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La démocratie de la peur : la doctrine théologique de I'américanisme (1re partie)
Publié dans El Watan le 23 - 07 - 2006

C'est une puissance qui cultive la tension partout dans le monde, car la stabilité et la paix ne stimulent pas la folie de la machine de guerre américaine. Serait-on en face d'un «fondamentalisme démocratique?».
En effet, cette même démocratie est la cause directe de profonds déchirements politiques et conflits dans le monde. Sa responsabilité morale et juridique est engagée dans le massacre de milliers de civils dans le monde à commencer par la communauté indienne en passant par Grenade, Les Philippines, le Chili, Guatemala, le Mexique, et enfin l'Irak qui depuis plus d'une décennie subit les pires atrocités de cette machine inhumaine. C'est en s'appuyant sur des concepts de souveraineté, de liberté et de démocratie et surtout en utilisant les produits du développement technologique très avancés et une hyperpuissance militaire et industrielle que les Etats-Unis se sont engagés dans une perspective guerrière sans fin ni limites, à travers laquelle ils défient le monde et semblent déterminés à asseoir tous les projets expansionnistes et convaincre le monde de la portée de cette puissance barbare. La création de cet empire est consolidée par des institutions internationales créées sur leur propre initiative pour servir leurs propres dessins stratégiques. Cet empire s'appuie aussi sur un modèle de communication à sens unique. Essayer de comprendre la politique actuelle de la Maison-Blanche dans le monde, c'est revenir sur la théologie politique des Etats-Unis d'Amérique qui puise ses origines dans le discours religieux le plus fanatique digne des premiers régimes ecclésiastiques de l'Europe, où l'Eglise dominait la conscience collective de la société. La chose la plus importante à retenir dans le chaos causé par l'Administration américaine dans le monde est sans aucun doute le retour à la stratégie américaine de l'expansionnisme et à ses différents corollaires de guerre, de massacres contre les civils et surtout la construction d'un empire totalitaire et dictatorial qui aspire à dominer la terre tout entière, ses mers et son espace.
Pour beaucoup de spécialistes, les événements de septembre 2001 sont considérés comme l'unique motif du tournant de la politique extérieure américaine, de la refonte de la notion de guerre pour la sauvegarde de la sécurité intérieure et extérieure de l'Etat fédéral américain et surtout de la notion de souveraineté pour se défendre contre l'ennemi qu'il soit réel ou imaginaire. Si nous réfutons ce point de vue, ce n'est pas par sentiment d'anti-américanisme mais c'est beaucoup plus à la lumière des événements historiques qui ont caractérisé la marche de cet Etat et sa naissance. On est tenté d'affirmer que les événements de septembre 2001 ont été une opportunité pour le marketing politique du redéploiement de la doctrine de la Destinée Manifeste prônée par les premiers colons des terres indigènes. Mais cette fois-ci reformulée sous une autre approche — certes différente de l'approche originale — entraînant les pires conséquences Pour l'humanité tout entière. Cette approche guerrière brutale et barbare a entraîné le monde dans une tension semblable celle qui a précédé le déclenchement des guerres mondiales. D'ailleurs, la guerre actuelle contre le «terrorisme mondial en est une selon les propos des théoriciens de la Maison-Blanche (1). Cependant, l'argument des attaques des deux tours jumelles utilisé pour combattre le terrorisme, justifier par conséquent le bombardement des civils en Afghanistan et en Irak, détruire la Syrie et anéantir le programme nucléaire iranien est dénué de tout fondement, si l'analyse objective de cette politique scrute les assises idéologiques et surtout celle relative à la théologie de la formation de cet Etat impérial depuis son essence à travers les pratiques et les intentions expansionnistes, les interventions et les ingérences dans les affaires des autres Etats.
