Comme mis au ban des nations, le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane s'emploie à briser par anticipation le risque d'un éventuel isolement diplomatique suite à l'assassinat du journaliste dissident Jamal Khashoggi. Pris dans l'engrenage de l'agression militaire qu'il mène contre le Yémen voisin, l'homme fort du royaume saoudien a vu l'étau se resserrer autour de lui après l'assassinat barbare de Jamal Khashoggi. Il est ouvertement accusé par des ONG de défense des droits de l'homme, des figures politiques influentes et une bonne partie des opinions publiques internationales d'être l'ordonnateur de la liquidation physique du journaliste dissident. Sorti de l'ombre de la monarchie à la faveur de tractations-éliminations au sein de la famille royale, le jeune prince est vite brûlé par la lumière des projecteurs. Le nouveau visage de l'Arabie Saoudite qu'incarne MBS et qui avait promis des réformes libérales s'est rapidement assombri par la brutalité avec laquelle il gouverne son pays, la Mecque de l'autoritarisme. Par le feu et la fureur. C'est cet homme qui est reçu à Alger depuis hier pour une visite officielle de deux jours. Manifestement, Mohammed Ben Salmane qui a failli voir ses ambitions politiques compromises cherche à «redorer» son image sérieusement altérée. Une opération de charme qui passe mal auprès des opinions publiques. Il doit y avoir de la gêne chez les gouvernements qui l'accueillent. Avant même son accession au trône, ce jeune prince traîne déjà la réputation de «roi sanguinaire». Il doit déployer un énorme effort diplomatique pour retrouver la confiance des Etats. Rares sont les périodes où un dirigeant saoudien est autant mis en difficulté dans son pays et dans toute la région. Sa tournée internationale a provoqué une levée de boucliers et des citoyens des pays hôtes expriment leur refus de le voir fouler le sol de leurs pays. Mohammed Ben Salmane suscite de la colère et de l'indignation. Il n'est pas le bienvenu dans beaucoup de pays. Il est devenu un prince encombrant. Si, en effet, il garde intact le soutien actif de l'administration Trump, le prince héritier ne peut se passer aussi facilement des alliés traditionnels de son pays dans la région. D'autant que la monarchie des Al Saoud entend jouer le rôle de leader d'un monde arabe en déshérence. Le panarabisme vaincu, l'Arabie Saoudite à la tête d'un panislamisme triomphant a imposé la marche à suivre. Et l'Algérie fait partie justement de ses alliés à ne pas trop négliger, surtout en temps de crise qui enserre le prince héritier. Il faut dire que de tout temps le gouvernement algérien s'est gardé de fâcher la monarchie wahhabite. Avec Abdelaziz Bouteflika au pouvoir, les liens se sont consolidés entre les deux pays, et ce, malgré les provocations répétées de Riyad contre l'Algérie. Alger ne lui refuse presque rien. Et parfois s'excuse même des positions exprimées par une partie de l'opinion publique à l'égard de cette monarchie-fabrique de l'extrémisme religieux, pourvoyeur de l'idéologique du terrorisme. Traditionnellement arc-boutée sur une ligne de «neutralité» dans les conflits régionaux, Alger est de plus en plus accusée par une partie de la classe politique nationale de s'être alignée sur la position diplomatique saoudienne. Notamment dans l'agression militaire contre le Yémen et par extension dans le conflit entre Riyad et Téhéran. Sans le renvoi de l'ascenseur. Sur la question énergétique, l'Arabie Saoudite – principal pays exportateur de pétrole – impose des politiques qui souvent n'arrangent pas les intérêts de l'Algérie. La récente décision de Riyad d'augmenter sa production a eu un impact négatif sur les cours du pétrole. Le prix du baril a connu une chute vertigineuse sur le marché mondial. Une mauvaise nouvelle pour l'économie algérienne. Mais au-delà des questions immédiates, la politique étrangère de l'Algérie ne correspond pas à l'agenda géopolitique saoudien. Insérée dans la stratégie globale de Washington, la monarchie golfiote joue une partition importante dans le remodelage violent de la carte géostratégique du Moyen-Orient post-révolution arabe. Une redéfinition qui se dessine par la normalisation avec l'Etat hébreu qui s'accompagne inévitablement de l'abandon de la question palestinienne, et l'affaiblissement considérable des «Républiques» au profit des régimes monarchiques. Dans ce grand jeu impliquant des puissances internationales et mêlant des intérêts colossaux, l'Algérie tient difficilement ses propres équilibres. En l'absence d'une politique étrangère clairement définie et renouvelée pour mieux l'adapter aux nouveaux bouleversements dans les relations internationales, l'Algérie a du mal à négocier ses intérêts. A-t-elle choisi de se «terrer» dans cette période de convulsions porteuse de périls ? Il est reproché à l'Algérie – jadis pays important dans le camp de la résistance – d'avoir perdu sa voix. Son poids s'est affaibli et sa sphère d'influence se rétrécit. Sans leadership, elle est réduite à jouer les rôles de moindre importance.