La désagrégation des sociétés traditionnelles entamée depuis la conquête coloniale s'est poursuivie à l'indépendance par l'inconséquence d'une centralisation et de son corollaire, une concentration tous azimuts, traduite notamment par l'émancipation du statut d'urbain qui a aggravé l'exode rural et l'a maintenu. La ville est présentée comme un moyen d'intégration économique et culturelle de la masse paysanne au processus de modernisation de la société algérienne. La charte d'Alger (1964) précise à cet effet : «La révolution a non seulement pour tâche de liquider toutes les survivances (structures tribales, patriarcales, semi-féodales) mais d'en prévenir le retour. Fondamentalement, il s'agit de faire de l'Algérien le citoyen conscient d'une nation moderne (1).» De telles orientations ont imprimé une politique de l'habitat immuable qui a eu pour conséquence le délaissement du monde rural au profit de l'espace urbain où l'on a construit des ensembles standardisés qui se caractérisent par l'uniformité, la laideur, la promiscuité, la saleté qui sont autant de facteurs propices à l'incrustation du mal-vivre et de l'exposition de la violence au quotidien. Très convoité car stratégique, le secteur de la construction en Algérie est livré à un opportunisme débridé qui a laissé la porte béante à la médiocrité dont on ne cesse de payer les inconséquences. Le cas le plus flagrant étant le désastre qui a suivi le séisme de mai 2003. La politique menée durant ces décennies a dilapidé le potentiel intellectuel du domaine et annihilé bien de velléités de capitaines d'industrie qui ne demandaient qu'à investir dans le BTP qui est la locomotive par excellence du développement économique d'un pays. Evolution du cadre bâti et constat A l'indépendance, l'Algérie a hérité d'un parc de logements relativement neuf issu des plans d'urgence (notamment le plan dit de Constantine) concentré dans les centres urbains. L'occupation spatiale, les méthodes de construction, les matériaux utilisés et les cellules de logement ont été reproduits naturellement lors du lancement des premiers chantiers après l'indépendance. Au cours des années 1970, la qualité des constructions a évolué positivement. A l'époque, le pays disposait encore des compétences héritées de l'ère coloniale. Les personnels d'encadrement et de maîtrise ont mené leur mission dans la gestion des projets (maîtrise d'ouvrage, maîtrise d'œuvre, réalisation et contrôle d'exécution). Durant la décennie 1980, la politique de l'Etat s'est focalisée sur le prestige en direction de l'extérieur et l'encouragement de la consommation (alimentaire) des ménages. Dans cette ambiance, la rigueur dans la réalisation du cadre bâti est négligée. La qualité des ouvrages, les délais et le suivi de réalisation ne sont plus des vertus et c'est ainsi que la déconfiture du secteur est entamée. Cette légèreté dans la prise en charge du secteur a commencé à générer des gaspillages qui, un peu plus tard, se révéleront comme de véritables gouffres financiers. La facilité et la désinvolture étaient devenues la norme chez les professionnels de l'époque et tout naturellement, les surcoûts ont commencé à grever les projets. Le sursaut de conscience, qui a frémi à la fin des années 1990, n'a eu aucun effet sur l'apathie qui s'était emparée du secteur. Le règne de l'anarchie, de la débrouille, de l'arnaque et des passe-droits s'installe durablement. La spéculation effrénée et sans mesure dans le secteur a fini par décomposer le marché de l'immobilier qui reste fermé à la très grosse majorité des citoyens. En sillonnant le territoire national, du nord au sud et de l'est à l'ouest, on n'a nullement l'impression d'avoir voyagé, tant le paysage urbain présente une uniformité désespérante. Aux périphéries des centres urbains, deux modèles se côtoient et s'opposent : – Le premier modèle est incarné par une opération immobilière publique de consistance R + 4 ou R + 5 avec invariablement des RDC en commerces et cela au Nord comme au Sud, en plaine comme en montagne. – Le deuxième modèle qui peut être assimilé à une villa ou lotissement se caractérise par le fait que les bâtisses sont très rarement achevées à 100%. A travers le territoire national, on constate et on retrouve les traces d'une diversité des modèles architecturaux dont les points de rupture se situent du littoral aux oasis sahariennes en passant par les zones montagneuses du Nord et les Hauts-Plateaux. Cela dit, tous ces modèles architecturaux présentent un dénominateur commun : ils sont l'expression d'une architecture locale réalisée en matériaux locaux qui reflète un certain contenu culturel et un mode de vie endémique. Actuellement, le cadre bâti et son environnement immédiat sont envahis par des structures en béton sans âme ni cachet