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Constantine malade de ses gourbis
Publié dans El Watan le 19 - 06 - 2006

Du haut d'une tribune installée au 4e Kilomètre, il annonce devant des milliers de citoyens l'éradication du fameux bidonville «New York». Un soulagement pour 575 familles, relogées à la nouvelle ville Ali Mendjeli. Une étape vers l'éradication d'autres sites, El Qahira dans la cité des Martyrs, le Polygone et El Mansourah.
Les choses sont allées trop vite pour les nombreuses familles bénéficiaires, mais elles ont été aussi dramatiques pour d'autres. Le calvaire a duré une année pour 47 familles délogées d'El Mansourah pour être recasées à la fourrière municipale de l'avenue Rahmani Achour. Elles attendront longtemps, dans des conditions inhumaines avant de connaître la délivrance. L'opération n'a pas fait que des heureux. Des familles n'auront cessé de crier à l'injustice dans les bidonvilles de Gance, Lentini, Hamza et Tennoudji dans la cité Emir Abdelkader. Des dossiers trop encombrants pour les autorités de la wilaya de Constantine et qui sont désormais loin d'être clos dans une ville toujours malade de ses taudis. Un visage hideux qui se cache derrière les cités populaires de Daksi, Oued El Had, Bentellis, Ziadia, Sakiet Sidi Youcef et El Gammas. Lors d'une visite d'inspection effectuée le 16 février 2006 à Constantine, le ministre de l'Habitat, Mohamed Nadir Hamimid, qui auparavant était wali de Constantine et donc censé connaître parfaitement la situation, s'est félicité des efforts déployés pour l'éradication des bidonvilles allant même jusqu'à avancer que Constantine est en voie d'en finir avec eux. Or cela est démenti par une réalité qui semble encore dure à dégommer. En quelques années, les autorités de la wilaya de Constantine semblent découvrir, avec le temps, autant de bidonvilles que ceux qu'ils croyaient avoir définitivement éradiqués. A moins de deux kilomètres du centre-ville, on croise le premier bidonville, dénommé Autotraction, sur la route de Batna. Les toitures coiffées de paraboles sont à peines visibles de la route. Les restes de quelques gourbis rasés à proximité de la cité des Cousins Boulbahri rappellent encore une tentative de dégourbisation lointaine, mais le site semble résister toujours. Résignés, des habitants, parlant au début avec une certaine réticence, puis leur luette se déliant, incriminent leur comité de quartier. Accusés d'opportunisme, les représentants de ces derniers ont, selon les affirmations des résidants, servi beaucoup plus leurs intérêts.
Autotraction, Bessif, des bidonvilles oubliés
Certains nous ont dit cela : «Ils n'ont rien fait pour nous, nous avons toujours sollicité les autorités de ne pas traiter avec des arrivistes qui ne font plus partie de notre quartier après avoir bénéficié de logements ailleurs.» Dans un site complètement oublié, une centaine de familles continuent d'habiter, depuis les années 1950, des taudis rongés par la misère et la rouille, qui sont engouffrés entre la cité du Chalet des pins et celle des Peupliers et cachés par les constructions illicites et anarchiques de la cité Bentellis. Alors qu'un semblant d'habitations perchées sur la colline sont à peine accessibles par des sentiers sinueux, celles d'en bas semblent mieux nanties même si l'état de la route abordant la mosquée Ali Ibn Abi Taleb est dans un état indescriptible. Les habitants ayant accès à la route ont profité pour ouvrir des ateliers de fortune. Des gens s'improvisent tôliers, mécaniciens ou revendeurs de pièces récupérées. Selon certains habitants, plusieurs commissions de l'APC de Constantine sont passées par les lieux à plusieurs reprises pour recenser à chaque fois les familles, mais le quartier n'est pas cité ni mentionné dans les programmes de relogement. Oubli, mise à l'écart ou simple sursis. Les habitants attendent toujours un geste des autorités. Un espoir qui demeure aussi nourri à quelques kilomètres seulement de cette même route de Batna, sur le chemin vers la cité Boumerzoug, dans un bidonville implanté dans le lit même de l'oued Boumerzoug. De par son nom évocateur et sa situation inédite, la cité Bessif mérite d'être classée parmi les bidonvilles dont l'existence même bouscule les imaginations surréalistes les plus audacieuses. Le site se trouvant à cinq kilomètres de la