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Du Sénat au conseil des sages (1re partie)
Publié dans El Watan le 17 - 06 - 2006

Mais sa dissolution ou sa mue en conseil de sage n'est possible que par une révision constitutionnelle si on veut sauvegarder l'image d'un Etat de droit.
La Constitution fixe le nombre, les attributions et les relations des organes institutionnels de l'Etat, notamment celles du CN. Sa suppression ou sa réforme souhaitée se heurterait en effet à la nécessité de réviser la Constitution. Or les procédures de révision constitutionnelle donnent au CN un véritable droit de veto (articles 174 et 176).
L'initiative de la révision constitutionnelle a toujours été le privilège de l'exécutif, c'est-à-dire du chef d'Etat, contrairement à ce qui a pu en être dit de la Constitution de 1989, lorsqu'on avait voulu justifier le coup d'Etat de 1992 par le danger de voir une APN dominée par le FIS modifier la Constitution à sa guise. La décision de révision constitutionnelle n'a jamais été reconnue au peuple (Constitution de 1976) et est toujours réservée à l'exécutif, en l'occurrence le président de la République seul (1976) ou avec l'accord indispensable du Parlement (1963 et 1989), c'est-à-dire l'accord de ses deux chambres depuis 1996.
L'exigence de l'accord du CN en l'état actuel des règles constitutionnelles fait que, si le président de la République peut dissoudre l'Assemblée populaire nationale (APN) issue – en principe – du peuple (articles 82 alinéa 2, 87 et 129 de la Constitution), il ne peut en faire de même avec le CN. La deuxième chambre dispose, en vertu des articles 88 alinéa 6, et 96 alinéa 3, d'un véritable privilège d'indissolubilité. Cet avantage du CN sur l'APN est couramment présumé comme étant l'apanage des secondes chambres alors même que cet avantage n'est pas un caractère commun du statut des secondes chambres dans le monde. Elles peuvent être dissoutes par le pouvoir exécutif, par exemple en Belgique, Italie, Espagne, etc. En Grande-Bretagne une simple loi votée, au besoin après le veto suspensif d'un an dont dispose la Chambre des lords, suffit à modifier le fonctionnement des pouvoirs publics. Le CN algérien, qui a une légitimité démocratique douteuse, dispose donc de privilèges exorbitants sur ce point.
Si le nombre des sièges au CN est plus réduit que celui de l'APN (la moitié de l'APN tout au plus, conformément à l'article 101 alinéa 4 de la Constitution) l'avantage du CN sur l'APN réside dans la durée du mandat de ses membres, plus longue que celle des députés de l'APN, ainsi que sur le mode de leur désignation par le président de la République pour le tiers des membres, discrétionnairement et sans qualités connues, et l'élection pour le reste.
Le mandat des membres du CN est de 6 ans alors qu'il n'est que de 5 ans pour les députés de l'APN, plus long donc d'une année (article 102 alinéa 2 de la Constitution). Les membres du CN ne sont élus, pour les deux tiers d'entre-eux, qu'au suffrage indirect et secret, parmi les membres des APC et APW et par ces derniers. Le renouvellement des membres du CN est d'ailleurs fractionné en deux, puisque tout le CN est renouvelable par moitié tous les 3 ans (article 102 alinéa 3), ce qui rallonge considérablement, avec le suffrage indirect, le temps de latence entre le changement politique dans l'opinion et sa traduction dans la composition de la seconde chambre, pour la partie des élus locaux qui seront amenés à y siéger. Ce sont donc des règles tout à fait spécifiques et différentes de celles des députés élus au suffrage universel pour leur totalité (article 101 alinéa 2).