Les fondements de la démocratie américaine
La philosophie politique américaine est imbue de la culture religieuse lointaine qui a été à l'origine de l'immigration d'un groupe d'individus de la vieille Europe vers la nouvelle terre. Ces hommes et femmes n'étaient pas des personnes ordinaires. C'étaient des pères pèlerins «pilgrim fathers» de confession protestante animés par une seule obsession : chercher une terre vierge. Pour créer le nouveau Jérusalem qui peut leur garantir la pratique religieuse libre sans persécution ni poursuite. Ainsi, commence l'histoire de la fondation des Etats-Unis d'Amérique, puisque ces immigrants à bord d'un voilier nommé le Mayflower ont établi les premières fondations théologiques de ce qui deviendra par la suite l'empire américain. On retiendra tout particulièrement pour le besoin de cette étude les points suivants :
La destinée manifeste
Ce qui nous semble très important à retenir concerne le fait que les Etats-Unis ont été au départ un groupe de personnes qui se sont installées de gré ou de force sur des terres qui ne leur appartiennent pas du tout depuis 1620 et qui ont accaparé les terres indigènes dans un cadre organisé de conquête de l'Ouest en cantonnant les populations locales dans des réserves ou en les exterminant construisant des forts de défense sur les territoires conquis par le feu et le sang. Doté de convictions religieuses, ce premier groupe de colons anglais a confectionné le dogme religieux autour duquel tous les présidents américains feront fonctionner l'appareil politico-idéologique des Etats-Unis d'Amérique et qui est connu sous «la destinée manifeste guidée par un courant religieux fondé sur la suprématie de la race blanche et son hégémonie civilisationnelle (2). Ce dogme s'est érige au fil des ans comme une feuille de route pour la fondation d'un Etat qui doit sa survie à la provocation des autres et son territoire à la colonisation des autres pays et à la conquête des espaces d'autrui. L'immensité de la superficie actuelle des Etats-Unis est principalement due à l'organisation de conquêtes vers le Sud et l'Ouest. A part ce qui a été acheté des puissances coloniales de l'époque, la quasi-totalité de cette superficie fut confisquée aux voisins. En examinant le discours politique des administrations américaines et en documentant le processus de la formation des Etats-Unis depuis les premières vagues des immigrants vers la nouvelle terre, force est de constater que la puissance de l'Etat fédéral a toujours été puisée dans un discours religieux fanatique et surtout arrogant.
D'ailleurs, toutes les références consultées à ce sujet insistent sur le caractère et les aspects religieux de la fondation de ce pays formé par la conquête et l'expropriation des terres indigènes. Les références historiques font un constat clair sur la conquête des propriétés indigènes par la race blanche pour l'expansion des territoires résultant d'un massacre des populations locales. Cette mission conquérante est attribuée à la notion même de l'exode des premiers immigrants qui débarquèrent sur la nouvelle terre et qui est synonyme d'exode biblique. La «mission manifeste» ou la prédestination guidée par les injonctions divines à l'endroit des présidents américains dans toute entreprise politique extérieure est synonyme de combat contre le «mal» qui se trouve toujours à l'étranger. C'est d'ailleurs l'une des explications plausibles qui nous permet de situer le discours du président George Bush sur la croisade enclenchée au Moyen-Orient sous le couvert de la lutte contre le terrorisme. Dans un texte électronique intitulé (3) : Qu'est-ce que l'anti-américanisme ? Roger Garaudy avertit le lecteur sur les véritables visées impériales des Etats-Unis et la source du pouvoir et de la puissance américaine ainsi que la nécessité de reconnaître le fait que ce pays a été construit par le sang et le feu et que la «terre promise» devint dès lors une terre conquise. Cette pratique de spoliation et de massacres n'était pas en contradiction avec la conception religieuse, car l'enrichissement comme la victoire étaient pour eux le signe de la bénédiction divine. En paraphrasant le père fondateur de l'Etat fédéral en l'occurrence George Washington, Garaudy insiste sur les caractéristiques doctrinales du pouvoir aux Etats-Unis d'Amérique : «Aucun peuple, plus que celui des Etats-Unis, n'est tenu de remercier et d'adorer la main invisible qui conduit les affaires des hommes. Chaque pas qui les a fait avancer dans la voie de l'indépendance nationale semble porter la marque de l'intervention providentielle.» Dans le même ordre d'idées, en 1845 un dirigeant démocrate raisonnait en ces termes sur l'expansion de son pays : «Ce droit découle de notre destinée manifeste qui est de nous étendre et de posséder tout le continent lequel nous a été donné par la providence, afin de développer la grande expérience de liberté et de développement fédératif et d'auto-gouvernance qui est notre lot. Cela est juste comme l'aire occupée par un arbre et la terre propice à la pleine expansion, selon un principe de croissance nécessaire.» Considéré comme le rédacteur de la doctrine de la Manifest Destiny, le journaliste John O'Sullivan présente le 31 mai 1845 à New York, devant un parterre d'industriels et le président US, James Polk, sa thèse de la Manifest Destiny : «La nation américaine a reçu de la providence divine la destinée manifeste de s'emparer de tout le continent américain afin d'y nourrir et de développer la liberté et la démocratie. Elle doit ensuite porter la lumière du progrès au reste du monde et en assurer le leadership, étant donné qu'elle est l'unique nation libre sur terre (4).»
