre en œuvre. L'économie algérienne ne peut- elle (au moins en partie) devenir une économie de services ? Ne doit-on d'ores et déjà poser les linéaments d'une industrie touristique qui constituera, à terme, la rente de substitution de celle des hydrocarbures ? Quatre préoccupations nous guident dans la description du lien quasi consubstantiel qui doit s'établir progressivement entre la diversification de l'économie algérienne et la sanctuarisation de la rente pétrolière :(I) le constat de la nécessaire diversification de l'économie nationale,(II) les obstacles à la fois objectifs et contingents à cette diversification,(III) les mesures prises par les pouvoirs publics en vue de sanctuariser la rente pétrolière, enfin, (IV) un plaidoyer pour une sanctuarisation vertueuse de la rente. La nécessaire diversification de l'économie algérienne Il est d'abord important de lever une équivoque. Les réformes du pouvoir politique pour mettre en place l'économie de marché ne remontent pas à 1987.Les mesures d'ajustement qui sont adoptées au cours de cette période visent un seul et unique objectif : faire subir à l'Etat une cure d'amaigrissement, compte tenu de l'impossibilité dans laquelle il se trouve, de faire face à ses engagements financiers, aussi bien internes qu'externes, après la chute brutale du prix du pétrole qui est descendu à 5 dollars le baril, en mars 1986. Face à ce cataclysme, la puissance publique est acculée à revoir à la baisse l'ensemble des dépenses publiques. Ce n'est qu'avec les privatisations, la libéralisation du marché du travail, la création d'un marché financier (même s'il est rudimentaire), l'accueil des investissements étrangers, l'assouplissement de la réglementation des changes que l'Algérie s'engage, à pas comptés, vers un processus qui remet graduellement en cause la dominance du secteur public sur les circuits économiques et l'unilatéralité d'une réglementation censée régir une économie centralisée et bureaucratique. S'arrêter à cette constatation serait cependant bien insuffisant si l'on ne se posait pas la question de savoir au profit de quels acteurs économiques et sociaux s'effectue depuis vingt ans aujourd'hui le désengagement de l'Etat. Le passage à l'économie de marché ne peut être assuré par le seul retrait de l'Etat de l'activité économique si celui-ci est inconditionné et s'il n'existe pas un tissu d'entreprises publiques et privées capables de créer emplois et richesses et prendre ainsi le relais du secteur public économique dont on a décrété par le haut qu'il a vocation à disparaître. Ce n'est certes pas l'ampleur des transformations accomplies dans l'instrumentation juridique et institutionnel qui peut être niée.L'œuvre normative accomplie depuis 1993 à ce jour (droit des investissements, privatisations, bourse, concurrence, consommation, etc.) est impressionnante. C'est l'ensemble du droit algérien qui a été transfiguré par le législateur, qu'il s'agisse du droit des sociétés, du droit bancaire, du droit des investissements, du droit boursier du droit douanier ou du droit fiscal(dès 1992), du droit du consommateur ou du droit immobilier. Force est cependant de reconnaître que ce bouleversement normatif a été décidé, un peu à la hussarde, c'est-à-dire sans qu'une réflexion d'ensemble sur les modalités de son adaptation aux réalités économiques et sociales nationales ait été entreprise. A cet égard, jamais autant que dans la période 2000-2006, le mimétisme juridique n'a opéré avec une si grande vigueur, le législateur algérien se satisfaisant de reprendre à son compte l'ensemble du contenu des normes adoptées par les pays à économie de marché, sans qu'apparaisse réellement le souci de veiller à acclimater ces normes à un contexte local dont la mondialisation libérale est loin d'avoir enlevé toutes ses particularités. Il est exact qu'à la décharge du législateur, la pression de la communauté internationale pour que soit réalisée rapidement la mise à niveau du droit algérien, a été extrêmement forte au cours de ces dernières années et explique, sans la justifier, la