ville, juste en face de la zone industrielle de Chaâb Ersas est méconnu de la plupart de la population. Pourtant, il faut marquer une halte sur le pont enjambant l'oued Boumerzoug pour découvrir un décor aussi atypique que choquant. Une cité qui vit au ralenti depuis 1989 où 580 familles sont toujours sur la liste d'attente. Il s'agit de pâtés de maisons construites en parpaing, clôturées avec des tôles rongées par la rouille, coiffées de toitures de fortune, lesquelles toitures sont fixées avec des pneus et des pierres et truffées de paraboles. Des maisons qui ont été implantées dans le lit de l'oued, par la force, d'où le nom Bessif. Une cité appendice rebelle qui n'a cessé de s'accroître pour occuper toute la rive est de l'oued. Des conditions de vie intenables comme on en voit ailleurs, les favelas de Rio de Janeiro par exemple. Chaleur suffocante en été, froid glacial, boue et route impraticable en hiver. Les crues de l'oued sont la hantise de ceux qui s'accrochent déjà difficilement à la vie. Le lieu est le site de toutes les maladies. Les gens n'ont pas les moyens, ils sont pauvres. Les conduites d'AEP, l'électricité et les égouts sont précaires. Entre quatre murs, des familles s'entassent les unes sur les autres. Rien n'a changé depuis dix-sept ans. La dégradation de l'environnement fait que cette cité est devenue invivable à cause de la pollution émanant des déchets brûlés d'une énorme décharge sauvage improvisée par les riverains. La gale et l'asthme sont monnaie courante. Ce sont les enfants qui en font les frais, minés qu'ils sont par la perpétuelle corvée de l'eau. Les pompiers veillent régulièrement durant les journées de fortes pluies. Les résidants haïssent leur cité. Une cité qui a honte de sa laideur, de ses murs crasseux et de sa décharge qui grandit pour couvrir toute une colline. Le terme de bessif colle à la peau des habitants. Il semble fermer toutes les portes devant eux, même pour le retrait d'un certificat de résidence. Le bidonville continue de subir toutes les calamités. Les habitants se rappellent encore le jour où un P/APC de Constantine a rendu visite à la cité à la veille des dernières élections locales de 2002 pour distribuer des corbeilles de promesses. Après le scrutin, les attentes des citoyens étaient vaines. Depuis, toute la cité sombre dans l'oubli. Dans la banlieue est de la ville, des chaînes de bidonvilles se disputent la rive ouest de l'oued Kelab. Plus on se dirige vers le nord, plus la densité des gourbis prend de l'ampleur. On a choisi de partir dans les bas-fonds de la cité Daksi. Ici, le contraste entre la misère et l'opulence sur les deux côtés de la route saute aux yeux.
Daksi et Sarkina, paradoxes grandeur nature
Greffé aux derniers immeubles de la cité Daksi, à l'abri des regards, un bidonville semble naître du néant ; on ne peut le découvrir qu'à la faveur d'un détour par la route menant vers la cité Erriad. Erigé sur une rive de l'oued Kelab et s'étendant jusqu'à la cité des frères Abbès, plus connue par Oued El Had, le lieu n'a ni entrée ni sortie. Des baraquements en matériaux hétéroclites semblent narguer les luxueuses villas de la cité Bentchicou, situées de l'autre côté de la route. Une centaine de familles a choisi de se côtoyer pour partager tout. La promiscuité, les toilettes collectives, les conduites d'alimentation en eau potable, eau souvent rare et ramenée de quelque part, la saleté, les égouts qui éclatent, les mauvaises odeurs, enfin une vie de chien comme tiendra à le décrire un habitant vivant ici depuis une vingtaine d'années. Il est parmi les plus anciens qui ont choisi de camper avant que le site ne soit envahi par d'autres familles durant la décennie noire. Un refuge, à l'instar d'ailleurs de nombreux autres sites encore plus hostiles. «On n'a pas choisi d'habiter ici, on a fui une misère pour une autre», nous confiera un autre. A quelques pas, l'oued qui dégage une odeur repoussante est traversé quotidiennement par les citoyens, qui évitent ainsi un long détour par la cité Daksi. Les crues envahissent en hiver un terrain vague transformé en un défouloir par des gamins qui ignorent les risques. «C'est ici que nos enfants passent leurs vacances au même titre que les familles qui fuient les fournaises des taudis», nous dit-on. Un quotidien partagé dans un autre lieu situé à quelques encablures.
