Cette version, réalisée par Martin Campbell, offre le rôle de l'agent 007 à un acteur, Daniel Craig, dont la performance a paru peu convaincante aux yeux d'Yves Boisset, et pas seulement aux siens. C'est le problème de la vraisemblance au cinéma que semble poser Daniel Craig dont le physique ne correspond pas aux canons esthétiques du personnage imaginé par le romancier Ian Fleming (1908-1964) qui n'imaginait pas, pour sa part, que le rôle soit attribué à quelqu'un d'autre que le comédien britannique David Niven. Celui-ci jouera le rôle de James Bond, justement dans Casino Royale, film pastiche de 1967, réalisé par un collectif de cinéastes sous la direction de Val Guest et dans lequel on retrouvait notamment le grand Orson Welles. Des pastiches de James Bond, il y en a eu des centaines.Tout comme des films directement démarqués des aventures de l'espion de sa gracieuse majesté. Yves Boisset lui-même a sacrifié au genre avec Coplan sauve sa peau, dont nul ne pourra affirmer qu'il est un chef-d'œuvre impérissable.Yves Boisset, comme beaucoup d'autres cinéastes du milieu des années soixante, avaient rebondi sur cette vague que les producteurs — mais également les éditeurs — jugeaient rentable : celle de la guerre froide. Les avatars de James Bond dans le cinéma français se sont donc appelés Coplan, mais aussi Le gorille, campé par Lino Ventura, ou Le Tigre, incarné par Roger Hanin. Il n'en est pas moins vrai que ce genre, davantage que par Ian Fleming, a été admirablement servi par des auteurs comme Graham Greene, John Le Carré ou Len Deighton auquel la littérature doit l'admirable Iprcress danger immédiat. Face à un tel feed-back culturel, on peut comprendre les réserves qu'inspire l'acteur Daniel Craig dont le physique est-européen le distancie de la représentation de James Bond dans l'imaginaire des cinéphiles. A cet égard, on pourrait citer des exemples à foison, mais un seul suffira à convaincre : il est impensable d'envisager qu'un autre acteur que Clark Gable personnifie le personnage de Rhett Butler dans Autant en emporte le vent, immense œuvre cinématographique inspirée du roman fleuve de Margaret Mitchell. C'est de l'ordre de l'atteinte à l'icône. Autant vouloir repeindre La Joconde ou recomposer le Don Giovanni de Mozart. En fait, ce Daniel Craig, au demeurant parfaitement inconnu jusqu'alors, ne peut être qu'un succédané en venant après Sean Connery, qui est l'interprète magistral de James Bond, tous films confondus. Et il en va de Daniel Craig comme des autres acteurs qui se sont succédé dans le rôle, à l'image de Roger Moore,Timothy Dalton, Pierce Brosnan ou l'improbable George Lazenby, pour ne citer que ceux-là. Au naturel d'acteur illustré par Sean Connery ont succédé des ersatz qui combinaient tous les genres sans vraiment s'attacher à un seul, puisque les films de James Bond ont oscillé entre la comédie et le sit-com indigeste, tant il est vrai que les producteurs ont été contraints de trouver d'autres gisements thématiques après l'éclatement de l'ex-Union soviétique. C'est l'incapacité à remettre James Bond dans la trajectoire de l'histoire, mais plus réellement de la fiction, qui a imposé des acteurs qui, comme Roger Moore ou Pierce Brosnan, n'ont pu faire valoir que les arguments de la facétie, de la grimace et de la gesticulation, hors de toute dimension émotionnelle du personnage qu'ils étaient chargés de faire vivre à l'écran. Quitte à se retrancher derrière un postulat d'autodérision ou un artifice d'effets spéciaux pour masquer leur affligeante inconsistance. Daniel Craig ne fait pas mieux que ses prédécesseurs de ce point de vue et le seul bruit que fera le film dans lequel il figure ne pourra être que celui des tiroirs-caisses : le seul qui soit agréable de toutes les façons aux producteurs. A sa décharge, Daniel Craig n'a pas affiché la prétention de se prendre pour Marlon Brando ou Laurence Olivier : Ian Fleming, ce n'est quand même pas du Shakespeare. Pour les James Bond de circonstance, c'est devenu une tradition : ils font un petit tour puis s'en vont.