précipitation qui a prévalu dans la refondation de notre système normatif. Peut-on évaluer l'impact de ce nouvel édifice juridique sur la réalité économique algérienne ? De prime abord, l'impact est quasiment imperceptible et ce ne sont pas les succès commerciaux de tel ou tel capitaine d'industrie dans des créneaux très ciblés qui peuvent utilement renseigner sur le degré d'imprégnation par le nouveau droit algérien des structures économiques existantes. D'une façon générale, le hiatus reste très important entre le droit et la réalité économique. Il y a plusieurs raisons à cela : les changements juridiques et institutionnels ont été accomplis sous la pression conjointe du FMI, de la Banque Mondiale et de l'OMC .Une forte dose de volontarisme les a donc dès l'abord imprégnées. La deuxième raison est que ni les acteurs économiques (entreprises publiques et entreprises privées) ni les acteurs sociaux (syndicats,salariés, consommateurs) n'ont été préparés à ces mutations, au sens où l'Etat les aurait accompagné par des mesures de sensibilisation et d'incitation à l'adaptation(ce que surent faire admirablement la Tunisie et le Maroc en préparant leurs entreprises à la mise en œuvre de l'accord d'association séparé avec l'UE). Les obstacles à la fois objectifs et contingents à la diversification de l'économie algérienne La troisième raison est que les textes ne valent que par leur application sur le terrain.Le rôle des autorités centrales (ministères notamment) des autorités déconcentrées (wilayas) et des organes de contrôle ( Banque d'Algérie, Inspection Générale des Finances, Cour des Comptes) est très important pour garantir l'application des nouvelles règles du jeu. On ne peut que déplorer, à la suite du Président de la République, l'insuffisance manifeste de leurs rôles respectifs. Quant aux autorités de régulation, elles ne sont pas encore outillées (humainement, matériellement, logistiquement et politiquement) pour domestiquer les forces du marché, imposer une réelle concurrence entre les entreprises et protéger efficacement le consommateur qui fait de plus en plus figure de laissé pour compte de la nouvelle économie libérale algérienne, notamment au regard de l'arbitraire auquel le soumet le marché informel. On se focalisera sur l'appareil de formation. Visiblement, l'Algérie a renoncé à investir dans son futur et depuis le milieu des années 1980, le système de formation mis en place ne fournit pas aux enfants algériens une éducation de bon niveau international. Or l'économie moderne dans laquelle l'Algérie entend entrer de plein pied repose largement sur le capital humain. Pour faire face aux défis de la mondialisation et l'ouverture de ses frontières, l'Algérie ne peut pas se permettre de sous-utiliser des fractions importantes de ses forces à cause du chômage qui frappe plus de 30% de la population active (et plus de 65% des jeunes de moins de 25 ans) ou d'une mauvaise formation qui affecte l'ensemble des cycles (primaire, moyen, secondaire et supérieur). L'Etat algérien n'a pas encore, semble-t-il compris que l'investissement dans la formation est de loin le plus rentable sur une durée de vie, constat d'autant plus douloureux que les Algériens passent volontiers pour un peuple doué, capable de maîtriser les technologies les plus sophistiquées et d'acquérir rapidement la connaissance des langues étrangères. Quel énorme gâchis d'un potentiel aussi considérable à cause d'un système de formation totalement inefficace et archaïque qu'aucun gouvernement n'a cherché à réformer depuis 30 ans. Résultat des courses : les exclus du système scolaire sont de plus en plus nombreux à se réfugier dans le marché informel qui prend des proportions alarmantes en se développant quasi exclusivement sur une contrefaçon proliférante, au moment où paradoxalement l'Algérie vient de traduire dans sa législation les accords sur la propriété intellectuelle appliqués au commerce. Les recettes dégagées par l'économie informelle échappent totalement à l'impôt alors que le rendement de la fiscalité ordinaire se cantonne à des