La France vient de reconnaître, il y a quelques mois, les effets et méfaits des essais nucléaires et a exprimé sa disposition à en assumer la responsabilité et à dédommager les victimes. Un projet de loi a été déposé, nous n'en connaissons pas la mouture définitive qui sera sans doute fort intéressante. Le ministre français de la Défense, Hervé Morin, l'avait annoncé pour le premier trimestre 2009 ; la promesse a donc été tenue. La présentation de ce projet par le ministre de la Défense a son importance. Il s'agit d'un fait de guerre. Depuis toujours, la France a refusé de reconnaître le lien de causalité entre les essais et les dommages physiques sur les personnels civils et militaires. Le projet de loi visera, semble-t-il, les essais en Algérie et en Polynésie française ; il concernera la composante des militaires du contingent, le personnel civil ainsi que les populations d'Algérie et de Polynésie. Les formules utilisées ont leur importance : il est toutefois préférable d'attendre le projet de loi pour en analyser les subtilités. Cette avancée dans la reconnaissance des droits des victimes des essais nucléaires qui sont des crimes de guerre (puisque commis en temps de guerre et pour les besoins de la guerre ainsi que d'autres éléments constitutifs) nous pousse à rappeler les autres crimes de guerre commis en Algérie et que la France refuse encore de reconnaître pour les Algériens. Il faut noter qu'une évolution récente de la position française quant au statut juridique des faits d'Algérie n'a profité qu'aux Français. La France a toujours refusé de donner conséquence aux revendications algériennes de reconnaître la nature juridique véritable des événements d'Algérie (crimes de guerre, comme l'a fait récemment l'Italie pour les Libyens. évolution de la position francaise depuis 2001 : Une évolution de la conception française des événements d'Algérie a été enregistrée mais n'a profité qu'aux Français. Nous nous expliquons : Une immunité juridique à la fois solide et fragile couvrait les crimes de guerre commis en Algérie. Solide parce qu'ayant acquis autorité de la chose politiquement décidée. Fragile parce qu'elle ne résiste pas à l'analyse. Une loi d'amnistie promulguée en France a gracié et absout les crimes commis par les Français durant les événements d'Algérie. Piètre échappatoire, imparfait alibi. Cette loi d'amnistie mérite quelques remarques : La première est qu'elle ne concerne que les faits commis en Algérie, c'est à dire ayant touché des Algériens. Il serait intéressant de voir si les faits de même nature ayant été commis en France ou sur des Français entrent dans son champ d'application. La deuxième est qu'elle amnistie des crimes imprescriptibles selon le droit international français constitué par les conventions internationales. Il y a lieu de signaler que la France a joué un rôle très dynamique dans la rédaction des conventions internationales relatives aux crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Par ailleurs, ces juridictions ont eu à connaître à une date récente des procès retentissants de criminels nazis (Barbie,Touvier, Papon) ; La France a-t-elle le droit d'amnistier des crimes imprescriptibles ? Peut-elle absoudre ses enfants tout en militant pour la sanction des mêmes crimes quand ils sont commis par les autres ? Cependant, au-delà de son inacceptabilité sur le plan éthique et moral, cette amnistie se trouve être inopérante sur le plan strictement juridique : Ce que ces « juristes » omettent de dire, c'est que cette loi d'amnistie se fonde sur un considérant principal donnant aux événements d'Algérie le statut d'opérations de police interne. Par cet artifice non convaincant, tous les crimes commis par les militaires français en Algérie sont exclus de la catégorie de « faits de guerre » ou « crimes de guerre », prévus et réprimés par des conventions internationales pour être gérés par le droit interne et ainsi faisant partie d'une zone juridique de souveraineté de l'Etat français qui peut pardonner tous les crimes commis par ses ressortissants dans ses territoires contre ses populations de France et de Navarre. Cependant, depuis 2001, un élément majeur a bouleversé les données de la problématique : Il s'agit de la reconnaissance aux milliaires français d'Algérie de la qualité d'anciens combattants. Les militaires français d'Algérie se voyaient injustement privés du statut lucratif et prestigieux « d'anciens combattants », car ils n'avaient pris part qu'à des opérations de police interne, et non à des faits de guerre contre un ennemi extérieur. Ce groupe de pression n'a pas cessé d'exercer un véritable lobbying pour obtenir un changement du statut de ses membres qui nécessitait une révision du statut juridique des événements eux-mêmes. Après une longue résistance, les pouvoirs français ont fini par abdiquer en reconsidérant les faits d'outre-mer et donc de ceux qui y ont pris part. Depuis sept ans et suite à un long combat, les militaires français ont pu reconquérir le titre de combattants pour la France et ont obtenu des droits et dédommagements conséquents. La bataille changea d'âme et le militaire changea de statut. Alors qu'ils étaient des