Néanmoins, cette doctrine fut utilisée par les premiers Américains comme idéologie intangible pour amorcer le grand expansionnisme, notamment par la formulation de la doctrine Monroe exprimée de façon officielle le 2 décembre l823 (5). Dans le même sens, on peut s'attarder sur d'autres déclarations des présidents américains pour démontrer la véracité des fondements théologiques du pouvoir aux Etats-Unis d'Amérique. Sur ce point une très brève chronologie des faits démontre l'exceptionnisme des discours américains en se référant à cette doctrine sans oublier de souligner que cet éventail n'est pas exhaustif :
– Déclaration du président George Washington en 1796 : «Notre grande ligne de conduite (…), autant que nous avons formé des engagements, remplissons-les avec une parfaite foi.»
– Le troisième président des Etats-Unis, Jefferson 1801-1809, proclamera que son peuple est «le peuple élu de Dieu». Les autres présidents ne dérogeront pas à cette règle doctrinale de l'extrémisme, où le religieux est imprimé sur le billet vert jusqu'à nos jours en implorant la protection de Dieu puisque l'américanisme signifie aussi une lecture biblique : In God We Trust (on croit en Dieu). «Novus Ordo Seculorum» imprimé sur une des faces du billet vert veut tout simplement dire : Le Nouvel Ordre des âges reformule le nouvel ordre mondial.
– Le Congressional Globe du 11 février 1847 : «Nous devons marcher d'un océan à l'autre (…) Nous devons progresser du Texas directement vers le Pacifique et ne nous arrêter que face à ses flots grondants (..) C'est la destinée de la race blanche, la destinée de la race anglosaxonne.»
– 1899-1900 Le secrétaire d'Etat Hay énonce sa doctrine de la «porte ouverte» : marches libres et ouverts au lieu sphères d'influence protégées.
– 1905 Corollaire de Theodore Roosevelt à la doctrine Monroe : les Etats-Unis s'attribuent le droit d'intervenir en Amérique centrale pour garantir la paix, l'ordre et les droits des investisseurs étrangers.
– 1912, envahissant le Mexique, le président Taft déclarait : «Je dois protéger notre peuple et ses propriétés au Mexique jusqu'à ce que le gouvernement mexicain comprenne qu'il y a un Dieu en Israël et que c'est un devoir de lui obéir.»
– 1912 Theodore Roosevelt lança une de ses campagnes de réélection à la présidence avec le slogan «Nous sommes à Armaggedon et nous combattons pour le seigneur», formule qui eut beaucoup de succès même si elle ne lui permit pas de reprendre la présidence. Wilson, le vainqueur invoquerait un peu plus tard l'impérieuse nécessité de lutter contre les forces du mal pour préserver celles du bien, celles de la démocratie.