niveaux très bas et continue d'être alimenté par les prélèvements sur les revenus salariaux. Cette situation calamiteuse ne peut à l'évidence se poursuivre sans générer de graves distorsions économiques et sociales. Il ne s'agit évidemment pas d'accabler les algériens contraints pour des raisons de survie de tirer leur subsistance du commerce informel. Il s'agit de dénoncer la persistance de ce fléau qui n'a été rendu possible que par le laxisme des autorités de contrôle-en dehors d'actions ponctuelles et ciblées dont l'impact est quasiment nul,- et par le refus de mettre en cause les principaux parrains du crime organisé et du grand banditisme (1). Dans ces conditions, l'Algérie peut-elle avoir un projet industriel ? Il ne suffit pas de s'arrêter au constat désabusé que notre pays n'a pas été en mesure d'élaborer un projet industriel, créateur d'emplois et de richesses au cours de ces vingt dernières années. Le peut-il réellement au regard de la modicité de ses avantages comparatifs, de l'avance déjà prise par les Etats voisins dans ce domaine qui ont pu s'inscrire dans la division du travail en préservant leurs emplois et un certain niveau d'exportations (Tunisie, Maroc, Egypte, Turquie, etc.), de l'orientation globale des Investissements Directs Internationaux (IDE) et de la structure actuelle de l'économie mondiale. Au regard de l'ensemble de ces facteurs, la réponse peut difficilement être affirmative. Et à sa suite, d'autres questions plus concrètes ne sauraient être éludées. C'est en théorie dans la sous-traitance industrielle que les entreprises algériennes pourraient jouer quelque rôle. Or en l'état actuel des choses, nos entreprises ne sont en mesure de tirer un quelconque profit du double phénomène d'externalisation et de recentrage des activités des groupes de l'industrie manufacturière par exemple. Les fournisseurs et équipementiers de premier rang ne consentent à la sous-traitance que dans la mesure où celle-ci se traduit par un transfert d'une partie du risque économique, qu'elle permet de minorer les coûts et d'accroître la rentabilité économique. Aujourd'hui, dans les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique, par exemple, les constructeurs ne revendiquent plus la totalité de la maîtrise sur les systèmes productifs. Un grand nombre de produits qui sont intégrés dans le cycle de production sont fabriqués par des entreprises domiciliées dans les pays du sud. Les fournisseurs directs se satisfont de la conception des produits et de la réalisation des systèmes. Toute la question est de savoir si les entreprises algériennes sont en mesure d'honorer les exigences de la sous-traitance et de répondre efficacement aux fluctuations de la demande globale, comme le font avec un succès indéniable les entreprises de l'Europe de l'est (Hongrie, Slovaquie et Pologne), l'Inde, le Brésil et plus près de nous, le Maroc et la Tunisie. Un projet industriel ne peut se concevoir ex nihilo et refléter les seuls vœux pieux des pouvoirs publics. Il doit s'appuyer sur les contraintes actuelles des processus de production à l'échelle d'une région ou du monde. Surtout, il ne sera qu'une coquille vide si la recherche-développement n'est pas fortement encouragée, en même temps que la création d'entreprises, surtout privées, capables d'utiliser des technologies brevetées les plus récentes et nouer des partenariats flexibles avec des entreprises étrangères, sans rencontrer d'obstacles de la part de la puissance publique (2). Il reste bien sûr les avantages comparatifs dans le secteur de l'énergie, comme l'atteste l'importance des investissements (près de 12 milliards de dollars) pour relancer la pétrochimie nationale dans un certain nombre de segments : vapocraquage, production de détergents, peintures, plastique, emballage, déshydrogénation du propane et de polypropylène. Mais l'ensemble de ces projets, même s'ils permettront à notre pays d'exporter les produits qui y seront fabriqués renforce la spécialisation de l'Algérie sur les seuls hydrocarbures (3). Quant aux autres IDE, ils n'ont pas eu jusqu'ici