L'Arabie Saoudite a admis samedi, 17 jours après la disparition de Jamal Khashoggi, que le journaliste saoudien avait été tué à l'intérieur du consulat du royaume à Istanbul, une affaire qui a suscité une onde de choc mondiale et terni l'image de Riyad. La confirmation de la mort de Khashoggi a été relayée peu avant l'aube par l'agence de presse officielle saoudienne SPA qui a fait état du limogeage de deux hauts responsables saoudiens et de l'arrestation de 18 suspects, tous saoudiens. Après l'annonce de Riyad, saluée comme un «pas très important» par le Président américain Donald Trump, grand allié de l'Arabie Saoudite, la Turquie a dit qu'elle allait «tout» révéler sur le sort du journaliste saoudien. «Les discussions entre Jamal Khashoggi et ceux qu'il a rencontrés au consulat du royaume à Istanbul (...) ont débouché sur une rixe, ce qui a conduit à sa mort», a déclaré SPA en citant le parquet. Le procureur général Saoud al-Mojeb a publié un communiqué sur le déroulement des faits : «Les discussions qui ont eu lieu entre lui et les personnes qui l'ont reçu au consulat saoudien à Istanbul ont débouché sur une bagarre et sur une rixe à coups de poing avec le citoyen Jamal Khashoggi, ce qui a conduit à sa mort, que son âme repose en paix.» Il n'a pas précisé où se trouvait le corps de Khashoggi, alors que les enquêteurs turcs ont poursuivi leurs investigations, fouillant notamment une vaste forêt proche d'Istanbul. Ali Shihabi, directeur d'un centre de réflexion considéré comme proche du pouvoir à Riyad, a donné une autre version: «Khashoggi est mort d'un étranglement lors d'une altercation physique, pas d'une rixe à coups de poings». Plus tard, le ministère de l'Information a affirmé dans une déclaration en anglais que les discussions au consulat avaient pris «une tournure négative» entraînant une bagarre qui a conduit à la mort de Khashoggi et à une «tentative» par les personnes qui l'avaient interrogé de «dissimuler ce qui est arrivé». Jusqu'ici, Riyad affirmait que Khashoggi, qui était entré le 2 octobre au consulat d'Istanbul pour des démarches administratives, en était ressorti et il avait qualifié de «sans fondement » des accusations de responsables turcs selon lesquelles le journaliste avait été tué au consulat. En confirmant la mort de Khashoggi, l'Arabie Saoudite, dont l'image a terriblement souffert, a annoncé la destitution d'un haut responsable du renseignement, le général Ahmed al-Assiri, et celle d'un important conseiller à la cour royale, Saoud al-Qahtani, deux proches collaborateurs du jeune et puissant prince héritier Mohammed ben Salmane, surnommé MBS. «Renvoyer Saoud al-Qahtani et Ahmed al- Assiri, c'est aller aussi près de MBS qu'il est possible d'aller», a relevé l'expert Kristian Ulrichsen, du Baker Institute de l'Université de Rice, aux Etats-Unis. «Si le goutte-à-goutte de détails supplémentaires (sur la mort de Khashoggi) continue, il n'y a plus de tampon pour protéger MBS.» Critique envers MBS, Khashoggi vivait en exil depuis 2017 aux Etats-Unis où il collaborait notamment avec le Washington Post. La confirmation de sa mort a été faite après une nouvelle conversation téléphonique entre le Président turc Recep Tayyip Erdogan et le roi Salmane. Ils «ont souligné l'importance de continuer à travailler ensemble en complète coopération», selon une source à la présidence turque. Donald Trump avait admis jeudi que Khashoggi était très probablement mort, menaçant l'Arabie Saoudite de «très graves» conséquences. Vendredi, l'administration Trump avait adressé une nouvelle mise en garde à Riyad, évoquant de possibles sanctions tout en s'inquiétant des retombées sur la relation stratégique et commerciale entre Washington et Riyad. A un journaliste qui lui demandait s'il jugeait «crédible» la version annoncée par Riyad samedi, M. Trump a répondu : «Oui, oui.» «Encore une fois, il est tôt, nous n'avons pas fini notre évaluation, ou enquête, mais je pense qu'il s'agit d'un pas très important.» «Nous sommes attristés d'apprendre que la mort de M. Khashoggi a été confirmée», a déclaré la porte-parole de la Maison Blanche, Sarah Sanders. Les Etats-Unis notent «que l'enquête sur le sort de Jamal Khashoggi progresse et que le royaume saoudien a entrepris des sanctions à l'encontre des suspects qui ont été pour l'instant identifiés», a ajouté la porte-parole. Les Etats-Unis vont «appeler à ce que justice soit rendue dans les meilleurs délais et de manière transparente, et en accord avec l'Etat de droit». Des élus américains, y compris dans le camp républicain, se sont montrés plus durs que la Maison Blanche et ont exprimé leur circonspection par rapport à la version de Riyad. «La Turquie va révéler tout ce qui a pu se passer. Personne ne devrait avoir le moindre doute sur ce point», a déclaré Omer Celik cité par l'agence de presse d'Etat turque Anadolu. La presse turque a publié ces derniers jours de nouvelles révélations accablantes pour les Saoudiens, selon lesquelles Jamal Khashoggi a été torturé et assassiné dans le consulat dès le jour de sa disparition. Sur Twitter, Hatice Cengiz, la fiancée turque de Jamal Khashoggi, a dit samedi que son cœur était «rempli de chagrin» et ses «yeux de larmes». «Nous sommes peinés par notre séparation, Jamal mon amour.» Dans une interview posthume diffusée par le magazine Newsweek, Khashoggi affirmait ne pas appeler au renversement du pouvoir saoudien, «parce que ce n'est pas possible», mais simplement souhaiter «une réforme du régime». Il dénonçait le style «autoritaire» du prince héritier, affirmant qu'en dépit de ses réformes, il dirige le royaume comme son grand-père. «C'est un leader tribal démodé.»