Le CN dispose d'autres avantages encore. La procédure législative prévoit toujours que le dernier mot lui revient, d'une façon ou d'une autre. Tout projet de loi qu'il refuse est retiré s'il persiste dans son désaccord, malgré la proposition de la Commission paritaire composée de membres des deux chambres (article 120 alinéa 6). Ceci est contraire à ce qui se passe dans les deuxièmes chambres de par le monde. Pour la Chambre des lords, son infériorité prend trois formes : le privilège financier (qui fait examiner en priorité par la première chambre le projet de la loi de finances), l'exclusion de la Chambre des lords du vote des «money bills» et la possession d'un veto qui est suspensif (1 an) et non exclusif, pouvant être surmonté dès lors que deux sessions successives de la Chambre des communes ont adopté le projet. En France, si la Commission mixte paritaire n'arrive pas à concilier le point de vue des deux assemblées, le gouvernement peut permettre à l'Assemblée nationale d'adopter seule le projet. Dans les Etats fédéraux, la logique, quoique radicalement différente, permet de distinguer deux grandes catégories de lois, et seules celles impliquant les entités fédérées doivent recueillir l'assentiment de la seconde chambre.
Pourquoi tous ces avantages alors que le CN possède une légitimité démocratique de second rang par rapport à l'APN ? Et pourquoi qualifier le CN de seconde chambre ? L'adjectif seconde n'est-il attribué au CN que pour faire passer inaperçus ses privilèges aux yeux de l'opinion ? Une démocratie moderne peut-elle s'accommoder d'une assemblée à la légitimité démocratique imparfaite ? Pourquoi maintenir cette qualification de seconde si ce n'est au regard des critères démocratiques traditionnellement reconnus, au premier rang desquels se trouve l'élection au suffrage universel direct, fondement commun des démocraties contemporaines ? Est-ce la marque résiduelle d'un Etat despotique qui n'a jamais totalement abdiqué à la volonté populaire ? Tout ceci inciterait à traiter le CN comme une anomalie qu'il s'agirait soit de supprimer, soit de réformer si on lui veut un rôle légitime et utile. La démocratie est la victime de ces privilèges devenus aujourd'hui résiduels dans le monde. La démonstration n'est pas difficile sachant le contraste manifeste avec les premières chambres, réputées être le symbole de la nation dont elles sont – en principe – directement issues. La logique conduit à proposer la suppression ou l'affaiblissement des secondes chambres, une modification qui est censée, par ricochet, améliorer la démocratie.
Historiquement, les secondes chambres sont créées lors des périodes historiques de transition, dans le but de réfréner des élans démocratiques trop forts et dans un contexte où la majorité est réprimée ou le consensus national fait défaut. En Algérie, il semble que la création du CN par la Constitution de 1996 visait à créer un paravent empêchant le transfert au peuple d'une souveraineté accaparée depuis longtemps. Elle n'a aucun rapport à la démocratie. Selon Cherif Belkacem, la création d'un Sénat doit permettre de tempérer les changements sociaux et politiques brusques.
Le CN serait dans son esprit le moyen de rendre la transition démocratique plus lente et donc plus aisée.
Une seconde chambre rassure ou ménage les élites politiques déchues aux yeux de la population, et qui, à défaut d'une élection au suffrage du peuple se voient ainsi «désignées» ou indirectement élues pour continuer à bénéficier de son statut. De fait, les secondes chambres sont le lieu de refuge de ceux qui manquent de légitimité populaire.
L'histoire institutionnelle de la France de 1870 confirme cette logique. Lors du passage de l'absolutisme royal à l'Etat libéral, les secondes chambres avaient contribué à la transition et rendu plus acceptable le déclin politique progressif de l'aristocratie. La IIIe République qui fut un compromis entre monarchistes et républicains ne doit son existence, indéniablement, qu'à l'accord approuvé sur le Sénat. La première des trois lois constitutionnelles de 1875, celle du 14 février, est relative au Sénat. C'est ainsi que l'évolution vers un Etat plus démocratique est passée, plus tard et de façon transitoire, par l'affaiblissement des secondes chambres.( A suivre)


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