policiers menant des opérations de rétablissement de l'ordre interne, les militaires français d'Algérie devinrent des soldats, « guerriers » jouissant des honneurs de la guerre mais aussi soumis aux lois de celle-ci. Du coup, les faits commis par l'armée française en Algérie sortent de l'ordre interne pour être soumis à l'ordre international et notamment aux instruments et traités internationaux ratifiés par la France parmi lesquels les conventions relatives à l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Le statut des faits qui a permis et servi de base à l'amnistie a été modifié. Le considérant essentiel se trouvant aboli, la loi se trouve désuète. Les agissements des soldats français en Algérie sont, depuis, des faits de guerre dont les crimes contre l'humanité -notamment la torture- son t imprescriptibles. La loi d'amnistie invoquée pour mettre les tortionnaires d'Algérie à l'abri des poursuites n'est plus pertinente en la matière, elle ne régit plus son objet.Deux conséquences juridiques majeures auraient dû découler de la mutation juridique des événements et de ceux qui les ont commis. Le premier est l'imprescriptibilité mentionnée ci-dessus et la possibilité d'être jugés par une juridiction pénale nationale autre que celle du pays du coupable, ou une juridiction pénale internationale. Ainsi, théoriquement et conformément aux instruments internationaux relatifs à la torture, les crimes du 8 Mai 1945 peuvent être jugés par une juridiction non française (algérienne ou autre) ou un tribunal pénal international. Mais, là aussi les juristes français développent des prouesses pour absoudre les leurs et les mettre à l'abri de mécanismes juridiques qu'ils (les Français) mettent en œuvre avec un enthousiasme sans pareil pour sanctionner les autres criminels de guerre. La duplicité française a été, on ne peut mieux, exprimée lors de la ratification par la France de la convention de Rome sur le tribunal pénal international. Il faut signaler que la France s'est fait particulièrement remarquer comme un des pays les plus dynamiques pour la mise en place d'une pareille juridiction ; cependant elle a tenu par le biais du : mécanisme des réserves à conserver une échappatoire pour retirer ses ressortissants à la compétence de ces juridictions. L'ambivalence de la position française consiste à se présenter et à s'empresser pour l'instauration de ces juridictions tout enen tenant la possibilité de recourir à l'article 124 de la convention de Rome qui dispose :« ( ... ) Un Etat qui devient partie au présent statut peut déclarer que, pour une période de sept ans, à partir de l'entrée en vigueur du statut à son égard, n'accepte pas la compétence de la cour en ce qui concerne la catégorie de crimes visés à l'article 8 [crimes de guerre] lorsqu'il est allégué qu'un crime a été commis sur son territoire ou par ses ressortissants. Il peut à tout moment retirer cette déclaration. Les dispositions du présent article seront réexaminées à la conférence de révision [convoquée sept ans après l'entrée en vigueur du Statut] » Le 22 février 2000, les députés ont adopté le projet de loi pour la ratification par la France de la Convention de Rome. Le ministre des Affaires étrangères a cependant maintenu l'intention de la France de recourir à l'article 124, exemptant de poursuites pour crimes de guerre les ressortissants des pays qui en feront la demande. « On peut d'autant mieux accepter de ratifier un texte, lorsqu'on peut clairement s'en exonérer », dira un député français qui souhaitait et réclamait une adhésion totale. Par sa position, la France adopte la moitié du droit. La précaution et les arguments français pour justifier cette précaution auraient été acceptables s'il n' y avait le militantisme de ce pays pour la mise en place de juridictions internationales compétentes pour juger les crimes des autres. Revenons à la reconnaissance des effets des essais nucléaires de Reggane : L'évolution de la position francaise est à saluer, mais l'expérience invite à la prudence. Nous ne sommes que devant une déclaration de principe. Il faut connaître la teneur de la loi pour en analyser les mécanismes sélectifs, les formules utilisées ( les populations d'Algérie et de Polynésie) ne nous semblent pas anodines.II est à appréhender le même scénario ou les mêmes subterfuges réservés aux autres crimes de guerre, à savoir en réserver les retombées positives aux Français « militaires du contingent et personnel civil » La loi qui sera promulguée se chargera de filtrer d'une façon sélective les droits matériels et moraux et la procédure à suivre. Elle fera en sorte que seules les victimes françaises soient reconnues. La lutte pour l'évolution de la position française, dans les essais -nucléaires comme dans les autres crimes de guerre, a été beaucoup plus l'œuvre des victimes et des groupes de pression de la société civile française. Du côté algérien, il est à noter la timidité et la frilosité officielle algérienne. Une excellente émission sur ce dossier (vue sur Arte) ne serait pas passée ( j'utilise le conditionnel par honnêteté) à la télévision officielle algérienne, que je ne regarde pratiquement plus. L'auteur est avocat