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L'exemple des lycées techniques (2e partie et fin)
Publié dans El Watan le 22 - 11 - 2006

Ce ne sont pas les résultats de réussite au baccalauréat, ni l'échec du projet initial de développement des cycles courts en adéquation avec le marché de l'emploi qui peuvent expliquer une remise en cause de l'existence des lycées techniques.
Pendant plus de 20 ans, l'option scientifique et technique a bénéficié dans notre pays d'un consensus favorable de l'ensemble de la nation. L'Etat, dans sa stratégie de développement industriel, était intéressé par une élévation de la qualification technologique de la nation. Ce consensus s'est rompu dans les années 1990, au moment de la crise économique et sociale et de la restructuration du bloc social au pouvoir autour de la bureaucratie-d'Etat, nouvelle classe sociale émergente à l'ombre de l'Etat, favorable à la conception néolibérale.
La tendance lourde, actuellement favorisée par le discours libéral, est que la machine économique algérienne n'a pas plus besoin d'élever le niveau technologique et de qualification des Algériens. Notre machine économique a juste besoin d'une main professionnelle qu'on formerait dans les centres de formation. Les lycées techniques, dont la mission est de donner une formation technologique et une compétence supérieure pouvant déboucher sur la constitution d'un pôle d'excellence technologique, ne sont pas aujourd'hui une priorité vu l'insuffisance du tissu industriel. C'est ce choix qui va déterminer une nouvelle restructuration du secondaire dans la précipitation et sans aucun débat, celle de 2004.
3- La nouvelle restructuration de l'enseignement secondaire de 2004
3-1 La restructuration du secondaire avait pour objectif :
L'enseignement secondaire général et technologique s'inscrit dans le prolongement de l'enseignement de base en évitant la spécialisation précoce et pointue. Il vise à atténuer les déperditions tout au long du cursus et à leurs issues, d'où la nécessité, selon les concepteurs, d'un système d'orientation fiable. L'objectif final étant de développer toutes les compétences et aptitudes sans que son origine sociale puisse en souffrir ou devenir un privilège.
Le second credo de cette restructuration du secondaire est la lutte contre les disparités régionales en matière d'accès aux différentes filières de l'enseignement secondaire général et technologique, d'une part, et vers un plus grand équilibre entre les filières de l'enseignement général, d'autre part.
3-2 La réorganisation de l'enseignement secondaire comprend :
– Une voie à caractère technologique avec quatre options : génie mécanique, génie électrique, génie civil et génie des procédés ;
2- une voie à caractère littéraire avec deux séries philosophie et lettres et sciences juridiques à côté duquel se distinguerait une filière langue étrangère ;
3- une voie à dominante sciences expérimentales ;
4- une voie à dominante mathématiques et sciences physiques ;
5- une voie à caractère économique.
Par ailleurs, quelle que soit la voie poursuivie, les élèves reçoivent de manière uniforme un enseignement d'histoire, de pensée islamique, d'éducation civique et une initiation en informatique. Cette nouvelle architecture du secondaire a rendu plus lisible les frontières entre les différentes disciplines et a réhabilité une filière mathématiques en extinction.
En revanche, la simplification de la filière technique mathématiques aurait commandé de séparer la technique industrielle plus proche de la professionnalisation et maintenir la voie technologique avec chimie, génie électrique et génie civil.
Deux années de troncs communs pour renforcer le socle indispensable des apprentissages des différentes voies devraient déboucher sur une évaluation sous forme de certification qui prendrait la forme d'un premier diplôme du secondaire, la 3e année étant une formation pré-universitaire.
3-3 Vers la menace d'extinction des lycées techniques
Le constat de cette nouvelle restructuration du secondaire est que le lycée devient de plus en plus polyvalent en regroupant à la fois l'enseignement général et technologique et l'enseignement technique. Au niveau programmatique et didactique, ce qu'il y a de différent est la réduction des filières dans l'enseignement technologique.
Les heures disciplinaires ont été fortement amputées dans les filières techniques industrielles.
Cette logique de réduction de la demande en éducation a été faite sans aucun débat avec les équipes pédagogiques.
Cette mesure risque d'entraîner la fermeture de l'ensemble des ateliers et le redéploiement de centaines de professeurs techniques ainsi que de chefs d'atelier et des travaux.
Elle remet en cause l'enseignement de la technologie, renforcé depuis la réforme de 1993 qui a consolidé le rôle de généralisation des savoirs et compétences technologiques en prolongement des savoirs formels.
