Son rapport à l'écriture et le poids de l'histoire auront été un lien et un point commun que sont la guerre et ses conséquences, grands axes pour lesquels l'Espagnole Juana Salabert et l'Algérienne Wassila Tamzali ont été invitées à Oran, pour une rencontre avec le public à l'Institut Cervantès d'Oran. Wassila Tamzali livre dans cet entretien ses pensées et les grands thèmes qui caractérisent ses œuvres littéraires. Elle capitalise derrière elle de longues années de militantisme avant de se décider à revenir sur un drame familial, prétexte à une réflexion sur la vie, ses combats, ses secrets, ses espoirs dans un livre intitulé Une éducation algérienne. Pourquoi cet intérêt tardif pour la littérature ? Je suis venue tardivement à l'écriture mais, auparavant, j'étais une grande lectrice. Dans mon livre, j'ai tenu à ce que chaque phrase soit réécrite et chaque mot soit le reflet exact de ma pensée avant d'être placé. Un travail laborieux car mon souci était de reconstruire une tragédie avec comme toile de fond des faits historiques, quelques fois des anecdotes mais tout en gardant un fil conducteur dramatique, au sens artistique du terme. La manière dont mon père a été tué et la question du pourquoi qui reste pendante, laisse imaginer la stupeur qu'il a dû ressentir en étant tué par un enfant de son pays. Peut-on considérer que vous avez écrit pour vous libérer ? Vous savez, on ne peut pas vivre dans l'intensité de l'écriture et, en revanche, on ne peut pas écrire comme on vit, sinon cela se réduirait à un simple bavardage. Mon livre est une tragédie ouverte et la question de la mort de mon père me préoccupe évidemment, mais ne hante pas ma vie. Pour moi, la force de l'écriture réside dans la capacité d'expliquer les situations en explorant les profondeurs et c'est pour cela que j'ai adopté la forme en cercle et en spirale car cela me permet de faire le tour de la question en ayant la possibilité de revenir à la tragédie. C'est aussi le cas quand j'évoque la mort de Abdelkader Alloula. Cela dit, je ne vis pas moi-même dans une espèce de tragédie constante même si certains des faits que je raconte me concernent directement. Vous êtes militante sur plusieurs fronts, notamment pour les droits et la condition des femmes, votre passé a-t-il un rapport avec cet engagement ? Il faut dire que je n'avais pas tellement le choix. Etant adolescente, j'avais d'abord réfléchi à ma condition de femme mais, effectivement, les conditions de la mort de mon père m'ont obligée à m'intéresser à la politique mais surtout à l'histoire. En dernière étape, on peut dire que le militantisme m'a donné une raison de vivre. L'histoire a ceci d'intéressant, c'est qu'elle ne s'arrête jamais. Actuellement, je m'intéresse à un sujet particulier concernant le lien entre le combat des femmes et l'histoire et j'essaye de faire le parallèle entre Djamila Boupacha et Simone de Beauvoir. Je veux explorer l'histoire partagée entre une féministe au sens universel du terme et une femme algérienne engagée dans la lutte de libération nationale. En réalité, je ne cesse pas de raconter cette histoire et, aujourd'hui, avec le voile imposé, ce sera une réponse à la question : « Pourquoi veut-on oublier cette mémoire ? » Votre rapport avec l'Espagne ... L'Espagne est le pays de mon grand-père maternel (la famille est venue en Algérie en 1923). La vie est une énigme et la question de qui on est nous hante toujours. La question identitaire est à mon avis le combustible de la machine intérieure. Dans mon cas, ma mère a tout fait pour tenir à l'écart cette partie espagnole et pour preuve, même après la mort de mon père, alors qu'elle pouvait parfaitement vivre seule, elle a préféré aller vivre chez mon grand-père paternel, car elle voulait que j'aie « une éducation algérienne » d'où le titre du livre. Aujourd'hui, j'essaie de redécouvrir cette partie de moi-même en m'inventant même un rite car je vais souvent à Valencia goûter de l'orchapa, un met traditionnel, etc. Nous avons initié un cercle méditerranéen, Carmen Romero, pour un dialogue culturel dont les 11es rencontres ont eu lieu au Maroc en octobre dernier. Après Napoli, en 2010, les rencontres seront organisées à Alger avec pour thème la diffusion de la culture. Bio-Express Wassila Tamzali est née en 1941. Avocate entre 1966 et 1977 à Alger, elle a également été rédactrice en chef de l'hebdomadaire maghrébin Contact (1970-1973). Elle rejoint l'Unesco dès 1979 pour être chargée du programme sur les violations des droits des femmes. A partir de 1989, elle est cadre au FFS. En 1991, elle organise la participation de l'Unesco à la 4e conférence mondiale des femmes à Pékin. En 1992, elle est membre fondateur du collectif Maghreb Egalité. Elle contribue à partir de la même année à l'ouverture d'un centre pour les femmes pour la paix dans les Balkans et le respect des différences culturelles. En 1995, elle est chargée de rédiger le rapport de l'Unesco sur le viol comme arme de guerre avant d'être nommée directrice du programme de l'Unesco pour la promotion de la condition des femmes de la Méditerranée.