En écrivant Un homme et trois femmes (1), Fatma Lagoune(2) nous a fait redécouvrir le grand malaise qui ronge notre société : «La femme attend comme une grâce que l'homme lui adresse la parole ; elle est heureuse et fière de l'attention qu'il lui témoigne.» Et comme pourrait-il en être autrement, si chez nous, on n'aime «les bonnes manières» que dans les livres et le cinéma et si, dans la vie, on les redoute plus encore que la peste et le choléra ? Fatma Lagoune nous pose cette question gênante : «Comment oseriez-vous parler à une femme, beaucoup et souvent, si vous savez qu'alors on vous croira amoureux d'elle et qu'on ira peut-être même jusqu'à vous appeler (en plaisantant méchamment) son fiancé ?» Ce serait la compromettre et vous placer vous-même en fâcheuse posture. Pourquoi tout cela ? «Parce que, nous dit l'un des personnages de Un homme et trois femmes, chez nous, on ne comprend pas et on ne veut pas comprendre ce qu'est la femme.» Le roman de Fatma Lagoune dénonce aussi la polygamie, ce mal qui ronge encore les sociétés musulmanes. La romancière nous dit que «la femme est la grande victime de nos sociétés sclérosées. Fille, elle entre, malgré elle, dans le rôle que la société lui impose et aux mystères duquel on l'initie avec tant de soins, tant d'application.» Fatma Lagoune appartient à cette catégorie de romancières qui ne peuvent représenter fidèlement que les aspects de la vie qui, pour une raison ou une autre, ont frappé tout particulièrement leur pensée et qui leur sont familiers. Ce qui importe à l'auteure de Un homme et trois femmes, ce n'est pas le personnage lui-même, mais le sens de ses pensées. Chez elle, l'inspiration ne s'allume qu'afin de rendre évident et tangible pour tous les sens des pensées de son personnage par sa représentation fidèle. Le monde accessible à son talent est déterminé par l'idée qui lui tient à cœur, par sa conception de la vie. C'est un cercle magique dont elle ne peut sortir impunément, je veux dire sans perdre aussitôt la faculté de prendre la réalité d'une façon à la fois poétique et vraie. Le héros, dans la conception romanesque de Fatma Lagoune, est l'homme, notion universelle, générique, dans la large acceptation du terme, avec tout ce que ce mot comporte de sacré. Voilà pourquoi, on trouve dans son roman une foule de personnages mais pas de héros ni d'héroïne. Elle nous donne un récit magistral, mais où il n'y a pas trace d'un tableau poétique vivant. L'idée a sauvé l'auteure et l'a tirée d'affaire : elle a fort bien compris par l'intelligence la situation de ses personnages, mais elle l'a représentée uniquement en pensées. – 1 Edité à compte d'auteur – 2 Fatma Lagoune est originaire de Laghouat où elle vit et travaille comme fonctionnaire des P et T.