Cependant, celui qui visite la cité Sakiet Sidi Youcef, plus connue sous le nom de la Bum, n'imaginera guère qu'au fond de cette cité qui vient de se faire peau neuve, se trouve encore l'un des plus vieux bidonvilles de Constantine. Un paradoxe grandeur nature. A peine deux mètres, aménagés en passage pour piétons, séparent deux catégories de citoyens. Les gens qui y résident n'arrivent toujours pas à le concevoir. «On vit réellement en marge de la société», nous dira un jeune qui a grandi dans le quartier, lequel a vu aussi naître son père. Il faut le voir pour le croire. «En fait et pour camoufler le bidonville, on a construit une sorte de voile en barrière bétonnée. On ne comprend pas pourquoi on veut absolument nous ignorer», révèle un autre. Pour l'histoire, le bidonville s'étendait durant les années 1970 sur toute l'étendue qui a vu s'ériger plus tard par une entreprise allemande la fameuse cité la Bum. Des centaines de familles de ce que fut ce vaste bidonville furent relogées à la cité Daksi et d'autres à la cité Chabani. On ne pouvait pas construire un autre immeuble à l'endroit de la partie située à l'extrémité du bidonville, alors on a préféré confiner ses habitants dans une sorte de ghetto. Ce dernier s'étendra pour occuper tous les espaces libres et deviendra même une annexe de la cité. Le 16 avril dernier, le bidonville n'était qu'à quelques encablures de la halte érigée pour le président Bouteflika, venu pour dévoiler la stèle marquant le projet de réhabilitation de la cité Sakiet Sidi Youcef. Qui aurait osé lui montrer la réalité qui se cache derrière les bâtiments ? Après leur soulèvement du mois d'octobre 2003 où, par désespoir, ils ont bloqué le boulevard de l'Est pour attirer l'attention sur leurs conditions de vie, les habitants du bidonville de Sarkina affichent toujours une amertume difficile à contenir. Depuis 1982, la cité a été peuplée par des habitants venus de tous les horizons. Ceux qui continuent de végéter encore dans la précarité attendent toujours leur tour pour être relogés.
Djaballah, la catastrophe
L'avenue de l'ALN, plus connue par le boulevard de l'Est, cache bien des choses. Derrière des immeubles repeints et une cité qui bénéficie d'un projet de réhabilitation, une vaste étendue abrite sur des hectares des gourbis d'une autre ère. Les premières apparences cachées par les espaces fleuris de la mosquée Omar Ibn Abdelaziz sont trompeuses. A quelques encablures de la route, on aborde les premiers logis des damnés de la terre. Il est presque rare de trouver des arbres au bidonville Djaballah. Adossés au mur, des jeunes profitant de la fraîcheur de son ombre en cette chaude journée du mois de mai nous accueillent. S'improvisant en guides, ils nous conduisent à l'intérieur du quartier où les taudis se succèdent comme les wagons d'un train. Les numéros tracés à la peinture rouge devant les portes rappellent le dernier passage d'une commission de l'APC. «On ne cessera jamais de nous recenser», lance un jeune. Un autre nous invite à voir ceux qu'ils qualifient des misérables d'une autre époque. Les odeurs des écuries sont repoussantes. En haut de la colline se dresse une montagne de fumier. «C'est une partie de l'histoire des lieux. Ces ordures s'entassent depuis les années 1950. Les gens qui côtoient les animaux de la ferme ont presque oublié leur nature humaine», réplique un autre. En bas, juste à proximité de l'oued, 90 familles vivent encore à l'âge de la pierre. Entourés par une clôture en tôle rouillée, comme pour se démarquer, ces gourbis semblent illustrer parfaitement l'image d'un temps qui s'est arrêté depuis des siècles. Les maisons étant près de l'oued, les habitants paniquent aux moindres averses. Les inondations du mois de février dernier ont surpris des familles entières pendant leur sommeil. Sortis au boulevard pour exprimer leur colère, les habitants seront pris pour des émeutiers. «On connaît bien le sort des émeutiers», lance un habitant de la partie supérieure du bidonville surnommée Belle vue par dérision, car faisant allusion au fameux regroupement de villas situé dans un des lieux huppés de la ville. Le quotidien des habitants