– 1947 Discours du président Truman devant le Congrès énonçant sa doctrine : les Etats-Unis «doivent soutenir les peuples libres qui entendent résister aux tentatives d'assujettissement de la part de minorités armées ou de pressions extérieures,
– 1965 le président Johnson déclare, lors des débuts de l'engagement des Etats-Unis au Vietnam, «l'histoire et nos propres œuvres nous ont donné la responsabilité principale de protéger la liberté sur la terre».
– 1982 le président Ronald Reagan affirme : «Cette terre bénie a été placée à part, d'une façon particulière, qu'il y a un plan divin qui place ce grand continent entre deux océans pour être découvert par des peuples venus des quatre coins du monde avec une passion particulière pour la foi et la liberté.»
– 1983, Ronald Reagan prononcera un discours dans lequel il qualifie l'ex-URSS d'«empire du mal» par opposition au bien. Connotation religieuse biblique selon les experts de l'analyse du contenu politique.
– 1994 et 1996 le document Stratégie de sécurité nationale présenté par le conseil de sécurité nationale de l'Administration Clinton indique que la «stratégie de sécurité nationale est fondée sur l'objectif d'élargir la communauté des démocraties de marche tout en dissuadant et en limitant la gamme des menaces qui pèsent sur notre nation, nos alliés et nos intérêts. Plus la démocratie et la libéralisation politique et économique s'imposeront dans le monde, notamment dans les pays d'importance stratégique pour nous, plus notre nation sera en sécurité et plus notre peuple sera susceptible de prospérer»
– 2002 Bush affirme avoir été instruit par Dieu pour combattre les terroristes en Afghanistan et en Irak. La première guerre du XIXe siècle a été déclarée comme croisade par Bush. (A suivre)
– Notes de renvoi :
– (1) James Woosley, directeur de la CIA sous le règne du président Clinton, admet sur les ondes de la célèbre CNN que les Etats-Unis d'Amérique sont engagés dans la quatrième guerre mondiale et qu'elle va certainement durer dans le temps et aura toute la planète comme espace. Woosley considère la guerre froide comme la troisième. Il définit les cibles successives à abattre : l'Irak, l'Iran et l'Arabie Saoudite.
– (2) Notons tout de suite que l'action de civiliser les indigènes est consacrée comme doctrine par toutes les puissances coloniales pour la conquête des terres des populations autochtones. C'est d'ailleurs le même prétexte qui allait être utilisé pour cantonner les indigènes partout dans le monde. La France a utilisé «sa» mission civilisatrice en Algérie car elle considérait les Algériens comme sous-développés par une politique de la terre brûlée pour déraciner les Algériens et installer les colons européens dans les terres arables.
Résultat de la civilisation française : des milliers de morts, de veufs et d'orphelins avec une région Sud radioactive, conséquence de ses essais nucléaires. C'est ce qu'on appelle civiliser au sens occidental.
– (3) Garaudy (Roger) : Qu'est-ce que l'anti-américanisme ? Ce texte est disponible sur le site http:/www.philosophie.org/garaudyl.html.
Consulté le 23 mars 2006.
– (4) Cf http://www.voltairenet.org/article14019.html. Consulté le 23 mars 2006.
Le texte intégral de cette déclaration religieuse est disponible sur le site http ://www.mtholyoke.edu/acad/intrel/osulliva.htm qui détaille notamment son origine, ses fondements et ses objectifs et qui fut par la suite utilisé par les différents présidents américains dans leurs entreprises colonialistes à travers le monde, notamment le président James Polk qui donna l'ordre aux écrits en 1845 : «C'est la destinée manifeste du peuple américain de se répandre sur le continent»… pour envahir le Mexique (peuple d'obscurantistes papistes).
– (5) Le président James Monroe (1817-1825) a explicitement parlé de l'exceptionnisme et de l'expansionnisme américain lors de la 7e session du congrès américain. http://odur.let.rug.nl/~usa/D/1825/jmdoc.htm. site consulté le 28 mars 2006.
L'auteur est chercheur


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