d'effets d'entraînement sur le reste de l'économie (3), sous réserve d'une évaluation rigoureuse et objective de ceux inscrits d'ores et déjà dans le cadre de la réalisation du Plan Complémentaire de Soutien à la Croissance (PCSC).Ce qui ne fait pas de doute est qu'à l'instar d'autres pays du Sud,dont l'économie est également rentière (Angola, Guinée Equatoriale, Soudan), ce ne sont ni les stratégies de développement ni la bonne gouvernance qui expliquent le relative attractivité des investissements dans notre pays, mais l'augmentation substantielle des prix du pétrole. Quoiqu'il en soit,il est acquis que les futures politiques industrielles, s'il en est, ne pourront plus s'adosser aux entreprises publiques, devenues à l'issue de processus de restructurations qui se sont enchaînés les uns aux autres depuis trente ans, le symbole de l'inefficacité, de l'accumulation des rentes et du gouffre financier. Les mesures prises par les pouvoirs publics en vue de sanctuariser la rente pétrolière C'est au moment où les observateurs attentifs de la vie économique algérienne scrutaient l'adoption des textes d'application de la loi n° 05-07 du 28 avril 2005 relative aux hydrocarbures, que les pouvoirs publics décident d'abroger les dispositions essentielles qui en constituaient la téléologie : place restreinte de l'entreprise publique nationale SONATRACH sur le marché des hydrocarbures, plus grande liberté des compagnies étrangères pour l'exploration et l'exploitation des réserves pétrolières et gazières et enfin effacement de la puissance publique dans la procédure de contrôle au profit d'autorités de régulation aux attributions et au savoir- faire incertains. Dans son intervention devant les cadres de la nation, le 26 décembre 2006, le président de la République s'est attribué les mérites du retournement de l'Etat algérien à propos de sa stratégie vis-à-vis des compagnies étrangères (4). On peut considérer son intervention comme une sorte de modus operandi, définissant les moyens de réappropriation par l'Algérie de l'essentiel de ses ressources en matière d'hydrocarbures. L'ordonnance n° 06- 10 du 29 juillet 2006 relative aux hydrocarbures décide non seulement que les "contrats de recherche et d'exploitation et les contrats d'exploitation contiennent obligatoirement une clause de participation de l'entreprise nationale SONATRACH-SPA mais encore que le taux de participation de celle-ci ne peut être inférieur à 51 %, et ce " préalablement à chaque appel à la concurrence ". Par ailleurs pour chaque contrat de recherche et d'exploitation, celui-ci doit préciser le taux de participation de SONATRACH ainsi que le mode et les conditions de financement des investissements de recherche. Dans le domaine du gaz, l'accord conclu entre SH et les compagnies étrangères doit obligatoirement comporter une clause de commercialisation conjointe dans tous les cas où le gaz doit être commercialisé à l'étranger. S'agissant des contrats de transport par canalisation, le taux de participation ne peut être inférieur à 51%.L'attribution de concession uniquement au profit de SONATRACH, qu'il s'agisse pour son cocontractant d'évacuer sa production d'hydrocarbures ou pour un autre motif. Par ailleurs, toute concession qui n'est pas réclamée dans le cadre du plan national de développement des infrastructures de transport par canalisation est automatiquement octroyée à SONATRACH. De loin, la disposition législative qui attire davantage l'attention est celle qui prévoit qu' " une taxe non déductible sur les profits exceptionnels réalisés par les associés étrangers est applicable à la part de la production leur revenant lorsque la moyenne arithmétique mensuelle des prix du pétrole Brent est supérieure à 30 dollars le baril. " De plus, on peut dire que cette taxe opère rétroactivement, dès l'instant qu'elle est applicable à compter du 1er août 2006 puisque aussi bien aucun texte d'application de l'ordonnance n'a été pris dans l'intervalle. Le taux de cette taxe varie entre 5 et 50%, et c'est à SONATRACH qu'il appartient de procéder à la déduction