L'exode rural, la croissance démographique, l'urbanisation effrénée, la corruption et la gestion peu reluisante des espaces urbains ont fini par phagocyter les dernières poches foncières destinées à la construction. Pour contourner cette raréfaction les prédateurs de tout acabit ont jeté leur dévolu sur le patrimoine agricole. Les EAC et EAI d'antan se rétrécissent comme une peau de chagrin. De ces exploitations, il ne reste rien, sinon très peu de choses. Tout est englouti par le béton. Ces espaces ont changé de vocation de façon « légale ou illicite ». Premier département concerné par ce secteur, le ministère de l'Agriculture fait état de plus de 161 000 ha de terres agricoles, dont 10 000 irrigués, distraits entre 1962 et 2001 sur la totalité de 7, 5 millions d'hectares que compte l'Algérie. Plus de 112 000 autres hectares de terrains agricoles seront, toutefois, urbanisés à moyen et à long termes. Les plans directeurs de l'aménagement et de l'urbanisme (PDAU) sont d'ores et déjà approuvés. Fournis par la cellule de communication du ministère de l'Agriculture, ces chiffres ne seraient que la partie visible de l'iceberg. Cela est d'autant plus vrai que le même département avait parlé, en 2002, de détournement de près de 80 000 ha de terres fertiles d'Alger au profit de la construction privée rien que pour la période allant de 1988 à 1996 ! Un responsable du service de l'urbanisme de la wilaya d'Alger parle, de son côté, de plus de 50 000 lots de terrain distribués entre 1992 et 1997 par des délégués exécutifs communaux (DEC) sans passer par le ministère de l'Agriculture, propriétaire de ces terrains. La période des DEC a été particulièrement catastrophique pour le foncier agricole. Face à cette situation, l'ancien président Liamine Zeroual avait signé le 14 août 1995 l'instruction portant obligation de préservation des terres agricoles. Elle a été suivie d'une circulaire interministérielle datée du 5 septembre de la même année, exigeant la mise en place d'un dispositif permanent de contrôle sous l'autorité des walis. Ces dispositions n'étaient ni les premières ni les dernières. Passons la loi 87-19 du 8 décembre 1987 qui détermine le mode d'exploitation des terres agricoles et fixe les droits et obligations des producteurs, la loi 90-25 portant orientation foncière et la loi 90-29 relative à l'aménagement et l'urbanisme. Malgré cet arsenal juridique, la surface des terres agricoles se réduit d'année en année, peut-être de jour en jour. Comment se fait la cession des terres agricoles, sachant que les exploitatants ne disposent que du droit de jouissance ? Par quel tour de magie on transfère des assiettes foncières du ministère de l'Agriculture pour les faire entrer dans le compte des réserves foncières urbanisables ? Cette opération - ce serait l'avis de nombreux observateurs - ne se fait pas souvent de façon légale. « On vend le droit de jouissance, on établit les actes chez des notaires véreux, on modifie les PDAU, on dénature les POS (Plans d'occupation du sol) de façon à intégrer les espaces agricoles, on crée des coopératives immobilières fantoches, on altère les plans de masse, on augmente le nombre de lots de sorte à faire bénéficier parents et amis et la boucle est bouclée », témoigne un élu au fait des secrets de ce genre de transactions. S'il est quasiment trop tard pour récupérer les terrains agricoles ravagés par le béton, la préservation des terrains qui ont pu échapper à la prédation devra être au centre de toutes les préoccupations.