L'enseignement technologique absorbait aussi la déperdition scolaire et répondait aux besoins de techniciens, cadres et main-d'œuvre qualifiée, dont avait besoin notre économie.
La restructuration du secondaire a ainsi disloqué des équipes pédagogiques qui ont mis 20 ans à s'installer, dont l'expérience est avérée.
Les objectifs initiaux de lutter contre la disparité régionale auraient milité de ne pas démanteler des savoirs constitués comme les savoirs technologiques que la restructuration a réduit à 4 options au bac au lieu de 10 auparavant.
Cette réduction des options au bac a entraîné une extinction des filières techniques industrielles : (fabrication mécanique, travaux publics, électronique, électrotechnique, chimie et techniques comptables).
La réduction du volume horaire, empêchant l'acquisition des compétences techniques indispensables, signe l'acte de décès des filières techniques industrielles. Ces filières existent de façon séparée dans les lycées, car elles se sont développées historiquement en tant que discipline au fur et à mesure de l'évolution de la technologie en se spécialisant en théorie et dans la pratique.
Ces mêmes spécialités sont infiniment moins spécialisées que ceux enseignées dans les filières d'ingéniorat de travaux publics de biologie ou en électrotechnique d'où la programmation de ces disciplines dans le lycée technique en 3 ans, voire 4.
Atténuer pour des logiques «utilitaristes» l'offre d'éducation en savoirs techniques, sous prétexte que la formation soit essentiellement dirigée vers le marché de l'emploi, n'est pas neutre. Il y a donc un contresens historique complet quand on dit qu'on va éliminer la spécialisation et que les lycées techniques n'existent que pour encadrer ses savoirs spécialisés. L'école dans l'histoire est née pour encadrer les savoirs formels, reproduire la force de travail et jouer le rôle de socialisation alors que l'apprentissage des artisans existait déjà. On ne peut pas au XXIe siècle rendre compressible la demande d'éducation en regardant du côté de «l'employabilité». C'est un contre-sens historique.
3-4 Quelle alternative pour les lycées techniques ?
L'appel des enseignants des filières technologiques «Sauvons les lycées techniques» dénonce, en fait, la réduction de l'offre scolaire. Cette réforme entend réduire jusqu'à 70% les volumes horaires. Cela va accentuer les difficultés scolaires et augmenter la démotivation des élèves. Les élèves en difficulté ne vont pas s'en sortir avec moins d'heures de cours et des programmes qu'ils parcourent sans avoir les moyens d'approfondir les savoir-faire et les savoirs formels. Pour la sauvegarde du patrimoine des lycées techniques, de ses ressources humaines et de leur savoir-faire technologique et pédagogique, la rencontre des enseignants des lycées techniques, le 1er novembre à l'initiative du CLA et du Satef, a proposé la création d'un pôle d'excellence technologique autour duquel graviteront des lycées professionnels qui répondront aux besoins spécifiques de chaque région. Cela permettra le maintien des équipes pédagogiques et répondra aux besoins d'une certaine catégorie d'élèves.
De ce constat de l'enseignement secondaire et de nos luttes sur le terrain, on a tiré un premier enseignement. C'est qu'il n'y aura pas d'avancée dans la démocratisation de l'enseignement et de l'école publique dans une situation de régression sociale. Nous l'avons vu en 1990 quand la crise sociale est rentrée de plain-pied à l'école.
Aujourd'hui, d'autres phénomènes qui délégitiment l'école se développent comme la «marchandisation» du savoir, le grand marché des cours particuliers, les réseaux, des exeat, les proviseurs quotas, et la corruption qui gangrène ce secteur.
Deux types de conception s'affrontent la première, celle qui défend l'école pour tous avec plus de moyens, plus de finances et plus de personnels pour élever la qualité de l'enseignement. La seconde conception, c'est la diminution de l'offre scolaire par la sélection précoce, le numerus clausus et marachandisation du savoir.
La proposition d'une école publique de qualité est à portée de nos mains à condition que les savoirs pédagogiques, les contenus des programmes et les restructurations ne soient pas alignés sur les projets libéraux de la nouvelle classe moyenne supérieure qui, à l'ombre de l'Etat, bénéficient de toutes les réformes, y compris celle de l'école. Pour cela, une seule solution, c'est de construire une école publique de qualité. Une école se construit grâce à la solidarité de toute la société !
L'auteur : Secrétaire général du CLA


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