de la quantité d'hydrocarbures correspondante indiquée et de s'en acquitter auprès du trésor public. Le décret exécutif du 2 décembre 2006(5) vient fixer la procédure, les conditions d'application et la méthodologie de calcul de la Taxe sur les Profits Exceptionnels (TPE). On retiendra que cinq types de contrats sont concernés : a. les contrats de partage de production des hydrocarbures liquides et gazeux ; b. les contrats renfermant une clause de calcul de la rémunération de l'associé étranger sans le mécanisme du " price cap " (6) ; c. les contrats renfermant une clause de rémunération de l'associé avec le mécanisme du " price cap " ; d. les contrats renfermant une formule de partage de production spécifique ; e. les contrats d'association en participation. SONATRACH procède en deux temps pour s'acquitter de cette taxe auprès du Trésor public. Elle prélève en premier lieu, la quantité d'hydrocarbures liquides et gazeux qui équivaut au montant de la taxe sur les profits exceptionnels et en second lieu, elle prélève la quantité d'hydrocarbures ou liquides servant à couvrir les montants dues au titre de la TPE dite taxe sur les profits exceptionnels antérieurs. De façon plus concrète, SONATRACH procède au prélèvement de 85% maximum de la part de production des hydrocarbures liquides et gazeux de l'associé étranger, dès lors que la part de la production est supérieure à 80.000 barils/jour. En outre, elle procède au prélèvement de 65% maximum de la part de la production des hydrocarbures liquides et gazeux lorsque la part de la production est inférieure à 80.000 barils/jour. Le critère de computation du délai de prélèvement est le mois considéré. Ce qui est également remarquable est que la TPE est mise en œuvre, nonobstant les niveaux de production atteints au cours de telle ou telle période. Ceci signifie qu'en cas d'insuffisance des limites de la production atteinte afin de couvrir l'intégralité de la taxe exigible, la différence est étalée sur les mois civils successifs suivants, jusqu'au recouvrement de l'intégralité du montant de la TPE antérieure qui n'a pas encore été due. La signification de la nouvelle loi sur les hydrocarbures et singulièrement le décret relatif à la TPE portent témoignage de la détermination de l'Etat algérien à ne pas s'intéresser uniquement au contrôle des prix du pétrole (notamment à travers son action au sein de l'OPEP) mais désormais davantage aux conditions de partage des profits. Les revenus pétroliers sont devenus, en effet, dans la totalité des Etats producteurs le garant de la stabilité politique des régimes en place. Il faudrait peut être également y voir l'amorce d'un nouveau pacte pétrolier à la fois interne et international. Il s'agira d'un nouveau pacte interne, sous réserve que soit réalisée une véritable redistribution du revenu national au profit des couches sociales les plus laborieuses- dont l'immense majorité des couches moyennes- qui vivent uniquement de leur labeur. Il faut savoir qu'aujourd'hui, il est impossible de constituer un patrimoine par le revenu de son seul travail salarié. Ce pacte interne pourra voir le jour lorsque les pouvoirs publics seront en mesure de mettre en œuvre une stratégie d'optimisation des ressources, assurant notamment une augmentation des taux de récupération. Il s'agira d'un nouveau pacte externe si les modalités d'exploitation contractuelles évoluent dans le cadre d'un partenariat stable entre SH et les firmes étrangères qui assure une rentabilité à ces compagnies, au moment surtout où celles-ci enregistrent une baisse de rendement de leurs actifs pétroliers. Ce pacte aurait pour immense avantage de préserver l'avenir de l'industrie pétrolière, dans la mesure où l'Algérie ne peut pas -sans déloyauté- se permettre d'adopter une loi sur les hydrocarbures qui malmène les intérêts des associés actuels et futurs de SONATRACH (8). En réalité, la nouvelle loi pétrolière ne remet pas en cause la prospérité future des compagnies étrangères associées à SH. Grâce à l'utilisation rationnelle de l'outil fiscal, de plus grandes facilités