Ahmed Ben Mohamed Bakli est l'un des rares écrivains originaires de la région du M'zab. Son roman intitulé Murmure du silence décrit une atmosphère apocalyptique. Le Cheikh , le personnage principal du roman, est cet homme qui ne doit à aucun prix laisser la mort régner sur ses pensées au nom de la bonté et de l'amour : « La mort est une grande puissance (..). La déraison de la mort relève de la vie, sinon la vie ne serait pas la vie (..). Son état se situe entre la communauté mystique et l'individualisalisme inconsistant (..). Lui seul est noble, mais les antithèses ne le sont pas. L'homme est maître des antithèses, elles n'existent que par lui et, par conséquent, il est plus noble qu'elles (..). Je ne veux accorder à la mort aucun pouvoir sur mes pensées ! » Nous avons dû fortement abréger cette méditation, ce qui lui enlève une part de sa résonance spirituelle, car ce résumé, il faut le mettre en rapport non seulement avec l'ensemble du roman, mais avec tout ce qu'Ahmed Ben Mohamed Bakli a écrit sur l'esprit et la nature, la maladie et la santé, la mort et la vie. Avec Murmure du silence,l'élément religieux (surtout mystique) deviendra prépondérant chez l'écrivain. En tant qu'artiste, ce dernier perçoit ses héros dans leur singularité individuelle, mais, en même temps, il témoigne d'un sens aigu de la personne humaine : « A Aksir Lahmar, les hommes ne sont que le superflu de la vie, car la femme est le fondement de cette vie. Elle est la terre féconde. Les hommes ne sont que cet ornement qui maquille son visage. » Les conquêtes de la civilisation restent précaires au M'Zab, et Bakli interrompt l'évocation de la beauté et du bonheur par le rappel du fond inhumain qui, aux moments de faiblesse ou d'égarement, menace de faire irruption dans la vie des individus (menaces de mort contre le Cheikh, au début du roman, ou Boussaïd attaqué par les corbeaux, à la fin). Bakli lui-même pencherait-il déjà pour la définition donnée par le Cheikh : « Est vrai ce qui convient à l'homme » et dans laquelle on peut voir le postulant de base d'une pensée humaniste ? On ne saurait encore le dire avec certitude. En effet, tout le roman dépeint la « grande confusion » dans laquelle se débattent les esprits exigeants. Le romancier et ses héros s'interrogent sur les sens du travail, de la vie, de l'entraide et du temps. Seule une fin (d'après le Cheikh), pleinement valable, pourrait légitimer une exigence aussi exclusive. C'est, du moins, ce que l'auteur fait (ou pense) à la place de son personnage. A la déficience individuelle, il découvre des raisons qui tiennent à la société, à laquelle les personnages de Bakli se soumettent avec une véritable volupté. Mais vouloir éviter la représentation de l'humanité normale, pour ne pas tomber dans la platitude, peut amener l'écrivain à substituer à l'aventure humaine une construction cérébrale. Enfin, Murmure du silence déborde de toutes parts le cadre du roman. Ce qu'il y aurait de proprement romanesque se trouve déjà relégué dans des intrigues marginales . Malgré cela, nous pensons que les évènements décrits ont amené l'auteur à condenser son œuvre en une synthèse brillante. 1)-Né en 1944 à El Atef près de Ghardaïa 2)-Hadith Essamt (en arabe), édition Casbah, Alger, 2007.