Jeudi 9 avril 2009 aura été la journée de tous les paradoxes en basse Kabylie. Entre la pluie du matin et le soleil de l'après-midi, le calme plat à l'est et les émeutes à l'ouest, l'effervescence des partisans du président et l'indifférence de la population, la désertion des bureaux de vote et le taux de participation annoncé officiellement, on aura vu bien des choses et leur contraire. Aux premières heures d'une matinée blême et pluvieuse, la circulation est très fluide, contrairement à d'habitude. Les rues sont désertes dans toutes les localités de la vallée de la Soummam que nous traversons. Cap sur la ville d'El Kseur où un appel a été lancé pour une marche. Visite du centre de vote de l'école Hamoumou où l'on constate une très forte présence policière qui a toutes les peines du monde à se faire discrète.Quelques votants, essentiellement des femmes et des vieux. A 10h, le taux de participation était de 2, 28%. Les radios alternent chansons patriotiques et bulletins d'information consacrés au scrutin. Des sms tombent dans toutes les messageries, invitant à un vote massif. On apprend que ceux qui ont appelé à une marche ont été fermement dissuadés par des policiers qui ont pris soin de les briefer dans leurs commissariats. Au chef-lieu de wilaya où l'on arrive vers midi, on ne se bouscule pas non plus devant les bureaux de vote. Un calme que le chef de centre du CEM situé en face de la permanence du candidat Bouteflika justifie par la pause-déjeuner. Dehors, la population vaque tranquillement à ses occupations. Cap sur Sidi Aïch et visite d'un centre de vote où le président annonce un taux de participation de près de 20% à 14h. Un peu plus loin, dans l'unique centre de Takeriets, il est question de 12% à la même heure. A Ighzer Amokrane, le président du centre que nous visitons refuse de divulguer le taux de participation, nous renvoyant vers l'APC. « Voyez vous-mêmes », dit-il en désignant du menton les bureaux où les encadreurs se tournent les pouces. De 16h30 à 17h, embuscade devant un centre de vote de la haute ville à Akbou. Pendant cette demi-heure de garde, une dizaine de femmes sont venues voter. « Votez pour Bouteflika et il fera d'Akbou une wilaya », voilà l'argument massue avancé par la flopée de ministres qui ont accouru dans la ville ces deux dernières semaines. Un message que les partisans de Bouteflika se sont chargés de relayer sur le terrain. Les ministres sont venus également chercher de l'argent auprès des grands patrons. C'est ce que nous raconte l'une des figures connues de la société civile de la région que nous avons rencontré non loin de ce centre de vote. Selon lui, des brigades de colleurs d'affiches, grassement payés, ont été mobilisées pour donner l'illusion d'un « printemps bleu » en marche. Il est vrai qu'à travers toute la vallée de la Soummam, les partisans de Bouteflika ont eu la main lourde sur la colle et la peinture. A certains endroits, les posters du président sortant, ou « rentrant », on ne sait plus, s'étalent jusqu'à l'écœurement. Jamais on n'a vu autant d'argent dans une campagne électorale. Cap sur Tazmalt, l'un des fiefs traditionnels du FFS. A mi-chemin, des appels téléphoniques nous alertent que des affrontements y ont éclaté en fin d'après-midi entre jeunes émeutiers et policiers. A notre arrivée, vers 17h30, le centre-ville est noir de monde. On observe à bonne distance des cordons de police et des centaines de jeunes qui se canardent à l'aide de pierres. Un centre de vote féminin a été investi par des jeunes dans l'intention de saccager les urnes et la police est intervenue quelques instants plus tard... Là la ville de Tazmalt a commencé alors à revivre des scènes rappelant les émeutes du « printemps noir ». Un policier a été brûlé au visage par un cocktail Molotov lancé sur un fourgon. On se faufile jusqu'à la ligne de front pour prendre quelques photos. Les affrontements vont durer jusqu'à tard dans la nuit. Ainsi s'achève une journée vraiment singulière. On aura vu le vote des riches et des millionnaires. Le boycott des jeunes et des prolétaires. Il y aura encore, sans doute, des émeutes... aussi longtemps que dureront l'injustice et la misère.