La première est que, par amitié, tout ce que je peux écrire sur lui relèverait davantage de l'amitié et de la connivence personnelle que d'un témoignage objectif sur Oscar et son œuvre. L'amitié profonde qui me lie à lui, l'affection que je lui porte et nos affinités politico-intellectuelles me faisaient craindre de verser dans le subjectif. La seconde, plus substantielle, est que je n'ai aucune expertise en architecture pour me permettre de formuler une quelconque lecture ou interprétation de son œuvre. Il avait besoin de personnalités pour témoigner, je ne suis qu'une personne. Mais, par tant de proximité avec lui, j'ai vite réalisé toute la simplicité et la grandeur de son geste. Niemeyer est un génie reconnu. Il n'a nul besoin de témoignage de sa grandeur ; d'ailleurs, il déteste les témoignages experts sur ses œuvres, tout comme il ne se permet point de jugement de valeur sur les œuvres des autres. Il a toujours vécu son travail comme sa façon d'être ; il n'en attend ni consécration, ni approbation, ni gloire ; c'est pour lui du superflu. Je crois d'ailleurs qu'à travers et au-delà de ma personne, Oscar sollicitait, un peu, sa part d'Algérie, un pays où il a beaucoup réalisé, qu'il a aimé et où il a tissé un très fort réseau d'amitiés en compagnie d'autres camarades brésiliens exilés et en contact avec de nombreux leaders de mouvements de libération dans ce qui était appelé «La Mecque des révolutionnaires». Il y a vécu une expérience humaine et politique intense. Tel que je connais Oscar, cet aspect est une dimension fondamentale de la vie. Par moments, il m'est arrivé de croire que dans sa propre hiérarchie des valeurs, notre complicité et nos discussions politiques, dans les moments compliqués et dangereux pour le monde, étaient bien plus importantes que l'architecture. Je dis cela avec beaucoup d'humilité, sachant que pour Oscar Niemeyer l'essentiel a toujours été au-delà de son travail ; l'essentiel pour lui résidait bien plus dans le bonheur de l'autre, la paix, la sécurité et la justice dans le monde ; la fraternité des hommes ; le sourire d'un enfant et les belles hanches d'une femme. C'est que Oscar Niemeyer est d'abord un homme — et il faut le connaître — avec ses engagements, ses convictions et sa sensibilité. Je remercie le destin de me l'avoir fait rencontrer et je le remercie de m'avoir gratifié de son amitié. Le génie d'Oscar Niemeyer est, avant tout et après tout, d'avoir démystifié et démythifié l'architecture et de l'avoir réduite à sa plus simple expression. Par simplification extrême et symbolique de base, je résumerais Oscar Niemeyer à trois concepts vitaux à mes yeux : le sourire d'un enfant, la rose et le travail bien fait ; et c'est peut-être le secret de notre amitié et de notre connivence ; le principe de base de la vie que je partage avec Oscar est de «tout prendre au sérieux sauf soi-même». Qu'il me pardonne mon excès si c'en est un. De ce point de vue, le génie Niemeyer aura été, à mon humble opinion, d'avoir tracé des plans qui paraissent si simples que n'importe qui d'autre pourrait croire qu'il peut en faire autant. On lui reproche beaucoup ses immeubles à la Staline, quelques quadras de Brasilia ou les HLM répétitifs et sans âme ; beaucoup le font sans savoir à quoi cela correspondait. Il l'a dit et je le répète. La première facette — fondamentale — de mon ami Oscar relève de ses convictions et de son engagement politique. Oscar Niemeyer, et toute son équipe, est venu perturber l'ordre des choses. Si l'histoire de l'architecture a été systématiquement de compliquer les choses, de les rendre plus chères pour servir les plus puissants, il a, lui, décidé de faire le contraire ; c'est-à-dire de simplifier les choses