pour accéder aux financements internationaux et grâce à la transparence relative des contrats de partage de production ainsi que leur durée, on peut conjecturer que les fonds éthiques, les fonds de développement durable et l'investissement socialement responsable chercheront à s'impliquer dans le développement de l'industrie pétrolière et gazière algérienne. Parallèlement, SONATRACH serait appelée, dans ce schéma, à se transformer en opérateur technique puissant, grâce aux différents transferts de technologies qui seront effectués à son profit. Pour une sanctuarisation vertueuse de la rente pétrolière En 1994, selon les prévisions de la Banque d'Algérie, le montant des exportations hors hydrocarbures devait atteindre les deux milliards de dollars en 2000, c'est-à-dire représenter de 15 à 18 % du montant global des exportations qui variait, au cours de cette période entre 12 et 14 milliards de dollars/an. En 2006, le montant des exportations hors hydrocarbures n'a pas dépassé 650 millions de dollars, soit un quart seulement de son niveau escompté pour 2000.C'est assez souligner le caractère foncièrement rentier de l'économie algérienne. Pourtant, dès le congrès extraordinaire du FLN, en juin 1980, avait été défini le premier modus operandi détaillé pour la mise en œuvre de l'après - pétrole. Trois décennies plus tard, l'Algérie dépend plus qu'à aucune autre période de son histoire de l'exportation des hydrocarbures. A la différence d'autres pays membres de l'OPEC comme les Emirats arabes unis, Koweït, l'Indonésie ou l'Iran, l'Algérie n'a pas été en mesure de diversifier son économie, de sorte que celle-ci eût créé richesses et emplois. C'est dans la dominance de la logique politique au sein de l'économie que cette situation calamiteuse trouve son origine. Le pont aux ânes des diagnostics successifs sur l'Algérie se résume trop souvent à l'absence de traditions entrepreneuriales du secteur privé et à l'emprise du modèle économiste étatiste, élaboré au milieu des années 1960. A beaucoup d'égards, ces deux arguments paraissent courts. En réalité, c'est moins le caractère intrinsèquement rentier de l'économie algérienne (la rente pétrolière n'est pas en soi une malédiction) que l'absence de mesures concrètes destinées à diversifier l'économie algérienne, en permettant à la sphère de production des biens et de services de s'autonomiser progressivement de la logique politique qui pose problème. Autrement dit, il faudrait que la rente pétrolière se transforme en capital productif permettant l'émergence d'une classe d'entrepreneurs capables de prendre des risques et de relever les défis technologiques et managériaux induits par les exigences de l'économie de marché (9). L'autonomie de cette sphère signifie à terme que la redistribution sociale ne serait plus le monopole de l'Etat, lequel ne contrôlerait plus qu'une partie de la richesse disponible, celle issue directement de l'accaparement de la rente. De la persistance du monopole de la redistribution sociale (qui est à la fois inégalitaire et inefficace), il en résulte que les modes de régulation institutionnelle sont essentiellement articulés à une logique de type clientéliste, favorisant une accumulation accélérée et peut-être improductive de la rente. La question ne peut manquer de se poser, à propos du plan complémentaire de soutien à la croissance (PCSC) dont le montant est fabuleux (100 milliards de dollars sur cinq ans). Est-ce que l'injection d'une masse aussi énorme de capitaux dans des structures économiques et sociales non performantes, permettra de créer suffisamment d'emplois et de réaliser les investissements structurants projetés ? Une véritable sanctuarisation de la rente pétrolière suppose évidemment de décréter la fin de l'opacité du système actuel qui relève d'une distribution inégalitaire de la rente pétrolière. Mais personne ne peut présumer de l'efficacité des mesures volontaristes qui sont pourtant nécessaires. Un spécialiste algérien éminent en a décliné quelques unes : associer l'ensemble des élus de la nation au contrôle des