L'arrivée du prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane, aujourd'hui à Alger, intervient, il faut le dire, dans un contexte non favorable à cette visite en Algérie, comme dans beaucoup d'autres pays. Mohammed Ben Salmane (MBS), dont le nom est lié depuis le 2 octobre au massacre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, a indisposé jusqu'à son premier allié, les Etats-Unis et l'ensemble des pays occidentaux pourtant rompus à la realpolitik. On comprend l'effort diplomatique que doit déployer le royaume des Al Saoud pour rétablir une image sérieusement écornée par le massacre des Yéménites et effroyablement ternie par le crime commis dans l'ambassade d'Ankara. Mais la position officielle de l'Algérie ne convainc pas les Algériens. Cette position exprimée dans un communiqué publié dimanche dernier a provoqué davantage de questions qu'elle n'a apporté de réponses. En condamnant l'assassinat de Khashoggi tout en exprimant «sa confiance» en la justice saoudienne, le ministère des Affaires étrangères montre toute sa gêne vis-à-vis de l'implication possible de «son altesse royale» dans ce crime, et peine à convaincre du bien-fondé de cette visite et surtout de son timing. Ce qui pousse à croire que le pouvoir algérien a cédé aux desiderata du royaume et à l'agenda du prince. Et ce ne sont certainement pas des phrases de langue de bois comme «l'Algérie, qui est liée à l'Arabie Saoudite par des relations étroites de fraternité, de coopération et qui partage avec elle un destin commun», qui vont éclairer la lanterne des Algériens sur les intentions du pouvoir exécutif et l'intérêt de sa démarche, pour ne pas dire ses concessions. Dans un communiqué émanant de la présidence de la République, publié hier par l'agence officielle, de nouveaux arguments sont apportés pour donner du crédit à la position algérienne, notamment en faisant de cette visite un rendez-vous économique important. Cette visite s'inscrirait, ainsi, dans le cadre de «la consolidation des relations privilégiées entre les deux pays et peuples frères et permettra de donner un nouvel élan à la coopération bilatérale et de concrétiser des projets de partenariat et d'investissement, en ouvrant de nouvelles perspectives aux hommes d'affaires, en vue d'augmenter le volume des échanges commerciaux et d'élargir le partenariat économique entre les deux pays», lit-on dans la dépêche de l'APS. Mais encore ? Le communiqué de la Présidence nous apprend aussi que «la visite de son altesse royale, le prince héritier saoudien, sera l'opportunité d'examiner et d'échanger les points de vue sur les questions politiques et économiques arabes et internationales d'intérêt commun, et à leur tête la question palestinienne et les situations dans certains pays frères, outre les évolutions du marché pétrolier». On remarquera que le communiqué parle de la Palestine, sujet sensible pour les Algériens, et évite soigneusement d'évoquer le Yémen où l'armée saoudienne massacre et affame depuis des années maintenant les populations sans défense. Comme en Tunisie, beaucoup d'Algériens ont bougé pour dire non à cette visite, même si leurs initiatives se sont limitées à des communiqués de dénonciation, des articles de presse et une pétition. Alors que la pétition «Non à la venue de MBS Mohammed Ben Salmane en Algérie», citée dans l'éditorial du Washington Post, a franchi hier la barre de 2500 signatures, le Forum social algérien (FSA) et des partis politiques, comme le MSP, le PT et le PST, ont aussi annoncé leur opposition à cette visite, déclarant «persona non grata», le jeune prince. Ces positions et celles exprimées dans la langue du peuple par les internautes sont imbibées de la doctrine diplomatique algérienne de soutien aux peuples opprimés et d'opposition à toutes les injustices. Une doctrine aujourd'hui trahie par le pouvoir algérien.