L'on compte plus de 20 000 sourds-muets et malentendants dans la wilaya, selon des statistiques récentes. Une frange importante mais terriblement marginalisée, occultée même ! « La plus grande douleur est le mur d'incompréhension derrière lequel ils se sont barricadés pour ne pas nous entendre », témoignent les jeunes sourds-muets que nous avons rencontrés au bureau, enfoui aux fins fonds de la rue Larbi Ben M'hidi, au n°42. Un voisin du quartier, habitué à eux, a fait l'interprète pour nous. Le président de l'union des sourds-muets de la wilaya de Constantine, Hamdani Habbas, nous fera savoir que la pension octroyée à cette frange sociale (1000 DA/mois) a été gelée depuis deux ans. Il a été décidé, une fois pour toute, que ces personnes étaient en bonne santé et ne pouvaient de ce fait prétendre à une aide quelconque. En théorie, oui, elles jouissent en effet de toutes leurs facultés mentales et physiques, nonobstant ce handicap, qui devient rédhibitoire lorsqu'il s'agit de postuler pour un emploi. Là, réside la contradiction. N'ayant pas été correctement prises en charge par une école déficiente à tous les niveaux, ces personnes se retrouvent le plus souvent sans aucune qualification et quasiment toutes en déperdition scolaire, hormis quelques-unes, des générations précédentes. Ces dernières ont bénéficié de solides études dans des écoles spécialisées à l'étranger, notamment en France, à l'instar du président de l'Union lui-même. D'autres ont eu, dans le cadre du filet social, un emploi rémunéré 3000 DA/mois, consistant en gardiennage et autres travaux ménagers pour les femmes. D'autres recourent, en l'absence de revenus, au gardiennage de parkings. Et d'autres encore déambulent, perdus, aigris, hostiles et parfois agressifs. Abondant dans ce sens, Yacine Benyezzar, co-fondateur de l'Union, explique : « Nous avons envoyé des courriers à toutes les autorités concernées pour l'octroi de locaux au titre de l'insertion sociale des handicapés, dans le cadre de la loi n°02-09 du 8 mai 2002 relative à la protection et à la promotion des personnes handicapées, mais on ne nous a jamais répondu. Pourtant, le président de la République lui-même nous a assurés de sa solidarité le 14 mars 2007, lors de la journée des handicapés. Nous sommes des faire-valoir tous les 14 mars de chaque année ». En outre, nous avons appris que la secrétaire, personne parlante, qui travaillait à leur siège dans le cadre du filet social, a été contrainte d'arrêter, vu que son contrat avait expiré. Depuis, toutes les affaires administratives intéressant les sourds-muets sont en suspens. Une grogne sous-jacente est aisément perceptible au sein de cette tranche sociale, réellement dans le marasme. Nous avons eu à connaître des cas désespérés, où certains ont fait de la prison, ou s'adonnent aux stupéfiants, voire à la prostitution… Il faudra donc, bon gré, mal gré, compter avec cette frange, qui non seulement ne baissera pas les bras, mais revendique la dignité.