revenus directement issus de le rente, certification des recettes pétrolières et gazières de SONATRACH par des cabinets d'audits indépendants, soumission des comptes financiers de SONATRACH à un audit également indépendant et publication de ces comptes, claire séparation des missions de service public des missions économiques exercées par les entreprises de la concurrence (10). Dans certains pays africains comme le Libéria, le CongoBrazzaville ou le Tchad, les Etats respectifs ont été soumis à une véritable mise sous tutelle de leur économie, compte tenu du niveau de corruption atteint au sein des appareils d'Etats et leurs différents relais. Pour le Libéria par exemple, le déblocage des sommes promises par les bailleurs de fonds a été conditionné à un strict contrôle du bon usage des fonds publics par ces mêmes bailleurs de fonds avec le concours des institutions financières internationales. Le contrôle s'exerce aussi bien a priori qu'a posteriori sur les recettes fiscales et douanières ainsi que sur les produits financiers. Les organes officiels par lesquels transitent l'argent public comportent en leur sein un expert étranger dont la signature est indispensable pour valider les documents y afférents. Le Ministère des finances, la Banque centrale, le Trésor public, les départements ministériels sectoriels (en charge de la gestion des matières premières et des ressources minérales et/ou pétrolières) ainsi que les Agences publiques sont placées sous surveillance étrangère. Il en est de même pour l'exécution du budget de l'Etat. Quant aux contrats de concession ou de licence, ils sont passés au scalpel. Seule concession, au demeurant symbolique au principe de souveraineté des Etats, le ou/ les comité (s) de pilotage de la bonne gouvernance économique sont dirigés par de hauts fonctionnaires de l'Etat. Cet ensemble de mesures est parfois supervisé en amont par le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour les Etats qui sortent d'un long conflit interne. Il s'agit là d'une forme de sanctuarisation contrainte et forcée de la rente pétrolière qui est imposée pour freiner l'hémorragie financière et la fuite des capitaux, au moment où les deux tiers de la population de ces Etats vit au dessous du seuil de pauvreté et se trouvent totalement exclus des circuits économiques. La situation de l'Algérie n'est évidemment en rien comparable à celle de ces pays, alors surtout que plusieurs actions ont été entreprises qui semblent traduire une volonté de la part des pouvoirs publics de sanctuariser la rente pétrolière. On en cirera trois : i. la réinjection des recettes pétrolières par le biais de la dépense publique (au titre de la politique de soutien et d'investissement).Plusieurs secteurs en ont déjà bénéficié, qu'il s'agisse du BTP, de l'agriculture ou du secteur financier sous forme de " subventions d'exploitation " ; ii. le rapatriement intégral des devises. L'encaissement des devises s'effectue obligatoirement auprès de la Banque d'Algérie, seule compétente pour gérer les recettes officielles. Du reste, SONATRACH a l'obligation impérative de rétrocéder la totalité de ses devises à la Banque d'Algérie ; iii. l'optimisation des réserves en devises qui sont placées en bons du Trésor américain, ainsi qu'auprès des banques qui possèdent la meilleure notation de rating (notamment quant à la performance des produits financiers et la qualité de leur gestion). A cet égard, le rendement moyen des réserves de change atteint presque 3% et procure à l'Algérie un résultat net de deux (2) milliards de dollars par an, ce qui assure largement le remboursement du service de la dette qui n'est plus que d' un (1) milliard de dollars. À l'aune de ces pratiques, il ne fait pas de doute que l'Algérie tente de poser les linéaments d'une sanctuarisation de sa rente pétrolière. Toutefois, aucune évaluation de l'impact réel de ces mesures n'a encore été entreprise (11). Conclusion La nécessaire diversification de l'économie algérienne, à peine amorcée et dont les résultats sont encore insignifiants, ne passe pas obligatoirement