culturel local. Des quartiers entiers sont érigés ainsi en dehors de toutes normes urbanistiques. D'affreuses battisses s'élèvent le plus haut possible sans grâce, sans charme, s'épiant mutuellement, se collant sans pudeur, dans un pays où pourtant l'intimité familiale est sacralisée. La concentration des populations dans les zones d'habitat, insalubres à la périphérie des villes, voire dans certaines zones rurales, donne naissance à des cloaques de misère et de pauvreté où le minimum vital (AEP, assainissement, voiries, etc.) est inexistant. Ce dénuement, synonyme d'exclusion, favorise la marginalisation et la désintégration sociales qui aboutissent inévitablement à une insécurité récurrente très difficile à supporter. Sans parler des maladies et autres maux sociaux. Causes et propositions Dans notre pays, le développement de l'habitat et le cadre bâti ne touchaient que les grands centres urbains, alors que les zones rurales qui regroupent la majorité de la population restent en marge du développement. Le chômage endémique, la sécheresse d'activités culturelles contribuent à accentuer la morosité ambiante et donnent un coup de fouet à l'exode massif des populations jeunes, c'est-à-dire le segment susceptible de créer et de maintenir un cadre de vie dans ces zones déshéritées. Et ces flux accentuent la concentration des populations dans les grandes villes qui, elles, se clochardisent et s'enlaidissent. Les tâtonnements des pouvoirs publics dans ses tentatives de résorption de la crise du logement et l'amélioration du cadre bâti sans tenir compte des points de vue des acteurs incontournables du secteur (architectes, ingénieurs, contrôleurs, entrepreneurs et promoteurs) sont en passe de plomber définitivement le secteur stratégique de la construction dans notre pays. Ce verrouillage a beaucoup de conséquences sur notamment : a) La qualité des ouvrages réalisés La physionomie urbaine et suburbaine est ternie par la prééminence d'immeubles répétitifs sans originalité ni attrait. Leur conception péche par une réflexion insuffisante de la part des concepteurs associés aux entreprises dont la qualification se résume à un papier délivré par l'administration et dont le credo est et reste le gain facile. Une bonne conception de projet requiert le génie créateur du concepteur et la qualité de réalisation des entreprises dont la qualification ne devrait pas être uniquement administrative mais réelle, basée sur des compétences techniques avérées. L'organisme de contrôle technique, qui est théoriquement le seul habilité à qualifier une entreprise, n'est pas associé à la commission de qualification et de classification des entreprises de réalisation. Le critère du choix des entreprises lors de l'ouverture des plis de soumissions par la commission des marchés publics, sur la base d'un cahier des charges préétabli et souvent taillé sur mesure favorise souvent les mêmes entreprises et ne laisse aucune chance à l'émergence de nouvelles compétences. La maîtrise d'œuvre et le suivi d'exécution sont des facteurs dominants de la qualité des ouvrages réalisés. On constate cependant que l'intervenant essentiel dans l'acte de bâtir qu'est l'ingénieur est souvent marginalisé et réduit à un simple calculateur à qui on impute les erreurs d'exécution (le constat est amer après le séisme de mai 2003 qui a frappé la région de Boumerdès). La meilleure qualité des produits est basée sur la concurrence. Ce constat est corroboré par l'arrivée des entreprises étrangères. Néanmoins, le champ d'intervention de ces dernières est circonscrit aux grandes métropoles. De ce fait, il nous paraît urgent d'encourager les initiatives privées en leur facilitant l'accès au foncier par la vulgarisation de la formule de promotion immobilière libre afin de satisfaire la demande en multipliant l'offre et en diversifiant la gamme des produits et les prix, garants d'un plus large éventail de choix et de possibilités financières des acquéreurs. b) Le surcoût du logement Les tâtonnements contribuent à la complication des choses et masquent les solutions évidentes de simplicité et d'efficacité. L'Algérie n'est pas un pays pionnier dans la recherche des solutions de réalisation de logements à moindre coût. D'autres pays nous ont précédés et des solutions ont été trouvées depuis l'émergence de l'industrialisation du logement dans les années 1950 par les pays de l'Est, afin de parer à la crise de logement en se basant sur des structures traditionnelles en béton armé, jusqu'à la préfabrication du logement actuel en passant par la réalisation des gratte-ciel à l'aide de structures métalliques. Dans notre pays, cette dernière solution reviendrait chère à cause de l'importation nette du profilé métallique de cette structure. Devant l'impasse, on est