du bidonville Djaballah semble être à quelques détails près le même que celui des autres bidonvilles sauf qu'ici certaines situations sont devenues des souffrances de trop. Absence des conduites d'AEP et d'évacuation des eaux usées, multiplication des décharges sauvages et prolifération des maladies chroniques dans un site infesté par les rats et les reptiles. Ce site même est un remblai de la cité des frères Abbès, plus connue par Oued El Had. «Le collecteur principal des égouts de la cité de Sidi Mabrouk se déverse chez nous», affirment les habitants qui préviennent d'une catastrophe de la dimension de celle de Bab El Oued en cas de fortes chutes de pluies. «Ni le délégué du secteur urbain de Ziadia, ni le P/APC, ni les services de la wilaya n'ont été sensibles à nos doléances», diront certains. Dissimulés derrière les bâtiments des cités Ziadia et Sakiet Sidi Youcef (ex-Bum), les bidonvilles Fellahi 1 et 2, Cheikh Ahmed El Hocine et Djaballah semblent figés en marge de l'histoire, pourtant ils marquent une existence de plus d'une cinquantaine d'années. Les plus âgés des habitants conservent toujours des cartes d'identité de l'époque coloniale avec pour adresse route de Sarkina, exactement depuis qu'un certain Djaballah y a construit le premier gourbi, précisément en 1957, selon certains témoignages. Des générations d'hommes et de femmes y ont vu le jour, mais les lieux continuent de vivre dans l'oubli. Non touchés jusqu'ici par les programmes d'éradication des bidonvilles ou de résorption de l'habitat précaire, les habitants des 1100 gourbis crient haut et fort leur désespoir. Ces gourbis répartis sur les cités Djaballah avec 450 unités, Fellahi 1 et 2 et cheikh Ahmed El Hocine avec respectivement 175, 368 et 107, ont fait l'objet de toutes les sorties de recensement opérées en 1994, 1998 et 2002. «Toutes les autorités de la ville auront été avisées de notre situation», affirment les représentants des comités de quartiers. Les habitants révèlent que Mohamed-Nadir Hamimid, lorsqu'il était wali de Constantine, leur aurait promis d'éradiquer ces bidonvilles à l'occasion d'une visite dans ces derniers. Des promesses restées sans lendemain. Des habitants avouent avoir reçu la visite de candidats aux élections locales d'octobre 2002. Ces derniers auraient promis monts et merveilles à des citoyens las d'attendre le messie libérateur. Depuis, la situation n'a pas cessé de se dégrader. Non inscrits sur la liste des bénéficiaires des 1732 logements destinés aux résidants des bidonvilles jusqu'à la fin de l'année 2002 et après de multiples requêtes, les habitants ont choisi de saisir l'opportunité de la visite présidentielle de juillet 2003. Le rassemblement pacifique organisé sur la route menant vers Djebel Ouahch où le président devait inaugurer Dar Errahma, pour lui remettre une lettre, a fait craindre le pire à des autorités désemparées, qui finiront par détourner le parcours présidentiel en dernière minute. Au bidonville Djaballah qui a connu sa plus grande extension en 1973 et qui en compte aujourd'hui pas moins de 637 gourbis, les habitants s'inquiètent de leur situation d'autant plus qu'ils affirment avoir été programmés depuis l'année 2004 avec des promesses émanant, selon leurs dires, de l'ex-wali et l'ex-chef de daïra. Les opérations de relogement décidées récemment par les autorités de wilaya au profit d'autres bidonvilles et zones menacées par le glissement de terrain semblent reporter même le droit de rêver à des citoyens condamnés à attendre encore. «Nous avons saisi à maintes reprises le wali et le nouveau chef de la daïra de Constantine pour connaître notre sort, en vain», disent-ils. Selon les habitants, une commission de la direction de la santé aurait visité le site, qu'elle aurait déclaré invivable, et aurait conseillé de l'évacuer en urgence. Le lieu demeure lui-même un véritable problème pour la cité de Sakiet Sidi Youcef, qui a bénéficié d'un projet de réaménagement estimé à plusieurs milliards de centimes. Un projet qui semble ignorer étrangement un décor de misère derrière une toile fraîchement peinte.


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