et nécessairement par la mise en œuvre d'un projet industriel. Déplorer l'absence d'une stratégie de développement industriel n'est peut-être pas le réflexe idoine. La question est surtout de savoir si l'Algérie peut se donner les moyens d'un projet industriel, au regard des contraintes de l'environnement régional et mondial et du caractère étriqué de ses avantages comparatifs. Or force est de reconnaître que notre pays ne dispose que peu d'atouts en la matière qui finiront par disparaître totalement, surtout si le système d'éducation et de formation n'est pas réformé en profondeur (ce qui requiert à la fois volonté politique et longueur de temps). Si la diversification de l'économie par l'industrie est une voie trop étroite, il faudra alors que des efforts substantiels soient consentis par l'Etat pour que l'économie algérienne devienne peu à peu une économie de services et que par ailleurs, les immenses potentialités que recèle la nature de notre pays, soient mises à profit pour promouvoir une audacieuse politique du tourisme qui soit créatrice d'emplois et pourvoyeuse de devises. Mais là encore, seul un système de formation digne de ce nom et un changement profond des mentalités, seraient susceptibles d'y conduire. S'agissant de l'ordonnance du 29 juillet 2006 qui modifie et complète la loi du 28 avril 2005 relative aux hydrocarbures ainsi que du décret exécutif relatif à la taxe sur les profits exceptionnels, l'une et l'autre ne sont les bienvenus que si ils permettent réellement une répartition plus équitable du revenu national issu de la seule rente pétrolière, le revenu national réalisé grâce à la valeur ajoutée des agents économiques devant avant tout profiter aux créateurs de richesses (12). Ceci signifie, en d'autres termes, que la légitimité des élites dirigeantes ne se mesure pas seulement à leur aptitude à répartir la rente, si par ailleurs aucun effort sérieux n'est entrepris pour que soit dégagée, peu à peu, l'économie algérienne, donc la politique mise en œuvre par les pouvoirs publics, de l'emprise des revenus pétroliers (13). Notes de renvoi (1) Cf. le courageux commentaire de A. BAHMANE, à propos du procès El Khalifa, " La juge et les lignes rouges ", El Watan du 15 janvier 2007. (2) M. R RACHIDIOU, " L'Algérie perd ses chercheurs ", El Watan du 29 novembre 2006. (3) EL KADI Ihsène, " La reprise de la recherche pétrolière en Algérie reste vague ", El Watan du 27 novembre 2006. (4) Même si leur montant a atteint trois milliards en 2006, hors secteur des hydrocarbures. (5) On lira avec profit les analyses de Professeur Amor KHELLIF, " Les changements de la nouvelle ancienne loi sur les hydrocarbures. Une loi à contre-courant des fondamentaux du marché pétrolier international ", El Watan des 8,9 et 10 octobre 2006. (6) JORA du 3 décembre 2006, n° 78, p.11. (7) Le " price cap " est le mécanisme par lequel les parties conviennent, en fonction d'un prix déterminé à l'avance, de faire varier les formules de révision permettant le calcul de la rémunération de l'associé étranger. (8) Cr. de L.SAHAR de l'intervention du Ministre de l'énergie et des mines au cours d'une rencontre avec les compagnies étrangères afin de les rassurer sur les effets de la taxe relative aux superprofits, El Watan du 23 novembre 2006. (9) Cf. M.BAHLOUL, " Pour une plus grande inventivité institutionnelle dans le pilotage des réformes ", in Partenaires, sept/oct. 2006, n° 65, pp. 38 et ss. (10) V.O. BENDERRA, " Pétrole et pouvoir en Algérie : les avatars de la gestion de la rente ", Confluences Méditerranée, n° 53, Printemps, 2005. (11)V.F.TALAHITE, "Les enjeux de l'évaluation et de la lutte contre la corruption ", El Watan des 8 et 9 janvier 2007. (12) Sauf à priver de tout effet le principe de la récompense de l'effort et de l'épargne, trop souvent piétiné dans un pays où la promotion sociale par le mérite est devenue l'exception. (13)V. JP.SERENI, " Difficile réconciliation nationale en Algérie. Où va l'argent des hydrocarbures ? " Le Monde Diplomatique, avril 2006. L'auteur est Professeur en droit des affaires