Toutes les routes mènent à cette tribune où politique et sport fusionnent aléatoirement. Pour les plus instruits, l'absence de café littéraire et de restaurants thématiques ne les empêche pas de squatter les quais du nouveau port de plaisance pour parler culture. Qu'en est-il de la situation du livre dans cette ville à la veille du Salon international du livre d'Alger dans sa nouvelle édition ? Comment prépare-t-on la rentrée littéraire 2006 ? Etat des lieux. Les librairies, qui disposent d'un rayon livres avec tous les courants littéraires que l'humanité ait connus, se comptent sur les doigts de la main. Désastreuse cette situation dans une ville qui a vu naître des écrivains illustres tels que Mourad Bourboune. La rentrée, cette année, se déroule dans un décor de petites foires improvisées de vente des fournitures scolaires et des manuels de l'école publique que des jeunes garçons étalent à même le sol dans les artères commerçantes du Camp Chevalier (nouvelle ville). Les initiatives individuelles des libraires locaux manquent terriblement sans qu'une association les réunissant ne voie le jour, afin de discuter des problèmes de diffusion et de disponibilité du livre et de mettre en œuvre un calendrier des manifestations annuelles. Tout au long de la saison estivale, le rez-de-chaussée de la Bibliothèque Centrale était perquisitionné par une maison d'édition privée spécialisée dans l'édition et l'importation du livre religieux, principalement du pays du Cèdre, y compris sous forme de produits multimédia (DVD, CD…). Une initiative encourageante certes, mais grande fut ma déception devant le fait accompli et le mutisme des professionnels de la culture à Jijel. Il s'agit d'une opération qui consiste à offrir un, et un seul choix de lecture en flagrante contradiction avec le principe universel de «lecture pour tous, livres au choix». Et on n'en sait pas trop sur le contenu de ces livres édités par des maisons ayant élu domicile dans la banlieue sud de Beyrouth. En parcourant l'une des principales artères du Vieux-Jijel, populairement connue sous le nom de rue de Picardie, une sorte de Quartier Latin en état de délabrement avancé, abandonné à son propre sort et qui fut jadis le fleuron architectural colonial. La défunte église y a été bâtie au milieu de l'artère qui donne sur la place du Glacier, laquelle avait prêté son nom à la salle de théâtre convertie en salle de projection située de l'autre côté de la rue et qui fut avec la salle des variétés, les seuls endroits de divertissement de la cité. La seule librairie qui subsiste, bon gré mal gré, cet abandon indifférent se trouve à quelques mètres de l'immeuble Perruchet. On y est bien servi et les rayons étant bien garnis de toutes les tendances livresques perpétuant ainsi la tradition et la vocation du vieux quartier des bohémiens et des peintres. Pêle-mêle étalé sans aucun agencement thématique en raison peut-être de l'exiguïté du lieu, le magot littéraire de cette rentrée est tout de même maigre, dominé par un énorme quota d'ouvrages reproduits illicitement et qui inonde le marché algérien depuis plus d'un an. Illégal mais un vrai régal pour les dénicheurs du verbe raffiné, cette reproduction émanant de maisons d'édition de l'ombre a cassé les prix d'une manière héroïque au grand dam des normes universelles de l'industrie de l'édition et des droits d'auteurs. Pis, la couverture garde en toute beauté le prix en euros et le code-barre, histoire de drainer intelligemment mais avec grande malice le produit, considéré par ses irréductibles marchands des lettres comme n'importe quels autres produits du marché. Surtout, ne vous réjouissez pas trop de vos bonnes affaires à moindre coût car vous risquez de tomber sur la mauvaise récolte de blé, certaines pièces des grands classiques sont malheureusement dépourvues de la qualité qui sied aux prestigieux noms de leurs géniteurs. A cet égard, on peut y apercevoir les romans des plus brillants lauréats des grands prix littéraires et même des Nobel comme le Colombien Gabriel Marquez. Ajoutons à cela les œuvres du Libanais Amin Maalouf, Prix Goncourt 1993 et du Brésilien Paulo Coehlo en nombre largement suffisant. Pensons-nous à une volonté saine de certains initiateurs de la nouvelle politique du livre parrainée par la tutelle en faisant semblant du ni vu ni lu ? Libre cours alors à toutes les idées de foi pas forcément dévoilée. Au temps présent, on ne laisse pas crever de soif l'esprit des chevronnés de la lecture dont les droits ne sont même garantis en cas de produit détérioré. Quelques rares perles venant tout droit de l'Hexagone trouvent place au milieu de cette cuvée littéraire. L'opus de Nina Bouraoui, l'enfant du pays, est placé en position d'ouvrage de la saison. Il s'agit de son dernier. Mes mauvaises pensées, prix Renaudot 2005. Le très controversé Dan Brown débarque avec uniquement son premier roman Anges et démons, mais aucune trace du Da Vinci Code.«Le livre a sûrement été vendu de bouche à oreille», me confie le propriétaire des lieux. Et d'ajouter : «Il est fortement demandé par les clients mais malheureusement l'offre est très restreinte.» Sur le front du livre thématique, l'historien et philosophe français Roger Garaudy revient avec son traité lynché médiatiquement par les critiques français Les mythes fondateurs de la politique israélienne aux éditions Houma. Longuement absent des foires internationales du livre, il est réapparu occasionnellement au moment de l'invasion israélienne du Liban et le bombardement de Cana. Ainsi, toute l'armada du livre psychologique des auteurs issus des écoles française et anglo-saxonne ne manque pas de s'afficher, et l'omniprésence du livre urbain qui se base sur le bien-être des gens modernes de statut social élevé : réussite professionnelle, intégration sociale, entente conjugale d'outre-mer. Bref, de Jijel, le Salon international du livre paraît bien loin. Une rentrée morose, orpheline et amputée des grosses pointures de la littérature. De la rentrée littéraire à Jijel, il ne reste qu'une plongée dans l'hibernation prolongée.