resté figé dans la conception à structures traditionnelles en béton armé dont le prix de revient est très élevé et tend à devenir prohibitif aussi bien pour le promoteur public ou privé que pour l'acquéreur. Ce genre de structures conçues pour des constructions en élévation en milieu urbain afin de rentabiliser au mieux les coûts des terrains d'emprise au sol est généralisé en milieu suburbain et même rural ; ce qui a conduit à l'uniformisation spatiale au prix du mètre carré habitable. L'absence de proposition de la part des concepteurs ajoutée à l'inertie de l'administration dans le but de rechercher les procédés de construction susceptibles de réduire les coûts de réalisation en vulgarisant par exemple les techniques d'intégration des matériaux locaux (pierre, béton de terre stabilisé, etc) ne fait qu'augmenter le prix de revient des produits et accentuer la crise. La spéculation de la part de certains promoteurs (privé ou public) dans la détermination du prix du logement est flagrante du fait de la généralisation du rez-de-chaussée en commerces qui, tout en étant partie prenante du prix de revient du projet, ne sont pas répercutés en déductions sur le prix de vente des logements. Cette tendance tend également à se généraliser. c- Le caractère d'inachevé L'inachevé n'est pas un goût naturel de l'Algérie mais le constat est patent. L'inachevé du bâti en milieu péri-urbain et rural est une constante qui défigure l'espace partout en Algérie. Ce phénomène est dû au coût exagéré de la structure en béton armé qui compose la construction et qui consomme environ 70% du coût global de la bâtisse et ne laisse que 30% à l'achèvement et aux finitions ; ce qui est hors de portée pour l'auto-constructeur de base qui finit par abandonner les travaux. En milieu rural et semi-urbain, pour des constructions individuelles et semi-collectives (RDC, R+1, R+2, R+3), un procédé de construction basé sur le principe de la maçonnerie porteuse chaînée (5MPC) qui a fait ses preuves par le passé (maisons coloniales, habitations traditionnelles) pourrait être généralisé d'autant qu'il est encouragé par le règlement parasismique algérien. Ce procédé présente les avantages suivants : . Economie sur les moyens et les matériaux ; . résistance aux séismes de par la légèreté de la structure qui le porte ; . délai de réalisation réduit ; . parfaite isolation thermique. L'Algérie est un pays très vaste et culturellement très riche. Les siècles d'histoire ont façonné les usages et les modes de vie de chaque région. Cette diversité culturelle est traduite concrètement et en particulier par l'architecture qui varie sensiblement d'une région à une autre. Il est impératif de s'enrichir de ces modèles qui ont traversé les âges. Aujourd'hui, les velléités peuvent s'exprimer. Il incombe alors aux véritables professionnels jaloux de leur métier de se donner en urgence pour mission de hisser le niveau, rectifier les erreurs du passé et relever les innombrables défis qui se posent au secteur de la construction. Un retard ne peut pas être rattrapé, mais en l'occurrence, il est toujours temps de stopper le massacre et il n'est pas trop tard pour redonner ses lettres de noblesse au bâtiment en agrégeant toutes les compétences du métier et les faire travailler en concours. Les afflux des uns et des autres dans un climat de sérénité où seules les compétences et les aptitudes de chacun auront cours sont le seul gage de réussite de cette entreprise de réhabilitation d'un domaine aussi stratégique que la construction dans notre pays. Le défaut de qualification des intervenants autorisés jusque-là est la cause du marasme où baigne le secteur. En l'absence de réglementation rigoureuse et de suivi, c'est la loi du plus fort qui a prévalu et donné le monopole à l'incompétence et à la médiocrité. Et tant que les autorités ne se forcent pas à doter le secteur de la construction d'un cadre réglementaire adéquat et conforme aux normes universellement admises, la corruption, l'incompétence et le gaspillage des deniers publics se perpétueront à l'envi. En l'espèce, la responsabilité des acteurs professionnels est engagée dans la mesure où ils font encore preuve de laxisme. La mise en œuvre d'une vraie politique de développement et l'assainissement du secteur sont une première mesure à exiger des pouvoirs publics. L'implication active de l'ensemble des professionnels à la définition et à l'élaboration des textes refondateurs du secteur est également une exigence pour laquelle il n'est pas permis de transiger. Les acteurs qui interviennent dans l'acte de bâtir sont multiples et divers. Mais c'est la synergie et la conjugaison des efforts de tous qui peuvent assurer le couronnement de cette entreprise ardue mais vitale. L'auteur et : Ingénieur-promoteur